Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Cela crée toujours une sensation étrange pour les « vieux » clients de la Fnac de Wilson (notamment ceux qui la fréquentaient avant son déménagement allées Franklin Roosevelt), c’est-à-dire ceux ayant connu cette enseigne quand elle vendait des livres, des disques ou des CD et du matériel Hi-Fi ou audiovisuel, d’y découvrir depuis quelques années des robots électro-ménagers et autres produits assez éloignés de sa vocation culturelle originale. Les esprits rationnels et comptables nous expliqueront que l’entreprise a dû s’adapter, affronter la crise de l’industrie musicale, subir les dommages collatéraux du piratage et du téléchargement… N’empêche, la Fnac est devenu un supermarché presque comme un autre. Des « nouveaux » clients doivent, quant à eux, trouver étrange d’y voir des livres et des CD.
Au milieu et à la fin des années 80, on déposait ses sacs à la consigne de la Fnac pour éviter les vols. À certains moments, il fallait aussi les ouvrir avant de les déposer à cause d’attentats terroristes frappant la France. Sur ce point-là, rien n’a changé. Il faut toujours ouvrir son sac avant de pénétrer dans les rayons et les étages du magasin.
En sortant de la Fnac, on peut encore déambuler au milieu des kiosques art déco où l’on pouvait, voici encore quelques années, acheter la presse. Aujourd’hui, plus grand-monde n’achète les journaux et – même s’il n’y a pas de lien de cause à effet – ces kiosques semblent promis à la disparition. Eux aussi vont devoir s’adapter. Ils ne seraient pas aux normes d’hygiène, attireraient la présence de dealers, gêneraient de futurs aménagements urbains… Aucune de ces raisons ne réussit totalement à me convaincre. J’imagine que si des marques de téléphonie mobile, ou d’autres produits à l’obsolescence programmée, dont les consommateurs sont friands, occupaient ces kiosques en versant des loyers conséquents, personne n’aurait l’audace de vouloir les éradiquer. En outre, si des dealers profitent de la loi de l’offre et de la demande à l’ombre des kiosques, sans doute serait-il préférable de punir ces commerçants illégaux plutôt que ces kiosques innocents auxquels sont attachés tant de Toulousains.
Une pétition a été lancée pour la sauvegarde de ce petit patrimoine toulousain. J’ai été tenté de la signer malgré mon aversion instinctive pour les pétitions. Je crois n’en avoir signées que deux dans ma vie : l’une contre la guerre de l’Otan au Kosovo en 1999, l’autre en 2002 pour la libération de l’écrivain Edouard Limonov emprisonné sous de fallacieux prétextes en Russie. Comme je le craignais, ma signature n’a eu qu’un effet limité, en particulier contre les bombes à fragmentation s’abattant sur la République fédérale yougoslave qui a disparu depuis et dont le drapeau portait les mêmes couleurs que le nôtre.
Depuis mon bureau donnant sur la place Rouaix, je peux apercevoir un drapeau français suspendu à l’une des fenêtres d’un immeuble voisin. Il a fait son apparition durant la Coupe du Monde de football en juin 2014. Le Mondial s’est terminé, la France a été une nouvelle fois éliminée par l’Allemagne, mais le drapeau est resté. Le patriote anonyme (du moins pour moi) a peut-être trouvé d’autres raisons d’afficher la bannière tricolore. Les attentats de janvier 2015 ? Ceux de novembre qui, à leur tour, virent des Français brandir leurs couleurs ? De toute façon, le Championnat d’Europe arrive bientôt et je parie que le drapeau de la place Rouaix flottera encore. Cela fait presque deux ans que je le vois tous les jours. Il me revient que nous avons un peu vieilli ensemble.