A l’occasion du quarantième anniversaire de sa fondation, l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers, organisait un grand week-end de célébration, la deuxième Rencontre Internationale consacrée aux Cuivres Anciens, à leur pratique et à leur répertoire. Déjà en 2006, la formation toulousaine avait fêté le trentième anniversaire de sa création par la réalisation d’un grand symposium. Cette année, du 20 au 23 octobre, concerts, conférences et expositions d’instruments, couplés à un triple concours international centré sur les instruments emblématiques de l’ensemble, ont réuni à Toulouse un aréopage de grands musiciens internationaux de ce domaine. Les passionnés de musique ancienne, de musique en général, ont apprécié l’événement.
Venise sur Garonne
Afin de célébrer dignement cet anniversaire, Les Sacqueboutiers ont invité les plus prestigieux musiciens du moment, présents comme membres du jury, à rejoindre leur propre formation dans une reprise exceptionnelle de leur programme mythique « Venise sur Garonne ». Le répertoire illustré lors de ce grand concert d’ouverture, le 21 octobre à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, plongeait au cœur de la Renaissance vénitienne. Il rend un hommage spécifique à l’immense compositeur que fut Giovanni Gabrieli, et particulièrement à ses fameuses Symphoniae Sacrae qui constituent l’épine dorsale de ce luxueux programme.
Près de trente musiciens participent ainsi à cette ambitieuse résurrection, dans des conditions qui approchent celles qui prévalaient en la Sérénissime République. Certes, l’excellente acoustique de l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines reste encore éloignée de celle, particulièrement sonore et résonnante, de Saint-Marc de Venise. En outre, l’architecture de la belle salle toulousaine ne permet pas la même séparation spatiale entre les chœurs d’instruments. Néanmoins, la mise en espace de ces chœurs, constitutive de la musique composée pour ces occasions festives, joue à plein.
L’essentiel des pièces présentées provient donc des deux recueils connus des Symphoniae Sacrae de Giovanni Gabrieli, publiés respectivement en 1597 et 1615. A deux, trois, quatre ou même cinq chœurs, les dialogues musicaux se succèdent sous la direction de Jean-Pierre Canihac, coordonnateur avisé des forces en présence.
Les canzoni se succèdent, déployant une prodigieuse variété d’instrumentation, un luxe étonnant de sonorités, de couleurs et d’échanges. Chaque chœur réunit tantôt un ensemble complet de registres, mélangeant cuivres, cordes et instruments à anche, tantôt des groupes homogènes, comme cet étonnant quatuor de bassons, du plus grave au plus aigu, ce dernier évoquant un modèle réduit de doulcène ! Si les cornets (jusqu’à quatre instruments) et les sacqueboutes (jusqu’à un pléthorique ensemble de dix, au milieu desquels se retrouvent David Locqueneux et Fabien Dornic, deux membres de l’Orchestre national du Capitole !) se taillent la part du lion, on admire les participations des violons (et alto), des bassons et, cerise sur le gâteau, de pas moins de trois orgues positifs qui soutiennent admirablement les développements musicaux des groupes instrumentaux.
Chaque pièce possède un caractère particulier que souligne la direction à la fois précise et souple de Jean-Pierre Canihac. Ainsi la triomphale Canzon duodecimi toni in eco a 10, qui ouvre la série, est suivie de la Canzon quarto toni a 15, sombre et dramatique à laquelle les sacqueboutes confèrent une belle austérité. La tranquille beauté de la Canzon duodecimi toni a 10 pour laquelle les instruments sont distribués par famille, rejoint le calme émouvant de la Sonata « Piano & forte » aux accents funèbres. Et puis quelques trésors se contentent de petits effectifs, comme cette Sonata XXI à trois violons, intimité de musique de chambre. L’un des grands moments de la soirée est porté par la Canzon in eco à trois cornetti, l’une des rares œuvres de la soirée qui ne soit pas de Gabrieli, mais de Giovanni Martino Cesare. En écho au cornetto de Jean-Pierre Canihac, seul sur scène avec le continuo, répondent en coulisse deux autres cornetti : un instant magique et raffiné, hors du temps, émouvant dans sa simplicité.
