Il fait un temps si beau que l’on n’ose pas vivre.
On est comme l’enfant qu’intimide et qu’enivre
Le cadeau trop vermeil qu’il n’ose pas toucher.
On est comme devant une fleur de pêcher
Qu’on craint, en la cueillant, de connaître fragile.
Il fait un temps si beau qu’on dirait que Virgile
A voulu, ce matin, nous parler de plus près
aurait dit Edmond Rostand (1).
Sous la protection tutélaire du Vénasque, Luchon a brillé de tous ses feux, et même si, dans le val, la neige jouait l’Arlésienne, le soleil était au rendez-vous, comme le public nombreux et passionné qui se pressait dans les salles de cinéma, que ce soit dans celle de l’ancien Casino (Henri Pac (2) comme dans celle, chaleureuse, qui porte bien le nom de Claude Chabrol (sans oublier le Rex).
Toujours avec une compétition officielle pour les Séries, les Fictions (présidente du jury Clémentine Celarié), les Documentaires (président du jury Jérome Clément), mais aussi une compétition espagnole et des événements comme la rencontre avec Jean Musy et Claude Lemesle.
Record d‘affluence battu pour cette édition 2016: 21 462 entrées en salle cette année, soit plus de 43% d’augmentation par rapport à l’année dernière !
Ce 18° Festival des Créations Télévisuelles de Luchon – Pays Comminges – Pyrénées (3) a déroulé ses lumières jusqu’au 7 février 2016, toujours sous la présidence de Monsieur Serge Moati qui a affirmé d’entrée que l’exigence de qualité se confirmait par un niveau de plus en plus élevé chaque année. On ne demandait qu’à le croire et on a pu le vérifier de visu, et l’on n’a pas été déçu.
Même si j’ai regretté de ne pouvoir assister à la projection du film d’ouverture, « Ne m’abandonne pas », écrit il y a deux ans, -donc bien avant les terribles événements de 2015-, hélas en prise directe avec l’actualité, puisque de plus en plus de jeunes femmes, en particulier en Haute-Garonne, se radicalisent et sont prêtes à partir rejoindre les rangs des Fous de Dieu. Mais ce film, hors compétition, était réservé aux seuls invités de la cérémonie d’ouverture.
Ce premier jour, j’ai vu néanmoins deux documentaires de fort bonne facture, tant par la forme que par le fond.
« La tentation de l’autodéfense », d’Agnès Pizzini, malgré son titre bien ingrat, éclaire un triste fait divers, passé pour beaucoup inaperçu, mais qui s’est déroulé non loin de chez nous à Lavaur : un adolescent, commettant de nuit un larcin dans un commerce du centre ville, a été victime d’un coup de fusil mortel ; et semble t’il prémédité. Les Jurés de la Cour d’Assisse, contrairement à d’autres lieux, ont condamné le tireur. Le film, avec une rigoureuse impartialité, donne la parole aux deux « parties ». La salle Henri Pac semble très partagée et le documentaire a le grand mérite d’ouvrir le débat sur ce que l’on pourrait appeler une dérive sécuritaire, qui fait plus penser aux Etats-Unis dans ce qu’ils ont d’extrémiste qu’à la France paisible de Midi-Pyrénées. Mais il faut aussi souligner que la forme a été très soignée, dans la photo comme dans la musique originale de Baptiste Charvet ; et qu’on a par moments l’impression d’assister à un film de genre. D’entrée, la sélection a placé la barre très haut.
Un autre documentaire, qui va certainement rallier tous les suffrages, et en tout cas, a fait le plein de cette Salle Henri Pac, c’est « Moi, Juan Carlos, roi d’Espagne ». On ne peut nier que c’est une belle image d’Épinal, léchée, avec un gros travail sur les archives de notre histoire commune -que la grande majorité devrait connaître-. Le souverain, très bourbonien jusqu’à dans son visage actuel, fait penser aux médailles de son ancêtre Louis XIV, et il s’exprime avec une certaine bonhomie, avec un humour pince sans rire. Cet homme, destiné à n’être qu’une potiche, a un parcours exceptionnel, on ne peut qu’admirer son intelligence politique dans une période tragique de nos pays mitoyens et transfrontaliers : nombreux encore sont ceux, en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon, qui l’ont vécu dans leur chair et dans leur cœur ou dont leurs parents en ont été des acteurs. Si le documentaire ne fait pas l’impasse sur la terrible guerre civile, il s’en tient très au-dessus, déclenchant une certaine frustration chez certains spectateurs : est-ce que ce monarque, qui revendique d’avoir restauré et sauvé à plusieurs reprises la démocratie, n’aurait pas pu demander la grâce les jeunes anarchistes atrocement exécutés jusqu’à la fin de sa dictature par Franco la Muerte ? ou au contraire, a t’il « risqué sa peau », comme il a l’air de le dire lui-même ? En tout cas, le débat a été ouvert et la salle y a participé avec enthousiasme et émotion. A la sortie de la projection, on ne peut en tout cas s’empêcher de regretter les scandales qui ont entaché la fin de son règne. Et remarquer, une fois de plus, la voix de Bernard Le Coq, qui double le souverain ; ce comédien discret nous régale à chacune de ses apparitions, en particulier en ce qui touche notre terroir, dans La Fabuleuse histoire de Monsieur Riquet ou dans l’Occitanienne, où il incarne Chateaubriand.
