Voilà une excellente chose, et plus particulièrement pour notre Musée les Abattoirs qui se voit complètement investi, comme envahi de partout, à tous les étages, ce dont on ne saurait faire reproche à sa nouvelle directrice, Anabelle Ténèze, tellement le public du musée avait quelque difficulté à comprendre le pourquoi de tant d’espaces bien peu occupés.
Quarante ans d’existence pour Beaubourg, le centre d’art et de culture Georges Pompidou, qui a décidé de partager cette célébration avec les plus larges publics, d’où un programme inédit d’expositions, de prêts exceptionnels, de manifestations et d’événements pendant toute l’année. Expositions, spectacles, concerts, conférences et rencontres sont présentés dans plus de quarante villes françaises, en partenariat avec un musée, un centre d’art contemporain, une scène de spectacle, un festival, un acteur du tissu culturel et artistique français… « Un anniversaire placé sous le signe du territoire » comme l’a signifié son président, Serge Lasvignes. Et, à tout cela, Anabelle Ténèze a répondu : OUI, d’où ce foisonnement qui va vous obliger à compulser le petit dépliant rédigé à cet effet dans lequel vous pourrez retrouver tout ce qui se rattache à cette nouvelle exposition, élément phare.
Ce projet pour les Abattoirs, le bâtiment en lui-même, se répartit sur ses trois niveaux. Il bâtit un pont entre passé récent et futur. Il s’adresse à tous les publics, de 7 à 77 et même 97, l’âge de Daniel Cordier, l’un des généreux collectionneurs et partageurs et donateurs. Le rez-de-chaussée se trouve ainsi occupé par des œuvres relevant du Nouveau Réalisme, les acteurs étant tous des signataires de la fameuse charte du Nouveau Réalisme. C’est ainsi que, par ce partenariat avec Beaubourg, les visiteurs auront tout loisir d’admirer le fameux portrait d’Arman, figure iconique du mouvement, réalisé par Yves Klein, un artiste hors du commun.
Ce peintre, né à Nice en 1928, a réalisé en 8 ans sur les 34 de sa vie, une œuvre fondamentale qui a marqué plusieurs générations de créateurs. Au-delà de sa beauté formelle – les célèbres monochromes, blancs, oranges puis bleus, le bleu IKB, définitif et tant imité, les roses ou or, les pinceaux vivants, les sculptures-éponges ou les peintures de feu – son œuvre à l’ambition constamment expérimentale, a ouvert de nombreuses voies à l’art contemporain. Ce fameux portrait-relief de 1962 utilise un pigment pur sur résine synthétique et sur bronze monté sur bois recouvert de feuilles d’or. Après les travaux sur suaire qui ne suffisaient pas à capter toute son énergie créatrice, le peintre-sculpteur opte pour le moulage, à la fois sculpture et empreinte. Arman, Claude Pascal et Martial Raysse sont ainsi moulés de la tête au pied. Les empreintes en trois dimensions devaient être fondues dans le bronze, passées au bleu puis installées sur un fond or. Yves Klein se réservait une place parmi ces moulages, cette fois en or sur fond bleu. Il meurt avant.
D’autres pièces de la collection présentée viennent encore de Beaubourg, mais aussi du Musée de Nice – car les Klein, Arman, Ben, Raysse,…étaient niçois et constituaient l’Ecole de Nice – du Carré de Nîmes, plus d’autres de collections privées, tandis que la fameuse machine de Tinguely, génial inventeur, bricoleur, remontée pièce par pièce dans la nef, car arrivée obligatoirement démontée du musée de Bâle. Vous ferez le tour de toutes les salles du rez-de-chaussée pour vous plonger dans l’univers du Nouveau Réalisme et de ses meilleurs représentants, tous, épris d’une sorte de frénésie, comme pour oublier ces années de guerre et d’après-guerre où les restrictions semblaient avoir plombé toute action. Il faut vous attarder aussi sur les petites vidéos qui sont de véritables marqueurs de cette époque, vidéos en noir et blanc, tournées avec le matériel d’alors. Ils seront 9 dans le groupe des Nouveaux Réalistes, groupe fondé par Pierre Restany, le seul qui ne peint pas, un attaché au Ministère des Travaux Publics qui a « flashé » sur les premiers monochromes. Ils ont signé le 27 octobre 1960, une déclaration constitutive, d’une simple phrase : « les Nouveaux Réalistes ont pris conscience de leur singularité collective. »
Nous sommes au moment de l’émergence d’une société qui ne pourra qu’être marquée par une industrialisation à outrance et par l’apparition d’une consommation tous azimuts. C’est le temps où César compresse, Arman découpe, scie, accumule, détruit, brûle, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Mimmo Rotella, François Dufrêne lacèrent et déchirent les affiches qui fleurissent de partout, non protégées. Martial Raysse assemble et détourne les objets du quotidien. Horst Egon Kalinovski est là aussi. Klein attaque ses supports au chalumeau, brûle en partie ses toiles. Tous ces artistes manifestaient, dans leur travail, une réaction au tachisme, forme créée en opposition au réalisme du fascisme. Georges Mathieu était un de leur représentant. Il peindra de vastes fresques, mais le plus vite possible, à la brosse, souvent dans une scénographie toute théâtrale.
