Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
C’est un doux euphémisme de dire qu’au moment où sortit le premier film réalisé par George Lucas, peu nombreux étaient ceux prêts à parier un dollar sur l’avenir de ce jeune homme de vingt-huit ans, futur créateur de la saga de La Guerre des étoiles et du personnage Indiana Jones… « Qu’est-ce que c’est que ce merdier, Francis ? », demande un ponte de la Warner à un Coppola dont THX 1138 est la première production de la société qu’il vient de lancer, Zoetrope Studio, alors filiale de la major.
Après un an de tournage et presque une autre année passée au montage, le résultat suscite la consternation. Coppola, qui avait laissé carte blanche à son ami et associé, est lui aussi assez effaré devant l’objet, mais il est occupé par la préparation d’un film sur la mafia qui s’appellera Le Parrain. Lucas affronte donc dans une certaine solitude le courroux et les conseils des gens de chez Warner décidés à livrer au public un produit plus conventionnel. Il est vrai que ce film d’anticipation, qui prolonge le court-métrage de fin d’étude de Lucas, tient plus du cinéma expérimental que du grand spectacle hollywoodien.
On découvre sur les pas du personnage principal, THX 1138 (tous les êtres humains sont affublés d’un tel code en guise d’identité), une société totalitaire dont les slogans et les préceptes (« Pour plus de plaisir et d’efficacité, nous standardisons la consommation » ; « Travaille dur, accrois la production et sois heureux » ; « Achète davantage et sois heureux ») nous sont désormais familiers. Dans ce monde, les individus travaillent à la chaîne à la confection de machines qui les remplaceront, les accidents radioactifs ne sont pas rares, les antidépresseurs assurent le maintien des masses auxquelles des écrans dispensent, pour les détendre, du sexe et de la violence ponctués par les messages de la propagande officielle – le tout sous la surveillance de policiers-robots.
Par ailleurs, tout le monde a le crâne rasé et porte une combinaison blanche tandis que toute activité sexuelle est interdite. Pour avoir enfreint cette dernière règle, THX 1138 va avoir quelques soucis… Avec cette fable sur laquelle planent les ombres d’Orwell, Huxley ou Philip K. Dick, Lucas signe cependant une œuvre foncièrement atypique, assez absconse, d’une réussite formelle rare – une sorte de chaînon manquant entre 2001 et Matrix. La noirceur du propos, la froideur clinique des décors, la minceur des dialogues et l’absence de vedettes (Robert Duvall – alors inconnu – et le peu glamour Donald Pleasence) désarçonnèrent logiquement les producteurs.
À la fin de THX 1138, le héros affronte brièvement d’étranges créatures, à mi-chemin entre le singe et l’homme, manières d’ancêtres aux Wookies de La Guerre des étoiles. Cela donnera des idées à l’un des responsables de la Warner qui dira à Lucas : « Il faut toujours mettre le meilleur au début. Le mieux est donc de mettre les monstres d’abord, non pas à la fin mais au début du film, et de finir le film par le début ! » Le metteur en scène ne cèdera pas sur ce point, mais se résoudra à une coupe de quatre minutes. Sorti sur les écrans en 1971, le film est un bide absolu.
En 2007, George Lucas sortira une version « director’s cut » agrémentée de plans numériques conférant une étonnante modernité au film. A peine deux ans après le traumatisme de THX 1138, Lucas revint en grâce à Hollywood avec le succès d’American Graffiti et cela avant la tornade déclenchée en 1977 par La Guerre des étoiles, une véritable révolution qui allait initier la prépondérance des effets spéciaux et du merchandising entraînant ainsi la création des multiplexes et des superproductions qui vont avec. « La narration, l’intrigue ne m’intéressent pas. Le dialogue n’a guère d’importance dans mes films. Ce qui compte, c’est le visuel. Pour moi l’émotion importe plus que les idées», déclara Lucas après le succès de son space opera. Si cette profession de foi convient finalement autant à THX 1138 qu’aux aventures de Luke Skywalker et Dark Vador, le paradoxe est que l’une des œuvres les plus originales du cinéma américain ait été conçue par l’homme qui allait contribuer à uniformiser l’industrie cinématographique et à rendre impossible à l’avenir la réalisation d’un tel film… De son côté, William Friedkin – le réalisateur de French Connection, L’Exorciste ou Police Fédérale Los Angeles – confiait, des années après, à propos du triomphe de La Guerre des étoiles : « il s’est passé avec ce film ce qui s’est passé quand McDonald est arrivé : le goût pour les bonnes choses s’est mis à disparaître. Il s’en est suivi une période de régression terrible. Et elle continue. Nous sommes tous tombés dans le trou.»