Une grande statue, hiératique, est posée sur le plateau nu. Mains dans le dos, robe sirène rouge opéra. Accrochées en cercle au-dessus d’elle, des lames de glace brillent et gouttent. Larmes de glace.
En retard. La femme attend un Godot. Ressasse l’histoire d’un homme, son café sur la table verte, la botte qui s’enfonce dans le sol, un amant, un mari, un tortionnaire ? Elle est aristocrate, elle est juive. C’est ce qu’elle dit, ou ce qu’elle s’invente. On ne sait pas. La cloche sonne, obsédante. Il y aura bientôt des fracas de vitres brisées, d’explosions, des pleurs, de la fumée. La femme parle, s’interrompt, appelle des fantômes. D’invisibles forces apportent sur des plateaux théière, lettre, bouquet de fleurs jaunes, vase, terre d’une tombe. Plateaux de la pesée des âmes, du jugement dernier ? Les lames de glace, herses, guillotines, s’écrasent au sol au gré de la fonte, clepsydres mesurant le temps restant d’une la vie qui se délite.
C’est une immense scène de folie, beaucoup plus longue que celle de Lucie, que celle d’Ophélie. C’était à l’opéra. La robe sirène est abandonnée : diva défroquée, la Dessay redevient Natalie. Voix chantée troquée pour retrouver un corps, un petit corps aux pieds nus, au crâne chauve, recroquevillé, humain. Une renaissance. Et la voix parlée – magnifique médium – est tout aussi envoûtante.
C’est un défi, une performance physique. Pendant quatre-vingts minutes la comédienne soliloque, juchée sur un tabouret étroit, éclaboussée par la glace qui goutte et se brise. Personne d’autre, si ce n’est Alexandre Meyer aux bruitages et à la musique. Et les fantômes.
Et ce partenaire aléatoire, qui pleut, tombe, se fracasse, surprenant le texte comme le spectateur. Comme pour l’Alceste d’Olivier Py, le décor, là tracé à la craie puis aussitôt effacé, ici glace s’écroulant dans un effrayant fracas final, ne laisse pas de trace du spectacle, de cet éphémère. Seule une nouvelle bête de scène qui se débarrasse de ses faux cils et vient saluer à petits pas de danseuse, pieds nus sur le plateau trempé.
Photos © Christophe Raynaud de Lage
TNT, 25 février 2017
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.