Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
De Mark Pellington, quasi inconnu sous nos latitudes et qui fit ses débuts dans la réalisation de clips ou la captation de concerts (notamment pour Pearl Jam et U2), le public français put tout de même découvrir en salles, en 1999, l’excellent thriller Arlington Road mettant aux prises Jeff Bridges et Tim Robbins, puis trois ans plus tard le non moins excellent La Prophétie des ombres, singulier suspense jouant sur le surnaturel.
John Klein, journaliste au Washington Post, perd son épouse après un accident de la route ayant révélé chez elle une tumeur au cerveau. Plus tard, il découvre les croquis d’une inquiétante silhouette dessinée par sa femme et qu’elle disait avoir vue peu avant l’accident. Un jour, couvrant une campagne électorale, il échoue après une panne dans la petite ville de Point Pleasant, en Virginie-Occidentale, où il rencontre un homme ayant les mêmes visions que sa défunte épouse : apparitions d’un « homme-papillon » précédant d’authentiques catastrophes…
La Prophétie des ombres impose d’emblée son originalité en décrivant un quotidien ordinaire et la vie apparemment paisible d’une bourgade de l’Amérique profonde. Pas de monstre caché dans les bois, de zombies ou de petits hommes verts ici ; pas d’hémoglobine ou d’effets spectaculaires, mais des visions fugaces, des prémonitions, des croyances, d’étranges phénomènes. Délire collectif ? Paranoïa ? Légende urbaine ? On ne sait pas trop. À l’image du héros, le spectateur se laisse happer par les hypothèses les plus probables, c’est-à-dire les moins rationnelles… L’angoisse monte au compte-goutte, un téléphone sonne dans la nuit et donne des indications au héros, une jeune policière du coin l’épaule dans son enquête improvisée, un vieil universitaire lui conseille d’abandonner ses recherches…
La grande force du film est de miser sur le réalisme des situations et de laisser le fantastique s’immiscer subrepticement dans le canevas d’un scénario écrit au cordeau qui révèle lentement ses sortilèges, ses chausse-trappes, ses hypothèses. D’après des « faits réels », La Prophétie des ombres met en œuvre la règle d’or appliquée naguère par Hitchcock, Polanski ou Kubrick pour faire naître la peur : en montrer le moins possible, laisser l’imagination de chacun aux commandes. Richard Gere est absolument formidable dans le rôle de cet homme pris malgré lui dans une histoire qui le dépasse tout en le ramenant à ses drames intimes. On apprécie aussi la présence de la trop rare Laura Linney (dirigée par Eastwood dans Les Pleins pouvoirs et héroïne de l’épatante série The Big C) tandis qu’Alan Bates fait une apparition magistralement inquiétante. Après Arlington Road, Mark Pellington – dont il faut voir aussi la comédie dépressive Henry Poole – signait un nouveau coup de maître. On aimerait bien le revoir aux affaires.