Saison 2016/2017 du TNT
Si Agathe Mélinand et Laurent Pelly ne s’envoleront vers d’autres cieux qu’à la fin de 2017, terme de leur troisième mandat, 2016/2017 sera leur dernière saison complète à la direction du TNT. Avant de regarder dans le rétroviseur de ces bientôt neuf années (eh oui…) de programmations mélino-pelliennes, jetons un œil sur celle qui s’annonce, bien à l’image de tout ce que le duo a proposé jusqu’alors. Adaptations de grandes œuvres littéraires, comédiens, metteurs en scène, musiciens et auteurs habitués du lieu, spectacles chorégraphiques et… volatiles sont au programme. Tour du (non) propriétaire.
Saint Laurent d’Assise, le prêche aux oiseaux
Il sera souvent question d’oiseaux cette saison dans les pièces mises en scène par Laurent Pelly, à commencer par sa grande création annuelle (la dernière au TNT). Pour cet ultime rendez-vous avec le public toulousain du 18 avril au 13 mai, il a choisi de porter sur scène Les Oiseaux d’Aristophane (traduction d’Agathe Mélinand). Un pari un peu fou que celui de monter cette utopie poético-politico-religieuse écrite en 414 avant J-C. Deux Athéniens, Évelpide et Pisthétère, fuient Athènes la corrompue guidés par un geai et une corneille pour se rendre à la demeure de Térée, ancien roi de Thrace transformé en huppe. Ils arrivent à convaincre le peuple ailé qu’il peut reprendre le pouvoir que lui ont volé les dieux et fondent, entre terre et Olympe, Coucouville-sur-Nuages… Voilà le décor planté, reste à savoir comment sera représenté le royaume des oiseaux, leurs chants et leurs piaillements. Force percussions sont annoncées dans cette création dont l’univers visuel et sonore pourrait prolonger ce que Laurent Pelly a fait et très bien réussi dans ses versions du Songe d’une nuit d’été et de L’Oiseau vert.
L’Oiseau vert (traduit lui aussi par Agathe Mélinand) sera justement reprogrammé en début de saison, du 15 au 19 novembre, un an et demi après sa création dans le même lieu. Mi-fable, mi conte philosophique, la pièce de Carlo Gozzi, avec son mélange de cruauté, de grotesque, de burlesque et de merveilleux, est le terrain de jeu idéal pour l’inventivité et l’atmosphère onirique des mises en scène de Laurent Pelly. On y retrouvera avec plaisir Marilù Marini et Georges Bigot au milieu d’une bande de comédiens épatants. Mauvais sorts, métamorphoses, fées, reine-mère méchante comme une teigne, roi faible et dépressif, enfants royaux abandonnés et confiés à un couple de charcutiers… et un oiseau magique qui plane au-dessus de tout ça. Un bonheur de théâtre.
Les invités : Bory, « le poète de l’espace » et Gosselin, « le fou raisonnable »
« Poète de l’espace », c’est ainsi que Laurent Pelly définit le Toulousain Aurélien Bory dont plusieurs créations ont été programmées par le TNT ces dernières années. Un compagnonnage et une complicité artistique qui désignaient tout naturellement le fondateur de la Compagnie 111 à être un jour artiste invité du CDN toulousain. Metteur en scène, scénographe, concepteur d’installations, on ne sait dans quelle case ranger ce créateur singulier et protéiforme. C’est lui qui ouvrira la saison avec son installation Spectacula à découvrir du 30 septembre au 19 octobre. En latin, « spectacula » signifie littéralement « les places au théâtre ». Du plateau où il est convié à se déplacer, le visiteur sera mis en présence d’une boucle de lumière sans début ni fin projetée sur les fauteuils de la salle, dans un enchaînement aléatoire qui se termine inévitablement par l’extinction des feux. En laissant la place à l’imaginaire du spectateur (une constante du travail d’Aurélien Bory) pour le confronter à la question : « Qu’est ce qu’un théâtre ? ».
