Dans son spectacle « Même pas mal », présenté au Bijou dans le cadre du festival Détours de Chant, Jean-Pierre Beauredon interprète des textes de Brautigan, Bukowski et Léotard, mis en musique par Claude Delrieu et Philippe Gelda.
En 2010, Jean-Pierre Beauredon nous donnait à entendre son amour des mots de Philippe Léotard, mis en musique par Claude Delrieu. « Pas un jour sans une ligne » était un récital mi parlé mi-chanté, fiévreux, incarné, d’une poésie douloureuse qui se consume dans le besoin d’amour, la chair de l’autre et la défonce pour oublier la solitude, l’absence, et surtout s’oublier soi-même. Une poésie du jet, du viscéral que l’on retrouve dans « Même pas mal », spectacle musical créé à la Cave Poésie et repris au Bijou – au cœur du festival Détours de Chant. Jean-Pierre Beauredon retrouve ici son comparse Claude Delrieu qui, en collaboration avec le pianiste Philippe Gelda, lui a composé une partition musicale aussi enragée et colorée que les mots qu’elle porte.
Ce récital jouit de percées cocasses et surréalistes et d’espaces ouverts sur les horizons californiens de l’univers de Richard Brautigan, auquel viennent s’entremêler la langue amère d’un Philippe Léotard et celle rugueuse d’un Charles Bukowski. Trois poètes extrêmes, à la marge, aux existences chaotiques et à la verve provocatrice. Grands fêlés de la vie, ils ont en commun une «âme tirebouchonnée», la passion pour l’alcool dans lequel ils se sont abîmés, les femmes auprès desquelles ils ont cherché l’amour, l’écriture qui les a sauvés du pire. Portraits sensibles de la femme aimée, de l’enfant née de la chair, histoires de familles, de couple, de putains, d’ivresse, tout est déclaration d’amour à la vie dans cette ode où sous l’acidité du propos vient très souvent se nicher la tendresse. On y crie toujours le besoin d’être aimé, derrière l’élégance de l’autodérision ou la pudeur de la trivialité, on y évoque en filigrane le corps érodé par le temps.
Les trois artistes, impertinents s’amusent comme des garnements, l’un sur son piano, l’autre de ses guitare, batterie, accordéon, le troisième de tout ce qui est disposé sur le plateau : bidons de lait, harmonica, clairon, cymbale, tambour d’océan et s’échangent sourires complices et coups d’œil rassurants. Le timbre de Jean-Pierre Beauredon rappelle celui de Serge Reggiani, un autre écorché, et sa gestuelle fébrile contraste avec sa puissance physique. Il nous met le cœur à vif, passant d’envolées lyriques poignantes à des ruptures de ton salvatrices. Entrecoupé de déclarations incongrues et imprimé de l’humour décalé de Philippe Gelda et de la présence nonchalante de Claude Delrieu, le spectacle fait surgir le rire au milieu de la plus profonde mélancolie.
Ballades folk, blues psychédéliques, rock puissant et déchaîné, les compositions riches et inspirées jouent de la virtuosité et de la légèreté, sans aucune illustration ni pathos, cherchant même le contrepoint et jouant des postures rock’n’roll, comme le port de lunettes de soleil à la fin d’un morceau psychédélique échevelé, hallucinant. La soirée s’achève sur « Je rêve que je dors », chanson bouleversante de Philippe Léotard ici dans une toute autre composition, sublime. Ou comment dire «je t’aime» en douce à l’absente : «Peut-être qu’il ne faut pas trop souvent dire je t’aime […] pourtant je continue je te le dis encore je t’aime…». Si provocation il y a dans ces textes, elle est, en cette heure où le cynisme est de bon ton, dans cette urgence à s’aimer ardemment.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Mardi 2 et mercredi 3 février, 21h30, au Bijou,
123, avenue de Muret, Toulouse. Tél. : 05 61 42 95 07.
Festival Détours de Chant, jusqu’au 7 février, à Toulouse.
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photo © Cathy Brisset