La soirée se conclut sur une débauche d’instrumentation. La Sonata XX a 22 répartit son écriture en cinq chœurs d’instruments distribués sur l’ensemble du plateau de l’auditorium, dialoguant ainsi sur une riche polyphonie à vingt-deux voix. Alors qu’on s’attend à un feu d’artifice éclatant de virtuosité, c’est au contraire une succession d’échanges et d’incantations musicales d’une solennelle beauté qui emplit la salle. La précision des jeux de chacun, les équilibres sonores parfaitement réalisés, la richesse des couleurs qui se combinent idéalement alimentent ces étonnantes vagues de musique qui semblent atteindre le ciel…
L’enthousiasme du public rappelle instamment l’ensemble des participants sur scène pour une nouvelle exécution de cette pièce miraculeuse.
Le feuilleton des concours
Le concours instrumental comprenait trois disciplines : le cornet à bouquin, la sacqueboute, l’ensemble instrumental. Le jury, présidé par le grand tromboniste Michel Becquet, était composé d’artistes internationaux de grand renom : Adrien Mabire, Lluis Coll i Trulls, Gebhard David, Jeremy West, Wim Becu, Jean-Pierre Mathieu, Fabrice Millischer, Adam Woolf.
12 candidats se sont présentés au concours de cornet à bouquin, 19 à la sacqueboute et 8 ensembles ont sollicité les suffrages du jury. Les candidats proviennent du monde entier : la France reste bien sûr la nation la plus représentée, mais l’Espagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Croatie, le Canada et le Japon avaient également envoyé des participants.
Ouvertes au public, les demi-finales et les finales ont eu lieu les samedi 22 et dimanche 23 octobre 2016 à l’auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines de Toulouse. A l’issue des finales, deux prix dans chaque catégorie étaient destinés à récompenser les musiciens vainqueurs. Ce fut le cas pour la section des cornets à bouquin. A l’issue d’une finale de haut niveau, le 1er prix a été attribué à la jeune Sarah Dubus, élève du Conservatoire de Lyon, le second à Clément Formatche qui a mené ses études au Conservatoire de Karlsruhe.
La finale consacrée à la sacqueboute s’est avérée particulièrement disputée du fait du très haut niveau des candidats. Le jury a donc exceptionnellement décidé d’attribuer trois prix. Deux 1ers prix ex-aequo ont récompensé Guilhem Kusnierek (du Conservatoire de Lyon) et Aymeric Fournes (ce dernier étant en outre membre du pupitre de trombone de l’Orchestre national du Capitole). Un prix spécial a été créé et attribué à Arnaud Brétécher, le seul finaliste jouant la sacqueboute basse.
Enfin, deux ensembles ont été récompensés. Le 1er prix a été attribué à « Dichos Diabolos », originaire d’Espagne, composé d’un cornet à bouquin, d’un violon, d’une sacqueboute, d’une viole de gambe, d’un basson et d’un clavier (clavecin ou orgue). Le 2ème prix est allé à « Sacqueboutae », un ensemble français de cinq sacqueboutes et une percussion. L’originalité des programmes a été prise en compte à côté des qualités techniques des candidats et de leur musicalité. Tous ces verdicts ont été longuement applaudis par l’ensemble des participants et le public venu en nombre assister à ces concours.
La réussite de ce long week-end de célébration doit beaucoup aux deux co-directeurs de cet ensemble hors norme, Jean-Pierre Canihac et Daniel Lassalle, tous deux virtuoses musiciens de leur instrument respectif, le cornet à bouquin et la sacqueboute.
Longue vie aux Sacqueboutiers !
Serge Chauzy
Une chronique de ClassicToulouse
Crédits Photos :
L’ensemble des musiciens participant au concert « Venise sur Garonne » © Pauline Sauret
Cornets à bouquins et sacqueboutes lors d’une Canzon de Gabrieli dirigée par Jean-Pierre Canihac © ClassicToulouse
Les cinq choeurs d’instruments de la Sonata XX à 22 voix © Florence Canihac
Les vainqueurs du concours de cornet à bouquin – Sarah Dubus (1er Prix), Clément Formatche, (2ème prix) © Sacqueboutiers
Les vainqueurs du concours de sacqueboute – Guilhem Kusnierek, Arnaud Brétécher (sacqueboute basse), Aymeric Fournes © Sacqueboutiers
L’ensemble « Dichos Diabolos », 1er prix du concours d’ensemble © Sacqueboutiers
L’ensemble « Sacqueboutae », 2ème prix du concours d’ensemble © Sacqueboutiers