Seconde proposition de l’artiste toulousain du 13 au 17 décembre, Espæce, déjà présenté en avant-première en fin de saison dernière puis au Festival d’Avignon cet été. La superposition de deux mots pour ce titre oulipien qui aurait certainement plu à Georges Perec, auteur d’Espèces d’espaces, le livre dont est inspirée cette création. Un « spectacle impossible » selon son concepteur tant le texte de Perec semble difficile à adapter sur un plateau de théâtre. Une piste tout de même, cette affaire de superposition qui n’est pas qu’une figure de style mais ce qu’Aurélien Bory explore dans son approche de l’espace théâtral et son rapport au public : « mettre l’espèce dans l’espace, ou même faire en sorte que l’espace et l’espèce coïncident ».
L’autre artiste invité de cette saison n’est pas un inconnu du public du TNT puisqu’il s’agit du jeune metteur en scène Julien Gosselin. Ce même pas trentenaire (il aura trente ans en 2017) proposera sa nouvelle création du 26 novembre au 8 décembre. Après avoir adapté Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq et L’Homme incertain de Stéphanie Chaillou (sous le titre Le Père), Gosselin s’attaque cette fois-ci à 2666, livre inachevé et posthume de l’auteur chilien Roberto Bolaño. Porter sur scène le roman de Houellebecq était une folie… qu’il s’empresse de rééditer avec celui de Bolaño ! Folie ? Julien Gosselin a l’avantage d’être un fou raisonnable, condition nécessaire à la réussite de ses entreprises de casse-cou de l’adaptation. Mais comment transposer sur un plateau les 1 000 pages de 2666 ? Réponse : avec une intégrale de 12 h ou un triptyque en trois soirées de 3h30. Pour ceux qui voudront y assister, en une ou en trois fois, on précisera que le roman est découpé en cinq parties de longueur inégale pouvant se lire comme des histoires autonomes. Deux fils conducteurs cependant : le mystérieux écrivain allemand Benno von Archimboldi et la ville mexicaine de Santa Teresa où se multiplient des assassinats de femmes. La force de la littérature, de la poésie, face à la violence des hommes. Un combat perdu d’avance ? Certes. Une œuvre puissante, complexe, pour un défi théâtral colossal.
Quelques habitués
Si L’Envol des cigognes sera présenté au TNT du 7 au 11 mars, pas d’oiseaux dans ce spectacle contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire. La seule plume concernée est celle de Simon Abkarian, habitué du lieu depuis plusieurs années. Il y revient avec cette pièce écrite et mise en scène par ses soins, pour clore sa trilogie sur les femmes et la Méditerranée commencée avec Pénélope ô Pénélope et poursuivie avec Le Dernier jour du jeûne. Tragi-comédie de quartier ayant la guerre civile en toile de fond, ce dernier volet nous fait pénétrer dans un monde d’hommes et surtout de femmes inscrits dans une tradition séculaire. Le pire et le meilleur, l’amour des mères et la folie meurtrière des hommes s’y côtoient pendant que la vie continue au milieu du crépitement des armes. Dans la foulée de L’Envol des cigognes, Simon Abkarian enchaînera du 14 au 18 mars par Le Dernier jour du jeûne, volet précédent de sa trilogie. Les souvenirs de la jeunesse libanaise de l’auteur dans ce huis-clos qui rappelle par bien des côtés l’ambiance de certaines tragi-comédies à l’italienne, avec ses personnages pris au piège d’une famille étouffante sur laquelle la tradition repose comme un couvercle. Paix armée ou guerre sourde, qu’est-ce qui relie ces hommes et ces femmes si ce n’est la peur qu’ils ont les uns des autres ?
Il y a beaucoup de musique dans les pièces de Simon Abkarian, il y en aura aussi pour l’une des soirées de Spectacula. Une séance intitulée Le piano et l’infini avec Jean-François Zygel, autre habitué de la grande salle. Après avoir accompagné au piano les images de chefs d’œuvre du cinéma muet lors des saisons précédentes, le célèbre et très médiatique pianiste improvisera le 15 octobre lors des divagations lumineuses de l’installation d’Aurélien Bory. Intrigant.
Joël Pommerat, un de nos dramaturges contemporains les plus féconds, revient lui aussi au TNT mais, chose étonnante, avec un spectacle pour le jeune public. Après Les Marchands et Au monde il y a deux saisons, après Fin de Louis la saison dernière, c’est sur le conte du Petit Chaperon rouge que Pommerat a jeté son dévolu pour écrire sa propre version de l’histoire. Le rapport à la nature et à l’animalité, à leurs beautés et leurs dangers, y sera particulièrement mis en avant de même que celui qu’entretient chaque enfant avec la peur. La création est programmée au TNT du 13 au 17 décembre et les grands sont attendus au même titre que les petits pour redécouvrir tous les niveaux de sens de ce classique du conte pour enfants.
