Je vous invite aujourd’hui à vous laisser (sur)prendre par quelque chose qu’on pourrait qualifier de langueur énergisante (je me rends bien compte qu’en première lecture, ça donne l’impression que je raconte n’imp’) (mais faites moi confiance).
Si vous allez voir Aquarius, j’ai le sentiment que c’est ce que vous éprouverez, à travers ce que ce film procurera à votre petit corps.
Malgré ce que laisse présager le titre, il ne sera pas question de rendre visite à des poissons ni d’épiloguer sur un signe zodiacal gémellaire, avec Aquarius vous serez plutôt témoin d’une tranche de vie brésilienne un peu inhabituelle.
Le point de départ est simple : Carla, la soixantaine, vit dans un immeuble du bord de mer à Récife. Elle occupe un appartement que sa tante lui a légué dans les années 80. Cet appartement contient toute sa vie, elle y a élevé des enfants, pratiqué des activités de journaliste musicale, connu la maladie, la perte d’un mari … Pour autant, Carla n’a rien d’une pleureuse qui se contemplerait le nombril, c’est une femme douce mais au caractère bien trempé, une femme qui a eu une vie bien remplie quoi.
Sans qu’elle en ait pris vraiment la mesure, l’Aquarius (car c’est le nom de l’immeuble) s’est vidé de ses occupants, les appartements ont été rachetés les uns après les autres.
Carla se retrouve donc seule à occuper les lieux, encouragée par son propriétaire à imiter ses voisins, si possible sans faire trop d’histoires.
Sauf que la vieille dame (j’ai bien du mal à la nommer ainsi, vous comprendrez bientôt pourquoi) n’a aucune envie d’aller habiter ailleurs. Elle va donc résister. À sa façon.
Kleber Mendoça Filho signe un film atypique, une bizarrerie qui se partage (comme je vous le disais en introduction) entre douceur de vivre (en cause le pays, le bord de mer) confinant presque à la léthargie (les températures qu’on imagine tropicales, la lumière, le rituel des siestes, une certaine façon de filmer la solitude de Clara) et énergie considérable (l’aura qui émane d’elle, son combat, les musiques qui composent sa bande son, le tempo des dialogues). Le mariage est assurément particulier, l’atmosphère qui se diffuse connaît peu d’équivalent mais c’est une garantie pour le spectateur consentant d’éprouver de suaves sensations.
Kleber Mendoça Filho signe donc un sacré portrait de femme (perso, voilà le genre de personne à laquelle il me plairait de ressembler d’ici quelques années), aussi douce qu’elle peut se révéler indomptable, une femme qui a connu son lot d’épreuves mais qui pour autant (et même si on sent chez elle les nombreuses fêlures) n’est pas devenue amère, une femme qui se connaît bien et a fait la paix avec ses contradictions.
Tous les acteurs sont (certainement) très bien mais je n’ai retenu qu’elle, je n’ai vu qu’elle (elle est de tous les plans, ça aide pas mal il faut dire), Sonia Braga est lumineuse, belle, fougueuse et incarne merveilleusement cette Clara, avec un je ne sais quoi dans le regard qui fait penser que tout n’est peut – être pas fiction dans ce long – métrage.
Aquarius est un film se révélant insolent par certains aspects, qui désarçonne, un portrait en creux d’une société brésilienne en perpétuelle mutation, se débattant avec ses paradoxes.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio