« Juste la fin du monde » de Xavier Dolan
Le dernier opus de Xavier Dolan, récompensé à Cannes par le Grand Prix ainsi que le Prix du Jury œcuménique, est une véritable parabole d’une autre parabole, celle du Fils Prodigue, histoire que raconte Jésus et que rapporte Saint Luc dans son Evangile.
Pour l’heure, le réalisateur québécois s’inspire plus directement et très précisément de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce (1957-1995). Où il est question de Louis, un jeune écrivain ayant quitté brutalement sa famille plus de dix ans auparavant et qui, se sachant condamné par une maladie sans appel, veut renouer les liens rompus avec les siens, leur annoncer sa fin prochaine, retrouver ses racines, peut-être aussi demander pardon avant le grand saut. Autour de la table qui l’accueille sans enthousiasme sont donc réunis sa mère, Antoine son frère ainé et sa femme Catherine, dont Louis fait la connaissance, et sa sœur Suzanne. Très rapidement, un lien fraternel plus que ténu semble relier cette fratrie. Jalousie, rancune, envie, violence, semblent animer des échanges chargés de sous-entendus. La tempête couve. Le moment de la vérité arrive…
Dans ce huis clos particulièrement étouffant et anxiogène, Louis essaie, en vain, de trouver sa place. Par contre, et tel le Messager pasolinien, il va être le révélateur du mal être des siens. Chacun, à sa manière, va déchirer le voile de convention qui l’entoure. Louis se dématérialise au beau milieu de cette impossibilité à communiquer. Il ne dit mot, encaisse, ne juge pas, il n’est plus qu’un prétexte. Pour cet exercice ultra délicat et virtuose porté par une langue et des mots d’une précision de scalpel, Xavier Dolan a réuni un quintette hallucinant de justesse : Nathalie Baye (la mère), Vincent Cassel (Antoine torturé jusqu’au plus profond de son âme, magnifique, somptueux, inoubliable), Gaspard Ulliel (Louis tel un ange d’une certaine Visitation déjà en partance pour un ailleurs… dont les regards perdus sont d’une abyssale profondeur, bouleversant). Il y a même Léa Seydoux (Suzanne) et Marion Cotillard (Catherine), deux actrices au jeu assez sommaire d’habitude et qui, ici, arrivent à donner un certain corps à leurs personnages. Filmant au plus près les protagonistes de ce drame familial, de cette rencontre qui n’aura finalement pas lieu, Xavier Dolan signe un opus d’une puissance dévastatrice.
Robert Pénavayre
Xavier Dolan face à lui-même
Couvert de prix prestigieux, celui qui réalise son premier long à 20 ans (J’ai tué ma mère, en 2009) proposera son neuvième opus l’an prochain ! Salué unanimement autant par la critique que par le public, ce jeune québécois est le cinéma à lui tout seul, ayant embrassé déjà les métiers d’acteur, de réalisateur, de producteur, de scénariste, de monteur et de costumier. Autodidacte de génie, loin des circuits balisés du 7ème art, Xavier Dolan expose un cinéma fait d’émotions qui ne se réfère à rien si ce n’est à son talent. Les musicologues se demandent ce que Mozart aurait pu composer s’il avait vécu plus de 35 ans. Aujourd’hui Xavier Dolan, 27 ans, se trouve confronté à lui-même, ayant déjà à son corpus des œuvres majeures du cinéma contemporain. Que nous réserve-t-il ? En a-t-il la moindre idée ? Ce qui est sûr, c’est qu’il ne retournera pas à Cannes. Ainsi en a-t-il décidé !