On a souvent vu Pippo Delbono au TNT ces dernières années et on l’y verra encore cette saison. D’abord les 9 et 10 mai pour un premier spectacle-concert où il prêtera sa voix et son talent à une version très personnelle de La Nuit juste avant les forêts sous le titre La Notte. Une énième version du long monologue de Bernard-Marie Koltès penseront sans doute certains. Pas tout à fait tout de même puisque François Koltès, le frère de Bernard-Marie, l’a autorisé à couper et retravailler le texte original. Une approche nouvelle de l’écriture et de l’œuvre de Koltès pour laquelle il sera accompagné du musicien Piero Corso. Pippo Delbono prolongera le plaisir du 11 au 13 mai avec Amore e carne (Amour et chair), un autre spectacle-concert. L’histoire de sa rencontre avec le violon, celui dont jouait son père lorsqu’il rentrait du travail, empêchant l’enfant de dormir. Jusqu’à ce que l’instrument soit vendu et disparaisse de sa vie avant d’y ressurgir longtemps après sous l’archer du violoniste roumain Alexander Balanescu, auteur des musiques de ce spectacle où il partage la scène avec le comédien italien. Le violon et les mots de Pasolini, Rimbaud, Whitman et T.S Eliot pour retrouver les fils mystérieux qui relient les gens et leurs histoires par-delà la mort et les différences. La musique comme langage universel, lien secret entre les êtres et les choses.
Des chorégraphes et des danseurs
Il y aura aussi plusieurs spectacles chorégraphiques au TNT durant cette saison 2016/2017. Autre artiste toulousain de la même génération qu’Aurélien Bory, Pierre Rigal présentera dans sa ville, les 19 et 20 janvier, Même, un spectacle autour du mythe d’Œdipe mêlant danse, chant, musique et mots, créé lors du dernier festival Montpellier Danse. Du 2 au 4 février, le chorégraphe et metteur en scène belge Alain Platel revient au TNT avec ses Ballets C de la B, et une création en cours de conception inspirée par la musique et l’époque de Gustav Malher. Malher Projekt est l’actuel titre de travail de ce spectacle consacré à l’un des plus merveilleux compositeurs de la période romantique. Le chorégraphe britannique Akram Khan investira lui le plateau du TNT du 25 au 27 avril avec Chotto Desh, un spectacle qui s’inspire de son enfance au Bengladesh. Outre les scènes et les ambiances évoquées par la danse et la musique, contes et récits sont traduits en images d’animation pour des tableaux très poétiques. Un ravissement.
Et encore des (grandes) plumes
Celles des écrivains dont les œuvres seront portées sur la scène du TNT cette saison. Ont déjà été évoqués Perec et Bolaño mais il y en aura beaucoup d’autres et pas des moindres. Le moins connu est peut-être Georg Trakl, poète austro-hongrois à la vie et à l’oeuvre fulgurantes, mort d’une overdose de cocaïne en novembre 1914. Claude Régy s’empare de cette vie tourmentée – rongée par la drogue, l’alcool, la culpabilité d’un inceste avec une jeune sœur – et de cette œuvre cosmique « où l’on entre dans un mode de perception au-delà de la pure intelligibilité ». Qui peut avoir été celui qui l’a écrite ? Tentative de réponse avec Rêve et folie à voir du 15 au 19 novembre sur la scène du Petit théâtre.
Autre suicidée des lettres européennes, l’Anglaise Virginia Woolf à qui Isabelle Lafon rend hommage du 10 au 14 janvier en adaptant et mettant en scène son Journal sous le titre Let me try. Écrit entre 1915 et 1941, année de sa mort, ce journal plein de vitalité et de drôlerie révèle des aspects inattendus de la romancière, notamment dans son rapport à l’écriture et à son entourage. On y découvre ses états d’âme, ses sentiments, ses interrogations, et des portraits parfois acerbes des personnes qu’elle fréquentait. Une étonnante et passionnante plongée au cœur de l’intimité d’un des plus grands auteurs du XXème siècle. On notera qu’Isabelle Lafon, dans le cadre de ce diptyque intitulé Les Insoumises, reprendra les 13 et 14 janvier Deux ampoules sur cinq, son adaptation des entretiens entre la journaliste Lydia Tchoukovskaïa et la grande poétesse soviétique Anna Akhmatova.
David Ayala est un excellent comédien que l’on verra cette saison au TNT dans la distribution des deux pièces de Simon Abkarian mais aussi au Sorano dans Macbeth, the notes. Il est également le metteur en scène de spectacles conçus à partir de textes d’auteurs, penseurs et théoriciens très critiques à l’égard de notre modernité. Après Scanner il y a quelques années, sa nouvelle création a pour titre Le Vent se lève (Les idiots/irrécupérables) et sera présentée au TNT du 24 au 28 janvier. Dénominateur commun aux deux créations, Guy Debord, fondateur et théoricien du Situationnisme, dont l’œuvre la plus connue, La Société du spectacle, est souvent citée sans avoir été vraiment lue. En sus de ceux du penseur situationniste, on trouve dans ce spectacle des textes de Pasolini, Sade, Edward Bond et du très regretté Philippe Muray. L’abrutissement des masses perpétré par notre société marchande spectaculaire a permis l’avènement d’un être qui règne en maître sur notre époque : l’idiot. Réflexion critique et joyeuse sur l’idiotie du temps, Le Vent se lève nous tend un miroir où nous pourrions bien nous reconnaître. Il ne faut pas en avoir peur. Sonder sa propre idiotie est toujours salvateur.
L’Idiot, titre d’un des plus grands romans de Dostoïevski. Dans la bibliographie de l’immense romancier russe émerge aussi Les Frères Karamazov, son dernier livre, monument parmi les monuments de la littérature mondiale. Qui l’a lu ne peut oublier les tourments intérieurs et les relations complexes qui unissent Dimitri, Ivan, Aliocha et Smerdiakov, ces quatre fils d’un père vulgaire et sans scrupules qui sera assassiné par l’un d’entre eux. Jean Bellorini (encore un habitué du TNT) adapte et met en scène cette oeuvre vertigineuse où les questions de Dieu, du libre arbitre, de la morale, de la cruauté humaine, de la responsabilité et de la culpabilité ne lâchent ni les personnages ni le lecteur. Qui est coupable ? Où est le bien, où est le mal ? Suis-je bon ou suis-je mauvais, moi qui me prends à juger les uns et les autres… Karamazov sera donné dans la grande salle du 22 au 25 mars.
D’un géant littéraire l’autre, de Dostoïevski à Proust, la dernière création de la saison sera réalisée par Agathe Mélinand et consacrée à l’auteur d’À la Recherche du temps perdu. Non pas à un des sept tomes de La Recherche justement mais à Jean Santeuil, livre de jeunesse commencé en 1895 et jamais achevé, dont les fragments seront finalement rassemblés et publiés en 1952, trente ans après la mort de l’auteur. Beaucoup de passages de La Recherche se trouvent en gestation dans Jean Santeuil et c’est un des grands intérêts du livre avec les aspects autobiographiques, Proust y décrivant ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, les lieux qu’il a fréquentés, ses idées et sa vision de l’art. Agathe Mélinand, proustienne inconditionnelle qui aime décidément les artistes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, s’est entourée de ses comédiens fétiches (Emmanuel Daumas, Eddy Letexier) pour « une approche en laboratoire de Jean Santeuil ». Fruit de leur travail en répétitions, Vers Santeuil sera présenté au public du 16 au 20 mai. Une rareté à déguster comme une madeleine.
Bonne saison à tous !
Accueil et réservations : 05 34 45 05 05
Tout le détail de la programmation sur : www.tnt-cite.com.
Crédit Photos
Laurent Pelly / Agathe Melinand © Polo Garat – Odessa
Les Oiseaux Aile de rollier bleu © Albrecht Durer (Albertina Autriche Bridgeman)
L’Oiseau vert @ Polograt
Spectacula © Compagnie 111
2666 © Simon Gosselin
Le dernier jour du jeûne © Antoine Agoudjian
Pippo Delbonno © Chiara Ferrin
Même © Pierre Grosbois
Reve et Folie / Deux ampoules sur cinq © Pascal Victor
Le vent se lève © Henri Granjean
Karamazov © Victor Tonelli