Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
Figure de proue du « Nouvel Hollywood » avec Coppola, Bogdanovich, De Palma ou Scorsese, William Friedkin s’imposa au début des années soixante-dix avec les énormes succès de French Connection (cinq Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur) et de L’Exorciste. Le cinéaste, né à Chicago en 1935, venu de la télévision et du documentaire, est alors au sommet de sa gloire et de son pouvoir. Les studios ne lui refusent rien, pas même son projet d’un libre remake du Salaire de la peur de Clouzot. Ce sera Le Convoi de la peur (Sorcerer), sorti en 1977 après un tournage homérique, notamment en République dominicaine. Cette œuvre sombre et parfois à la limite de l’abstraction est un fiasco commercial qui va faire rentrer la forte tête dans le rang. Entre films de commande et œuvres personnelles qui ne trouvent pas leur public (Cruising en 1980, le somptueux Police fédérale Los Angeles en 1985), la liberté et l’inspiration du metteur en scène se tarissent. De 1990 à 2003, il enchaîne nanars et séries B où son talent ne s’exprime que très sporadiquement. Il faudra attendre Bug, sorti en France en 2007, pour retrouver l’éclat du grand cinéaste d’antan.
Certes, cette coproduction germano-américaine n’a guère ému les foules et seuls quelques critiques aficionados ont salué le retour du maître, mais Bug est une authentique réussite. Serveuse trentenaire dans un bar glauque, hantée par l’enlèvement de son jeune fils dix ans plus tôt, Agnès vit dans un motel perdu au milieu du désert. Un soir, elle rencontre Peter, un vagabond amené par l’amie/amante d’Agnès, tandis que son ex-mari, un repris de justice brutal, refait irruption dans sa vie. La solitaire Agnès se lie au doux et sensible Peter qui découvre que d’étranges insectes occupent leur chambre et semblent même capables de s’introduire sous leur peau…
Adaptation d’une pièce du dramaturge américain Tracy Letts, Bug (tourné en vingt et un jours) est à la fois une époustouflante plongée au cœur d’une paranoïa, se transmettant ici tel un virus, et le récit d’un amour fou. L’ombre de la seconde guerre d’Irak se profile jusque dans ce quasi huis-clos, l’Amérique est taraudée par un mal intérieur. Cette descente aux enfers mise en scène magistralement évoque autant Faux-semblants de Cronenberg qu’X-Files. Il faut évidemment saluer les compositions d’Ashley Judd (découverte dans Heat de Michael Mann en 1995 et dont la carrière ne confirma pas ces débuts plus que prometteurs) et de Michael Shannon qui décrochait là son premier rôle important. Le futur acteur-fétiche de Jeff Nichols (Shotgun Sories, Take Shelter, Mud, Midnght Special, Loving), inoubliable dans la série Boardwalk Empire, montrait déjà l’étendue de son jeu quand il s’agit d’aborder les territoires de la folie et de la schizophrénie. Quant à Friedkin, on le retrouvera en 2012 avec Killer Joe, toujours d’après une pièce de Tracy Letts, voyage encore plus vertigineux au cœur des ténèbres, l’un des films les plus dérangeants et violents jamais tournés.