Le lendemain, je suis allé voir deux fictions qui m’attiraient. La seconde, dont j’attendais beaucoup, m’a déçu, il faut le dire. La Tueuse caméléon de Josée Dayan, avec une pléthore de bons comédiens, autour de Catherine Frot, en particulier Jacques Spiesser dont les apparitions sont savoureuses. Mais le scénario de ce jeu du chat (de la chatte devrais-je écrire) et de la souris, commencé tambour battant, comme une série policière américaine de qualité, avec un personnage de tueuse en série original et haut en couleur, se délite vers la fin dans une série d’invraisemblances. Dommage. Je suis resté sur ma faim, et je ne suis pas le seul.
Le premier, dans l’ordre de projection, m’a au contraire beaucoup ému comme mes nombreuses voisines (j’ai noté une majorité de femmes à ces projections), tant par son sujet inspiré d’un fait divers, brillamment scénarisé, que par son interprétation et sa mise en scène. L’action du Choix de Cheyenne se situe dans la région d’Arras, à Ablain-Saint-Nazaire (4), et tourne autour de la Nécropole nationale de Notre Dame de Lorette, où reposent de nombreux poilus des fronts de l’Artois, de Flandre, de l’Yser et du littoral belge ; et ce n’est pas anodin. Le meurtre dont il est question, au sein d’une famille de brocanteurs, prend des allures de tragédie antique (on pense aux Atrides ou à Œdipe). Eva Lallier, la jeune comédienne -qui avait l’âge de l’héroïne au moment du tournage et qui est pratiquement de tous les plans-, passée par les Ateliers Jeunesse du Cours Florent et la Compagnie des Enfants terribles, joue « terriblement » juste ; comme tous ceux qui l’entourent, Max Citti, Agnès Soral etc… A commencer par Daniel Russo qui ajoute un nouveau personnage mémorable à sa filmographie (à la télévison comme sur le grand écran) déjà impressionnante, celui d’un gendarme ravagé par la disparition précoce de sa fille et qui prend sous son aile (c’est la cas de le dire) la jeune révoltée ; après le lieutenant Trévise de La Vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier (qui l’a souvent mis en scène), Pierre Beregovoy dans Un homme d’honneur de Laurent Heynemann ou Henri Lafont dans 93, rue Lauriston de Denys Granier-Deferre pour ne citer qu’eux ; sans oublier ses nombreuses apparitions au Théâtre.
La tendresse entre les différents protagonistes, même s’ils se mentent effrontément, est palpable. Et le thème de la violence conjugale, qui éclate au grand jour à la fin, est un fil conducteur qui ne cesse d’interroger ; soutenant celui de la recherche de vérité et liberté d’une jeune femme qui bouscule les montagnes. L’envol des pigeons final au delà de l’obélisque de l’ossuaire, symbole de la folie des humains, est une magnifique image poétique que l’on garde longtemps en mémoire.
Le metteur en scène Jean Marc Brondolo, qui a pu bénéficier pendant 2 ans du soutien sans faille d’une équipe soudée et de France 3, filme les visages au plus près, comme des paysages ; et ce qui aurait pu rester un documentaire du style « Faites entrer l’accusé » est devenu sous sa « patte » un excellente fiction, qui se reverra avec grand plaisir à la la télévision, mais pourquoi dans le réseau des salles obscures…
Dommage qu’en tant que journaliste accrédité, je ne puisse voter : ce Choix de Cheyenne a emporté mon suffrage.
Et il a remporté le Prix du Meilleur espoir féminin et du Meilleur espoir masculin !
Un public enthousiaste et « téléphile » a décerné les prix suivants :
Prix du Public de la Meilleure SERIE, MINI-SERIE, COLLECTION LA LOI D’ALEXANDRE « Le portrait de sa mère » Avec Gérard Jugnot, Valéria Cavalli, Hande Kodja Réalisation : Philippe Venault Scénario : Céline & Martin Guyot Musique : Frédéric Porte FIT Production – France 3 / RTBF
Prix du Public de la Meilleure FICTION UNITAIRE ELLES… LES FILLES DU PLESSIS Avec Sandrine Bonnaire, Blandine Bellavoir, Noémie Merlant, Roxane Bret, Camille Aguillar, Nastasia Caruge Réalisation : Bénédicte Delmas Scénario : Bénédicte Delmas et Sylvie Granotier Musique : Le Groupe EZ3KIEL Kien Production – France 3 / TV5MONDE
Prix du Public du Meilleur DOCUMENTAIRE T4, UN MEDECIN SOUS LE NAZISME Ecrit et réalisé par Catherine Bernstein Musique : Benoît Delbecq, Nicolas Beker Zadig Productions / Les Films de l’Aqueduc – France 3
Si j’avais pu rester ce week-end, j’aurai visionné avec intérêt Bébés volés ou T4, un médecin sous le nazisme, et des réalisations plus légères comme Lebowitz contre Lebowitch ou Duel au soleil…
C’est donc avec joie, comme le public toujours plus nombreux, que je reviendrai pour la 19ème édition de ce Festival des Créations Télévisuelles : c’est l’occasion de se « rincer l’œil », comme disait le regretté Philippe Noiret; de plus dans un des grands sites de Midi-Pyrénées, agréable et vivante en toute saison, cette bonne vieille (Bagnères de) Luchon :
Luchon, ville des eaux courantes,
Où mon enfance avait son toit,
L’amour des choses transparentes
Me vient évidemment de toi !
(Edmond Rostand)
E.Fabre-Maigné
8-II-2016
Pour en savoir plus:
(1) Edmond Rostand in Les Musardises (1887-1893)
(2) Erudit, poète, figure emblématique de la ville thermale, disparu en 2008
Palmarès complet du Festival 2016