Mais la surprise supplémentaire, c’est bien la présence de Daniel Spoerri, ce membre fondateur du Nouveau Réalisme, connu pour ses fameux “tableaux-pièges“, cet artiste-collectionneur, je dirais même accumulateur compulsif, collectionneur de restes de dîner, qui peut vous expliquer comment il confectionne ces fameux tableaux, et ça n’est pas triste ! Il détourne avec malice objets avec les fameux “détrompe-l’œil“. Ne ratez surtout pas le lion et son auréole dans l’œuvre La Sainte Famille de 1986 !
A la fois artiste, cuisinier, galeriste, éditeur…Daniel Spoerri interroge les aspects sociaux, culturels et symboliques de la nourriture et des objets, et au rez-de-chaussée, sont présentées des œuvres, illustrations parfaites de ces “tableaux-pièges“. Une autre salle est consacrée à un autre pan de son travail en tant que fondateur des MAT(Multiplication d’Art Transformable), édition de multiples d’artistes pour contester l’idée d’une œuvre unique, travail qu’il développera jusque dans les années mi-60. C’est ainsi que vous retrouverez des réalisations de Agam, Man Ray, Tinguely, Bury, Lichtenstein.
A titre personnel, c’est le sous-sol qui me captive le plus !! Il y a imaginé les dadas des deux Daniel, projet dans lequel il met en regard de sa collection, celle de Daniel Cordier, 97 ans. Quand on connaît la diversité de cette collection, c’est parti pour un véritable tour du monde fascinant. Et cela donne un gigantesque cabinet de curiosités croisé, « humaniste et universel », et comme si cela n’était pas suffisant, il le complète avec des Corps en morceaux, ses réalisations qui ont été faites pour les salles du château d’Oiron, et qui ne sortent qu’exceptionnellement, je pense même que c’est leur première sortie. On peut repérer aussi de nouvelles créations de Daniel Spoerri, car si les objets déposés dans la collection de son acolyte Daniel Cordier ne peuvent évoluer, les siens, si, et des nouveaux peuvent s’ajouter. Comme il dit simplement : « Je suis dans l’avenir et demain ».
On complète avec l’Espace Panchounette à l’étage, collectif d’artistes actif de 1969 à1990 et ses œuvres éphémères exposées. On prendra le temps d’écouter la cassette qui nous donne le discours d’inauguration du Centre par le Président d’alors, soit Valéry Giscard d’Estaing. Rien que pour le ton, cela vaut le temps de s’arrêter quelques minutes ! Le jeune Kevin Rouillard aligne ses tôles de bidons retravaillées, impressionnantes par leur brut-alité. Toujours l’histoire de l’objet et de son devenir.
Joël Andrianomearisoa travaille sur les Espaces oubliés, ou l’on pourra s’amuser à repérer des phrases comme : dévoiler les songes, surprendre les désirs, et crée pour l’étage contemporain, une Boutique Sentimentale où les objets devront un à un disparaître, après achat !!. Il est aussi dans le projet « Sentimental Products » dont le clou est la soirée spéciale pour la Saint-Valentin : Sentimental Party.
Un petit tour par la Médiathèque pour s’intéresser à : 77 documents pour l’année 77, ou sont présentés quelques écrits et revues et journaux de l’année en question.
En passant aussi par les salles au 1er étage où s’illustrent des travaux d’artistes dans le cadre de Mezzanine Sud qui mécène 4 artistes de moins de 35 ans, 4 élus pour 4 salles où leurs œuvres sont gardées avec les autres environ trois mois. Cela s’ajoute à l’exposition actuelle.
Sans oublier que le musée sort de ses murs et s’en va jusqu’à Cajarc – Lot – à la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou pour une expo intitulée Monsters, et autres manifestations.
Un programme d’activités vous attend de même que des conférences diverses tandis que le 2 avril interviendra le Président de Beaubourg, Serge Lavignes. Des événements se situent aussi avec la collaboration du Théâtre Sorano et du Théâtre Garonne.
Ainsi, le Musée intègre-t-il la ville, ou le contraire comme on voudra, et dans des domaines très variés, au delà des partenaires culturels habituels. Mais le musée, lui-même, est déjà bien plus que cela, avec son forum, son amphithéâtre , sa librairie, son restaurant, sa médiathèque, un véritable lieu de vie, tournée vers l’avenir, loin des musées d’antan : c’est bien le souhait le plus ardent de sa nouvelle directrice. Sans oublier le programme de diffusion du musée à l’échelle du territoire.
Michel Grialou
Exposition aux Abattoirs
Autour du nouveau réalisme
Centre Pompidou 40 ans
du 02 février au 28 mai 2017