Ouvrez bien grand vos deux yeux et vos oreilles ! La Reine des Aveugles est en concert au Chapeau rouge à Toulouse, dans le cadre du festival Détours de Chant et à l’occasion de la sortie de son album « Je me vois pas ».
Formation musicale emmenée depuis six ans par la chanteuse et comédienne Émilie Perrin et le multi-instrumentiste Claude Delrieu, La Reine des Aveugles a pris un nouvel envol en 2014 avec le départ du grand échalas aux yeux de myope provoquant l’arrivée du guitariste de jazz Jean Mendez et du percussionniste touche-à-tout Pascal Portejoie. À voir la façon dont Émilie Perrin les apostrophe entre les chansons, il y a du bonheur et de la complicité entre ces trois-là qui ont joué depuis sur de nombreuses scènes toulousaines et régionales : théâtre du Grand Rond, théâtre des Mazades, Chez Ta mère, Péniche Didascalie, Le Bijou…
Corset enserrant sa taille, bandeau de dentelle noire couvrant son œil cassé sur un visage mutin volontairement peste, Émilie Perrin voit ce que les autres ne voient pas et trempe sa plume là où ça fait mal. Son écriture acérée croque tout cru les inadaptés de la vie : un enfant obèse, une orpheline souffre-douleur de son école, un pigeon du zoo de Vincennes insignifiant, des adolescents boutonneux et léthargiques, une vieille dame indigne, des femmes de petite vertu mais à l’âme écorchée et au corps abîmé…
Bien plus féminin que féministe, l’univers de La Reine des Aveugles interroge l’amour, titille le désir et appelle un chat un chat, comme celui de sa chanson baudelairienne cauchemardesque. Car Émilie Perrin, c’est aussi une paire d’ovaires énervés et tant pis pour les esprits chagrins qui n’aimeraient pas entendre dire que «les miroirs et la copulation sont deux choses abominables parce qu’elles multiplient les Hommes». La reine a la gouaille et l’esprit caustique de ses maîtres Patrick Font et Henri Tachant : des portraits et des autoportraits réalistes mouillés à l’acide où s’invitent aussi, ici et là, Louis Calaferte ou Jacques Brel. Ses textes ciselés, très souvent versifiés et rimés vous prennent à la gorge de rire ou d’émotion.
Avec un personnage féminin de rockeuse chansonnière à la présence scénique bien trempée et en connivence avec son public, un concert de La Reine des Aveugles est un spectacle total. Si on apprendra au gré de ses chansons ce que fait la Perrin de son organe génital, l’on jugera aussi qu’elle sait merveilleusement jouer de son organe vocal. Formée au chant par Michelle Zini, elle est capable d’envolées lyriques comme de descentes gouleyantes dans les graves. Grande lectrice et amoureuse des auteurs, elle s’amuse à glisser dans sa prestation scénique des anecdotes délicieuses sur de célèbres non-voyants clairvoyants : Tirésias, Borges, Galilée, etc. De grands hommes et pas des moindres… Mais désolée messieurs, au royaume des aveugles la borgne reste reine.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Dans le cadre du festival Détours de Chant :
La Reine des Aveugles, vendredi 29 janvier, 21h00, au Chapeau Rouge,
56, allées Charles-de-Fitte, Toulouse. Tél. : 05 61 22 27 77.
CD : « Je me vois pas »