Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
Né en 1967 dans une famille juive athée de l’Etat de New York, Judd Apatow fit ses premiers pas dans des cafés théâtres avant de se tourner vers l’écriture de sketchs pour des shows télévisés – dont The Ben Stiller Show – puis signa ses premiers scénarios de cinéma. Il retrouva Ben Stiller en 1996 en produisant son premier long-métrage en tant que réalisateur (l’excellent Disjoncté interprété par Jim Carrey) et enchaîna avec la création de deux séries télévisées culte (Freaks and Geeks, Les Années campus) qui n’obtinrent qu’un succès d’estime. Le tournant eut lieu en 2005 où, après le succès de deux de ses productions (Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy et Ricky Bobby : roi du circuit d’Adam McKay avec Will Ferrell), il cassa la baraque avec 40 ans, toujours puceau (produit, écrit et réalisé par lui-même). En cloque, mode d’emploi, deux ans plus tard, frappa encore plus fort.
Devenu star d’Hollywood, Apatow multiplia les productions parmi lesquelles on pêche quelques petits chefs-d’œuvre comme Walk Hard, Rien que pour vos cheveux, Délire Express ou Frangins malgré eux. L’univers de l’artiste se déploie à travers un groupe d’acteurs (Seth Rogen, Jonah Hill, Paul Rudd, Jason Segel, James Franco…) et de réalisateurs (Nicholas Stoller, Jake Kasdan, Steven Brill…) que l’on croise d’un projet à l’autre. La recette du cocktail : des histoires d’adolescents attardés, trentenaires ou quadragénaires, dont les inhibitions et les obsessions sont un jour confrontées aux responsabilités de l’âge adulte. Judd Apatow mêle l’humour le plus débridé et le plus graveleux (à l’instar des frères Farrelly, il ose taper en dessous de la ceinture) aux sentiments. L’Amérique que ce moraliste potache nous montre est à la fois puritaine et pornographique, tiraillée entre la frustration sexuelle et l’hédonisme sauvage, rongée par le communautarisme et l’exacerbation identitaire. Cette peinture n’est pas sans rejoindre – sur un ton plus badin – celle d’un Michel Houellebecq sondant les reins du mâle occidental tout en pourfendant l’idéologie libérale-libertaire du « jouir sans entraves ».
Sorti en 2009, Funny People, son troisième film en tant que metteur en scène, échec public et critique en France comme aux Etats-Unis, porte à sa quintessence le monde d’Apatow tout en interrogeant ses fondements. George Simmons, un comique de stand up devenu une énorme star de cinéma, apprend qu’il va mourir d’une leucémie. Il décide alors de renouer avec ses premières amours – la scène et son ex-femme – et de prendre sous son aile un jeune comédien inconnu qu’il charge d’écrire pour lui… D’inspiration autobiographique (autant du côté de Judd Apatow que de son interprète principal Adam Sandler qui signe une composition époustouflante), Funny People impose dans ses plus grands moments un étrange cocktail entre le rire et le tragique. A l’inverse de ce que l’on a l’habitude de voir, ces deux registres ne se succèdent pas, mais se déploient ensemble dans les mêmes scènes. Le mariage de l’humour potache et de la mélancolie, du scabreux et du funèbre, du lumineux et du crépusculaire crée ainsi un climat aussi poignant qu’envoûtant que le cinéaste ne parvient tout à fait à maintenir dans la seconde partie malgré un casting de grande classe (Seth Rogen, Jason Schwartzman, Leslie Mann, Jonah Hill et Eric Bana). Ont suivi depuis le génial 40 ans : Mode d’emploi et le très décevant Crazy Amy. Hey Judd, on attend la suite…