Le mardi 15 mars, à 20h. Confortablement installé dans votre fauteuil, c’est un Barbier du Théâtre de Turin qui vous attend. L’opéra en deux actes est donné dans une production du metteur en scène Vittorio Borelli qui a replacé l’action dans son contexte d’origine, à savoir l’époque de Beaumarchais avec ses costumes d’époque, ses perruques, ses nœuds de soie, et bas, indispensables. Une mise en scène reposante – assez de transpositions éprouvantes et qui n’apportent RIEN – qui laissera toute latitude à la musique et au chant pour émouvoir le spectateur. Le plateau vocal se doit d’être à la hauteur, et si aucun nom ne met le feu à l’affiche, chaque intervenant peut se targuer d’une maîtrise accomplie du chant rossinien et c’est bien cela qui nous intéresse. Et c’est parti pour presque trois heures, un entracte inclus.
« Le jour où nous serons possédés de la curiosité, avantageuse pour nos plaisirs, de faire une connaissance intime avec le style de Rossini, c’est dans le Barbier que nous devons le chercher. » Stendhal – Une vie de Rossini.
Pas de résumé du livret ou synopsis. Vous le trouverez partout si nécessaire, mais plutôt, quelques mots anecdotiques sur les débuts à la scène de cet opéra de Gioacchino Rossini, Le Barbier de Séville, l’Himalaya de son talent et de sa gloire.
Nous sommes en 1816. Le compositeur est très sollicité, a des commandes, dont une pour Rome à l’occasion du Carnaval. Mais Rossini n’aime pas Rome. Ne pas oublier que nous sommes dans l’Italie de 1816 et non dans celle unifiée un demi-siècle plus tard. A Rome, on se trouve bien près du pouvoir pontifical, pouvoir qui fut un peu le persécuteur de son père. Ce pouvoir a été restauré depuis peu avec l’appui des monarchies environnantes. L’affaire va mal s’engager avec l’impresario du Théâtre Argentina. Si la commande est passée, les clauses du contrat sont pointilleuses en diable, entre les airs pour les uns, pour les autres, ni trop longs, ni trop ceci ou cela. De plus, tous les livrets proposés sont repoussés par la censure papale, un à un, sous prétexte qu’ils recèlent des allusions frondeuses. Chaque livret est bien épluché ligne après ligne.
Enfin, in extremis, l’impresario propose l’adaptation de l’œuvre de Beaumarchais, suspectée pourtant de venimosité révolutionnaire !! Bizarre …mais on se prévalait alors d’un précédent consacré, d’une œuvre-culte, comme on dit, c’est le légendaire Barbier d’un compositeur alors adulé, le dénommé Giovanni Paisiello, ouvrage créé à Saint-Pétersbourg, trente ans auparavant, vénéré comme le chef-d’œuvre insurpassable. Les Italiens ne sont pas d’ardents défenseurs des opéras d’un certain Mozart, en effet.
Mais, nous voici avec un Rossini plongé dans un cruel embarras, car l’homme a trop d’esprit pour n’être pas modeste. Vite, il écrit à Naples pour se concilier cette funeste relique : le sieur Paisiello, le vieillard épineux. « Mais je vous en prie, j’applaudis à ce choix » aurait répondu, bien sournoisement, l’ancêtre. Qui dans son for intérieur, ne rêvait pas moins que d’une chute, un fiasco retentissant. Le “tedeschino“ prend la précaution de mettre une préface, très modeste, au-devant du libretto, montre la lettre à qui veut, donc à tous les dilettante de Rome, et se met au travail. En treize jours, la musique du Barbier est achevée. Toute fraîche, sauf cinq ou six morceaux, simples repiquages d’œuvres plus anciennes. Il en est ainsi de la page d’Ouverture, ici chargée de robuste gaieté, alors qu’elle a déjà servi dans deux autres opéras seria : Aurelio et Elisabetta d’Inghilterra. Celui que l’on a surnommé “le grand panda fainéant“ est très doué pour ce genre d’exercice. Mais l’Ouverture a beaucoup plu à Rome, du moins à partir de la seconde représentation. Les Romains y ont vu, ou ont cru y voir les gronderies du vieux tuteur amoureux et jaloux, et les gémissements de la pupille.
La première fut proprement sabordée par les ardents défenseurs du sieur Paisiello. Un chat fut lancé sur scène, d’où panique, cris d’animaux, insultes, menaces. Rossini qui était au clavicimbalo dut s’enfuir de son poste !! le lendemain, c’est le miracle, l’opéra est monté au pinacle et le prétentieux public romain va faire une ovation interminable à cette œuvre pleine de finesse, de gaieté, mordante, d’une seule coulée vitale, avec son tournoiement vertigineux d’airs, de récitatifs, d’ensembles, dont le fameux sextuor, irrésistible il faut bien le dire. Adieu les récitatifs ennuyeux, vive les morceaux d’ensemble. Leur vivacité et leur crescendo chassent l’ennui. « Rien de plus agréable que les duetti » nous dit Stendhal.
Jamais Gioacchino n’avait mis plus d’imagination, autant de son tempérament, jamais typé de traits aussi nets chacun des caractères. Le Figaro pétant de santé, si vif, si concret, c’est bien lui. Ici, l’amour pique, il ne déchire pas. Point de ces diaprures de mystère, d’équivoques des êtres, l’angoisse flottant sur la joie, ces abîmes d’éternité, tout ce que l’on entrevoit chez Mozart. C’est un Rossini de 24 ans qui nous interpelle, et qui semble déjà se défier de la passion et de ses ravages. Aussi, ne comptez pas sur lui pour que les cœurs se livrent au-delà des allusions, des esquisses, des esquives galantes. Mais avec quels pétillements !! C’est du champagne à tous les instants.
La vague du Barbier va s’épandre sur toutes les villes d’Italie, à Londres, à Lisbonne, fait courir le tout-Vienne impérial et bourgeois. Grâce au ténor Garcia, le Barbier va conquérir les Amériques. Sa Rosine est ni plus ni moins que sa fille, celle que l’on a baptisé la Malibran, une mezzo-soprano exceptionnelle. Elle n’a que dix-neuf ans. Sa petite sœur était-elle du voyage, celle que l’on appelle Pauline Garcia-Viardot, autre fameuse mezzo-soprano, et compositeur ? Pour Paris, il faut attendre début 1820 pour parler de plein succès.
Michel Grialou
All’Opéra
Le Barbier de Séville (Rossini)
Théâtre de Turin
le mardi 15 mars 2016 à 20h00
Diffusé dans votre cinéma Mega CGR Blagnac