L’an passé, la Fondation Bemberg (1) nous régalait avec une exposition remarquable de Majoliques italiennes. Cette année, c’est une exposition non moins remarquable de pièces d’orfèvrerie allemandes des XVI et XVIIème siècles. Et cela jusqu’au 25 septembre.
Pour la première fois en France, sont visibles près de 50 chefs-d’œuvre issus de la collection Rudolf-August Oetker (1916-2007), un florilège (moins de 10%) d’une collection exceptionnelle en dehors des modes, comme celle de Georges Bemberg (1916-2011) : les deux hommes se rejoignaient dans leur goût très sur et leur éclectisme.
Emancipés des commandes liturgiques qui dominaient jusque-là, regroupés au sein de corporations d’orfèvres dotées de statuts et ayant réglementé l’usage des poinçons, véritables signatures, depuis le XIIIème siècle, les artistes purent donner libre cours à leur génie créatif, grâce aux commandes privées, dans l’Allemagne de la Réforme post-luthérienne. Ils s’affranchirent alors du traditionalisme sous l’influence italienne et réalisèrent des prouesses techniques.
Sont visibles à la Fondation Bemberg de grandes pièces d’apparat, du hanap à la chope, destinées à éblouir les invités ; le répertoire ornemental s’est libéré totalement et utilisa une profusion de thèmes naturalistes (navires, nefs, moulins à vent, mais aussi poulaine (chaussure). Dans l’iconographie transparaissent aussi les préoccupations des savants de l’époque passionnés par l’univers végétal et animal. Cette vaisselle (de « vaisseau de table ») précieuse répondait à une nécessité sociale (l’expression du pouvoir), et fut longtemps chargée de vertus surnaturelles ou magiques.
Au delà des techniques de travail (fonte, gravure, ciselure) des métaux précieux, mais aussi de l’émail, la nacre, l’ivoire etc., les artistes devaient acquérir des connaissances très vastes, jusqu’à la conversion des monnaies ; ce qui demandait de longues études sanctionnées par un examen. Autres temps, autre mœurs…
Bien sûr, leurs œuvres, inaccessibles au commun des mortels, étaient toujours réservées à une élite financière, aux nobles et aux cours impériales, ainsi qu’aux grandes dynasties commerçantes et financières; mais il faut reconnaitre le« sens du beau » de ceux-ci pour enrichir leurs « Chambres des Merveilles » dont ils n’ouvraient les portes qu’à quelques rares privilégiés.
Ce privilège est désormais accessible au grand public et nous sommes toujours sidérés devant ces merveilles créées par la main de l’Homme.
C’est toute une facette de l’Histoire de l’Art en Allemagne qui nous est révélé, à travers ces trésors d’orfèvrerie : outre les riches matériaux dont certains exotiques, comme les œufs d’autruche ou les coquillages rares, on est émerveillé par la qualité et la finesse du travail des artisans ; on peut parler d’artistes, comme on le fait pour les peintres Cranach ou Durer, présents dans les deux collections (ce n’est pas un hasard). Témoignages de l’Art occidental dans toute sa splendeur, ces œuvres nous rappellent la magnificence de la Renaissance, même tardive. Le formidable élan des échanges commerciaux s’accompagnait d’une effervescence culturelle sans pareille. L’esprit humaniste transparait dans les thèmes traités, mais aussi une dimension ludique (coupes de mariage…).
On imagine l’œil émerveillé, comme celui d’un enfant, des notables de l’époque, et aujourd’hui tout le monde peut partager ce plaisir esthétique : il suffit de rentrer à la Fondation Bemberg.
C’est toujours un grand plaisir de revenir dans cet Hôtel d’Assézat, héritier d’une grande tradition culturelle, et il faut absolument visiter et faire visiter cette exposition temporaire dans son écrin unique, au cœur de la Ville rose. A une époque où la Culture, dont on parle de plus en plus souvent comme une source de création d’emplois, n’est plus une priorité, la transmission de tout ce qui relève de l’héritage artistique européen, tout ce qui participe d’une éducation visuelle à la Beauté, reste vital.
Le vernissage de cette exposition nous a aussi permis de découvrir le quatuor vocal Il Canto d’Arione (2), lors de l’accueil en musique dans la cour de l’Hôtel d’Assézat. Quatre solistes, la soprano Anne-Laure Touya, le baryton Antonio Guirao Valverde, le ténor Paul Cremazy, le haute-contre Marc Pontus (déjà remarqué dans l’Ensemble Scandicus (3), emmené par Jean-Louis Comoretto et en résidence à Saint Lizier), malgré le brouhaha ambiant, nous ont régalés de quelques chants allemands en correspondance avec l’exposition, de Alexander Agricola (1445-1506), Hans Leo Hassler (1564-1612), Gregor Aichinger (1564-1628), Johann Walther (1496-1570) et Arnoldus Brugensis (1500-1554) ; dont ce superbe choral « Notre Dieu est un château solide ». On attend avec impatience leur création « L’amour, la mort et la vie », sur des Chansons françaises de la Renaissance.
E.Fabre-Maigné
30-VI-2016
photos copyright : collection Oetker
Pour en savoir plus :
« Du madrigal au théâtre musical »
Ensemble vocal à voix d’hommes
photos © collection Oetker