« Ma Loute », un film de Bruno Dumont
Si vous êtes doté d’un fort pouvoir d’extraction des règles de notre quotidien, ce film, en compétition à Cannes, est pour vous. Alors direction la Côte d’Opale en ce début de 20ème siècle. Vous allez rencontrer quelques exemplaires de l’espèce humaine assez étranges, pour ne pas dire inquiétants.
D’un côté, les Van Petegen, André et Isabelle, riches bourgeois du Nord qui ont fait construire une sorte de palais égyptien dans ce coin assez paumé en guise de résidence secondaire. Ils arrivent en villégiature avec leurs deux filles et une nièce. Ils sont rejoints par la sœur de Monsieur, Aude, et son frère Christian. Ils croisent un duo improbable de policiers : l’inspecteur Machin et son adjoint Malfoy, ces deux-là évoluant entre Laurel et Hardy et le célèbre duo de Tintin. Les indigènes sont des pêcheurs qui occupent aussi une partie de leur temps à faire passer les touristes à travers les étangs. Mais si les policiers sont là c’est que cet endroit est le théâtre d’étranges disparitions… Et c’est parti pour deux heures d’un non-sens totalement jubilatoire, grinçant, « hénaurme », désopilant autant que cruel.
Deux heures durant lesquelles le cinéaste nous parle en creux de lutte des classes, d’amours impossibles, de théorie du genre, de religion aussi. Dans une esthétique qui frôle le surréalisme, le scénario est un doux mélange d’enquête criminelle et de portrait sociétal sur fond de fantastique et d’horreur. Ce sont prêtés à ce jeu de massacre des comédiens tels que Fabrice Lucchini, sorte de Quasimodo archi compassé, Valeria Bruni Tedeschi, mystique statufiée avant l’heure, Juliette Binoche, clone de Sarah Bernhardt en représentation permanente. Il y a aussi le jeune Brandon Levieville, c’est lui Ma Loute, une vraie gueule de cinéma celui-ci.
Robert Pénavayre