Si la photographie ne demeure guère aujourd’hui l’art le plus présent dans le domaine artistique, le Château d’eau toulousain reste un lieu unique, tant par le monument que par leurs expositions extrêmement riches. C’est dans ce cadre unique qu’eut lieu du 27 octobre au 31 décembre 2016 une double-exposition en miroir, présentant deux points de vue sur l’Homme, deux époques, deux poésies antinomiques. Retour sur l’oeuvre de Tod Papageorge et Ilias Georgiadis.
Tod Papageorge est un photographe américain né en 1940, ayant une renommé certaine sur le continent outre-atlantique. Sa photographie pourrait être, de notre point de vue, qualifiée d’historico-poétique, en ce sens qu’elle a pour essence de montrer avec poésie la vie quotidienne des américains de l’époque. Alors, le temps de l’exposition, on se retrouve plongé dans la vie américaine des années 1970, entre Los Angeles et New-York. Outre quelques paysages qui nous semblent anecdotiques mais qui servent d’introduction à sa photographie, on se retrouve rapidement placés face à la vie de loisirs des américains d’alors, entre Central Park et roller, entre baignades et bronzette. Ce qui saute aux yeux alors, c’est sans doute ce sentiment de liberté qui planait sur les Etats-Unis à la suite du mouvement hippie, rappelant l’hédonisme palpable des new-yorkais. C’est une Amérique décomplexée qui se montre à nous, voguant entre la tranquillité et le plaisir (qui contrastaient alors fortement avec la situation dramatique au Vietnam en 1969).
Central Park
La seconde chose qui marque dans la photographie de Tod Papageorges, c’est la spontanéité de son oeuvre. En effet, l’exposition Six-neuf, 1975-1990 (en référence au format photographique dont il est coutumier) nous présente avant tout des scènes de vie. Ainsi, elle nous montre certes le mode de vie de l’époque dans un élan documentaire, mais elle nous montre surtout un fragment – très court – de vie d’individus, d’amis, de famille. Dès lors, faisant appel à votre imagination, vous serez libre d’inventer toute l’histoire entourant ce fragment, et savoir qu’est ce que l’individu de la troisième photo écrit ou encore les propos échangés par le groupe d’amis de la deuxième photo. En somme, c’est un appel à l’imagination poétique. Un appel à se rapprocher de ces gens, témoins d’une époque mais avant tout individus vivant un moment paisible.
Le sous-sol de la première salle nous offre une seconde collection de Tod Papageorge, et pas des moindres puisqu’elle est emblématique de son oeuvre : Studio 54. Voici ce qu’en dit l’artiste lui-même:
Les photographies ont été prises entre 1978 et 1980 au Studio 54, une discothèque de New-York qui, pendant quelques années, a été l’endroit où les célébrités, les fêtards et ceux qui adoraient danser voulaient absolument être et être vus. » Après avoir témoigné de la difficulté de rentrer dans ce club select, il continue: « C’est seulement après avoir repéré un sujet (ou en avoir pensé le cadrage) que je dirigeais l’appareil photo sur celui-ci, et même si la disposition visuelle de ce que je voyais d’échappait du cadre imaginaire, je l’appliquais. Geste, action, forme, et même sens, le problème était de se donner la meilleure chance de les inclure et les mixer dans une figuration cohérente – aussi près que mon œil et mon esprit pouvaient le sentir – et seulement alors rapidement […] le dessiner littéralement sur la pellicule en un éclair!
Tod Papagoerge, à propos de ses photos de studio 54 dans le livre Studio 54 chez Stanley/Barker. (propos recueilli dans le fascicule produit par le Château d’eau)
Bien que Tod Papageorge nous parle de la danse, il se trouve que ce club était renommé pour être un lieu de débauche, entre alcool, drogue et sexe. Les photographies exposées en sont d’ailleurs le témoin; et l’on sent bien au fur et à mesure des photographies que l’atmosphère devient pesante, décadente. Bien loin de la liberté innocente de la série Central Park, on se rapproche ici davantage de l’esprit de l’arrière New-York et des choses interdites, du côté sombre de la Grosse Pomme.
L’aspect de débauche, le côté obscur de l’homme; c’est donc cela qui relie Tod Papageorge au deuxième artiste mis en lumière dans cette exposition de fin d’année : le grec Ilias Georgiadis. Dans une photographie beaucoup plus abstraite, détruite comme les Hommes qu’il veut peindre, le jeune photographe de 26 ans montre en image ce que Thierry Metz disait avec des mots : « Seul contre son âme un homme ne pèse pas lourd ». Cette oppression de l’Être, l’extraction de sa part sombre se fait d’ores et déjà par l’utilisation quasi-systématique de Noir et Blanc, approfondissant ainsi le trouble dans lequel l’Homme représenté semble être. Celui-ci est mis en rapport direct avec l’impersonnel, mais aussi avec la débauche au travers de thématiques telles que la solitude ou encore la toxicomanie. Over|State représente alors, de manière beaucoup plus poussée et mélancolique, ce que semblait montrer Tod Papageorge au Studio 54; à savoir l’Être proche de ses limites, voire les dépassant.
L’Homme n’est plus présenté de l’extérieur, photographié dans une scène de vie ordinaire; il est représenté (grâce aux retouches faites a posteriori) de l’intérieur, comme dépouillé, vidé de son essence. Une exposition beaucoup plus psychologique donc, qui nous offrait un contraste net avec la première exposition, dans un rapport intérieur/extérieur; plein/vide; gaieté/malheur. Or, la prochaine exposition qui prendra place à partir du 11 janvier présentera également des œuvres anthropocentrées, produites par le jeune photographe turc Yusuf Sevinçli « dont la pratique photographique quasi-compulsive de la vie quotidienne est le moyen pour lui de rester connecté aux êtres et aux choses », comme nous le décrit l’annonce faite par le Château d’eau.
David Vacher
Le Château d’Eau
pôle photographique Toulouse
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