Seul, tout d’abord, en récital, puis le lendemain, avec ses complices tout aussi inspirés du Quatuor Modigliani, le jeune pianiste a offert deux prestations conséquentes. En économie, on parle de conjonction favorable des planètes. Il y a un peu de ça dans ces deux moments que les auditeurs ont ressenti comme un privilège. Le lieu, sûrement, pétri d’histoire mais aussi de notes imprégnées sous les doigts des plus grands. Le public, d’une écoute rarement aussi attentionnée, fervent et déjà ponctué de nombreux fidèles, la famille, les souvenirs du collège tout proche ! et bien sûr, le programme, celui du récital intitulé « 1830, la génération des romantiques », et le lendemain, deux concerts dans la soirée consacrés à Robert Schumann, romantique s’il en est, avec des œuvres datant de l’année des chefs-d’œuvre, 1842. Nous sommes dans les Quatuors et le Quintette pour piano et cordes.
Voir l’article-annonce de Jérôme Gac du 3 juillet intitulé : les classiques de l’été.
Gardons-nous de passer à la moulinette les œuvres interprétées ce qui n’a aucun intérêt ici, mais on se doit de remarquer et de faire savoir qu’Adam Laloum est déjà repéré depuis plusieurs années, comme étant, encore jeune pianiste ! mais déjà grand artiste et poète, chez qui on est persuadé, dès les premières notes, que l’artiste est bien musicien d’abord et virtuose ensuite, sans emphase, ni esbroufe.
Plutôt que de s’étendre sur des considérations analytiques, écoutons-le nous donner quelques clés qui guident son interprétation : « …Je crois que nous aimons tous quand la musique est jouée naturellement, je fais donc tout mon possible pour préserver ce naturel, qui nous échappe si souvent et que l’on peine à retrouver. Un naturel déjà faussé à la base par nos connaissances et nos névroses…Souvent ce naturel n’arrive qu’après des heures de “prises de tête“ avec la partition, c’est un moment plutôt gratifiant dans le travail d’interprétation. »
Mais encore : « Evidemment, l’époque dans laquelle nous vivons, exige une grande solidité mentale, mais Schumann est mort fou, Chopin était très dépressif, et je crois que pour être un bon interprète, il faut une sorte d’empathie, essayer de pénétrer dans le monde des compositeurs, cela demande beaucoup d’intelligence et de sensibilité. Les expériences de la vie (intérieure et extérieure) sont très importantes, elles font les interprètes que nous sommes. Il me semble que parfois, on perd le sens des priorités, la dimension artistique de notre métier, bien que nous ne soyons que des interprètes. » Le fil conducteur est donc simple, modestie et effacement devant le compositeur.
Avec la Vallée d’Obermann en ouverture de récital, c’est tout de suite entrer dans le vif du sujet. Et confirmation que notre toulousain peut jouer tout Liszt. Suivent les 18 petites pièces de Schumann, les Davidbuendlertänze : il peut aussi jouer tout Schumann. Et enfin, on peut oublier les “anciens“ dans Chopin, les Lipatti, Arrau, Cziffra et autres, seuls capables à ce qu’il paraît de faire ressortir les affres du romantisme. La Fantaisie en fa mineur suivie de la Sonate n°3 en si mineur, magistrale, nous ont convaincus que le jeune musicien peut se plonger corps et âme dans l’univers pianistique du romantique de légende. Chopin lui appartient aussi. Et puis, pour reprendre une formule : « le romantisme vous va si bien ! »
Pour clore ce récital déjà conséquent, Adam Laloum nous assène le coup de grâce avec trois “encore“ de Schubert, un Scherzo de la Sonate n° ? puis deux Moments musicaux. L’étincelle dans son regard semblait traduire un certain ravissement, facile à comprendre, mais elle sera plus intense encore et significative à la fin du récital le lendemain avec les quatre musiciens du Quatuor Modigliani, m’a-t-il semblé.
« Adam a les qualités d’un grand chambriste : il joue magnifiquement, sait être autant à l’écoute qu’il peut être moteur. » dixit l’altiste Miguel da Silva du Quatuor Ysaÿe. Tout est dit en ces quelques mots. Et l’homme paraît comme plus décontracté que seul en récital. Le programme nécessite une certaine “pêche“, de l’ardeur, de la fougue même en maints passages, de la jeunesse quoi ! Et il en faut pour livrer bataille dans la coda épique qui conclut le dernier des trois quatuors de cet opus n°41, une sorte de couronnement de l’opus que nous aurons ainsi entendu dans son intégralité. Le travail abattu est énorme pour arriver à ce degré d’entente entre les quatre protagonistes de l’ensemble.
Même remarque quand c’est le piano qui se glisse à la place d’un violon, et davantage encore quand on passe à cinq, avec le piano qui se rajoute. On est chez Schumann de bout en bout. Jeu nerveux, élan toujours généreux, expression toujours spontanée mais mise en place rigoureuse que viennent vivifier d’indispensables grains de folie, comme dans le second mouvement du Quintette, cette charte du Romantisme musical, les cordes entraînées par un piano souverain et déterminé, imposant sa griffe dans une éclatante démonstration. Pour que la fusion soit totale, au niveau le plus élevé, il en faut des heures de répétition, et d’écoute de l’autre, ou des autres.
On les remercie d’avoir mis dans leur programme le Quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur, peu joué, et pourtant, ô combien représentatif de la fièvre schumanienne, d’un romantisme affirmé aussi bien pour les cordes que pour le piano. Toutes les qualités déjà citées des musiciens se retrouvent, bien sûr, ici aussi.
Pour clore, un “encore“ consistant, les musiciens ne sont pas avares ! avec le mouvement lent, Andante, un poco adagio du Quintette pour piano et cordes, en fa mineur de Johannes Brahms. Après un tel concert, un repos bien mérité leur sera octroyé. A très bientôt.
Michel Grialou
jusqu’au vendredi 5 août,
à Toulouse.
Tél. : 05 62 27 60 71.