Du 11 janvier au 5 mars 2017, le Château d’eau présente ses deux nouvelles expositions, Dérive et Errance(s) dans leur lieu emblématique. Alors, il s’agit d’un véritable appel aux voyages, intérieur d’abord au travers de la photographie d’un artiste turc, puis spatial au travers d’une sélection thématique au sujet de l’ailleurs.
En premier lieu, le Château d’eau nous offre un voyage au cœur du sensible et de l’être humain; et ce au travers de la photographie de l’artiste Yusuf Sevinçli. Né en 1980 en Turquie, il fera des études de communication à Istanbul avant de partir vers Venise pour intégrer un Masterclass consacré à la photographie documentaire. Depuis, son oeuvre est exposée un peu partout dans le Monde, y compris en France où Nantes, Mulhouse et Paris ont notamment exposé sa collection Dérive. Dérive de l’Homme, mais aussi dérive des choses; voilà ce que nous donne à voir sa photographie, tout à la fois pessimiste et esthétique. On retrouve évidemment quelques paysages dans cette exposition, témoignant de sa formation de base. Alors, c’est une mer déchaînée ou un bateau à la dérive qui nous est montré, faisant un pont entre la vie et la fin des choses.
On comprends très bien l’angle choisi par Yusuf Sevinçli par rapport à la photographie; celle-ci lui permet d’appréhender le monde, et de le retranscrire aux spectateurs. Ou plutôt de retranscrire sa vision du monde. Un monde que l’on découvre fragmentée (en témoignent les nombreux jeux de lignes, entre miroir brisé et faïences), sombre et nuancé; à l’image d’une photographie en noir et blanc fortement contrastée. Les Hommes y sont évidemment présents, mais ce qui marque alors c’est l’absence régulière de visages, de regards, d’âme. Un Homme dépouillé de lui même, non découragé comme dans la précédente exposition et la photographie d’Ilias Georgiadis (si vous l’avez manquée, cliquez ici), mais plutôt dans un Monde qu’il ne comprend pas – perdu. Demeurant silhouette, on sent bien que Yusuf Sevinçli se questionne sur son monde, mais aussi sur les Hommes et sur sa propre identité.
Enfin, sa méthode est également très intéressante. Spontanée, il n’y a aucune construction en amont, et sa photo est prise « sur le fait », comme il le dit lui-même:
» Vous ne pouvez pas planifier quoi que ce soit dans la fraction de seconde qui précède la prise de vue. C’est plutôt comme une forme de performance ; vous ne construisez pas les choses à la manière d’une structure minutieusement préparée. Vous vous mettez dans certaines situations particulières et vous usez ensuite de votre seul instinct pour ce qui est de presser le déclencheur. En conséquence vous n’avez que peu de temps »
Alors, l’art est d’être au bon moment, et de déclencher quand il le faut pour atteindre ce qu’il appelle « l’épicentre énergétique », à savoir ce moment où la photographie devient pure, brute aussi.
Dans la seconde partie de l’exposition, il s’agit là encore de voyages, mais spatiaux ce coup au travers de la sélection Errance(s).
Errances car, à l’image de Yusuf Sevinçli, volonté de se perdre pour les 21 photographes exposés. S’abandonner au mouvement pour voir jusqu’à où il nous mène, comme le montre le titre donné à cette exposition, entre singulier et pluriel. Alors, il s’agira pour le spectateur de déambuler au milieu de clichés totalement différents, tirés de lieux aussi variés que peut l’être le Monde et dans lesquels Gregg Ellis, François Miller ou encore Richard Pak ont avant nous déambulé. La photographie telle que nous la montre ici le Château d’Eau possède également son côté poétique, dans cette volonté infinie de vouloir figer le temps au travers de clichés spontanés et artistiques. Figer le temps et figer l’espace donc : voilà les deux paris que semblent s’être fixés ces photographes, chacun à leur manière.
Bien que l’écho entre les deux expositions ne sautent pas aux yeux, on comprend donc finalement que l’objectif de Yusuf Sevinçli est semblable à celui des photographes exposés dans Errance(s) : se laissait porter par leur intuition pour redécouvrir le Monde qu’ils arpentent et immortalisent au travers de ces clichés spontanés. Une nouvelle exposition qui prête à réfléchir donc, et qui fait indirectement suite à l’exposition précédente par un beau clin d’œil du Château d’eau, toujours aussi rigoureux dans ce qu’ils proposent.