C’est l’affluence des grands jours dans l’écrin bleu de la Salle Nougaro (1) et son fondateur, Gil Pressnitzer, doit être heureux de voir que son rêve continue à vivre. La musique du monde, la musique sans frontières, y a toujours son permis de séjour. Et Titi Robin ne pouvait qu’y être un invité d’honneur.
Je me souviens encore avec émotion de ses passages à la Mounède, la Maison des Racines du Monde, (aujourd’hui à l’abandon, sacrifiée à l’on ne sait quel pseudo réalisme politique : quel gâchis !), pour sa soirée de « musique nomade », ou sur la Péniche Chevrefeuille ; ou du premier disque sur lequel je l’ai entendu : « An Tri Breur (les trois frères) » avec le Trio Erik Marchand sur le label Silex (il y avait déjà un percussionniste originaire du Rajasthan, Hameed Khan). Ses duos avec Katchur Khan ou Idir s’écoutent comme une grande odyssée à travers ce que l’humanité a de plus riche, avec sa volonté d’orpailleur à trouver l’harmonie entre les peuples. Et il n’oublie pas Jalaledinne Weiss, fondateur de l’Ensemble Al-Kindi (prématurément disparu il y a déjà un an), qui a consacré sa vie à faire connaître la musique soufie dans la monde.
Titi Robin (2), qu’on ne devrait plus présenter, prolonge ici sa collaboration avec le jeune et charismatique artiste gnawa El Mehdi Nassouli. Après avoir enregistré ensemble l’album marocain « Likaat » et partagé la scène pour le spectacle « Les Rives », ils abordent un répertoire original de chansons et d’instrumentaux, que Titi a composé pour l’occasion à destination de cette belle voix marocaine et du groove éclatant de son guembri (3), qui se marient si bien aux phrases incisives du bouzouq (4) et de la guitare du musicien français. Habib Meftah Boushehri, aux percussions, et Francis Varis, à l’accordéon, compagnons réguliers de Titi, solidifient l’édifice par leur présence engagée.
photo : Thomas Dorn
D’emblée le public est sous le charme de leur alchimie musicale. Le guembri, cette basse africaine, et le chant de Mehdi Nassouli sont en parfaite osmose avec le bouzouq et la guitare de l’Angevin ; comme s’ils étaient nés sous les mêmes cieux, comme s’ils étaient frères. Les compositions, et les poèmes, écrits par Robin, tissent le fil conducteur de cette épopée musicale.
Tels ces explorateurs du XIXème siècle, de Marco Polo à Alexandra David-Neel, tels le peintre orientaliste Henri Rousseau, on sent que ce Titi, plus gitan que parisien, autodidacte inspiré, a été fasciné très tôt par les couleurs, les rythmes et les parfums du Levant, de cet ailleurs qui s’apparente au rêve pour certains Occidentaux. Et sa rencontre avec Munir Bachir, inoubliable joueur de oud iranien, a été l’étincelle qui l’a embrasé : “des gitans aux gnawas, du flamenco à l’Inde du Nord, en passant par l’inspiration soufie”, dit-il.
Désormais, « fondamentalement rebelle aux clivages qui voudraient nous diviser, il renoue avec ces racines qui nous lient : signifiant en berbère le clair de lune, Taziri est là pour éclairer nos nuits ».
De La Femme idéale à Medhi en passant par Toufane (La Tempête) et Diplomé (de la Vie), avec ses compagnons, il nous laisse sur les lèvres Le goût du sel et de La Terre, cet animal.
Taziri est un blues méditerranéen (5). Aucun doute quand on entend L’Ounassa, qui n’est pas sans rappeler les musiques cajuns de la Nouvelle-Orléans et où l’accordéon sonne comme un harmonica. Et toute la salle debout, se met à danser sur ce morceau en rappel. Comme elle l’avait fait à la Mounède et dans nombre d’endroits où se produit Titi Robin.
Le grand Jordi Savall a souvent regretté ce Moyen Âge, que l’on disait à tort obscur, où, même s’ils parlaient des langues et des dialectes différents, les musiciens se comprenaient toujours sans mots, alors que le XXème siècle a tout fait pour les séparer, avec les guerres économiques ou de religion. Titi Robin, comme le Maitre de la viole de gambe baroque, tend des ponts de mer bleue (Lluis Llach) entre les différentes rives de notre Méditerranée, Mare Nostrum, Mère la Mer.
Par ailleurs, je sens bien que la poésie est une source d’inspiration constante de sa musique.
Du nord de l’Inde, au Maroc en passant par la Turquie, c’est avec des musiciens virtuoses rencontrés au cours de ses voyages préparatoires qu’il a enregistré. Mais il a publié aussi en 2014 « L’ombre d’une source », projet non moins ambitieux, où la mise en musique de ses poèmes est sublimée par la voix du grand comédien de théâtre, acteur de cinéma et metteur en scène, Michael Lonsdale.
« Chacun de mes écrits est une fenêtre vers un monde non fini. D’où vient le poème? Où nous mène t-il ? S’agit-il d’un lien fragile et universel vers cet absolu qui donne sens au monde ? ».
« L’âme est légère, telle un souffle, elle traverse les corps, L’âme est lumière… / Je suis en chemin, seul, sous le ciel d’un crépuscule automnal, je t’en prie, prends ma main et guide moi. / Les pierres sur le sentier me parlent de toi, les brindilles que le vent balaie me parlent de toi, le vent siffle ton nom, le rossignol se souvient de ton passage, et moi, je cherche tes traces en ce monde… / L’âme est légère, telle un souffle, elle traverse les corps, L’âme est lumière… / (taqsîm ney) / Quand l’orage a éclaté dans le ciel, j’y ai vu un signe de ton amour. Quand la pluie a inondé le jardin de mon coeur, j’y ai vu un signe de ton amour. Quand le feu a brûlé mon âme si fragile, j’y ai vu un signe de ton amour. Quand le monde a oublié jusqu’à mon nom, j’y ai vu un signe de ton amour… / L’âme est légère, telle un souffle, elle traverse les corps, L’âme est lumière. »
Je ne m’étonne pas qu’il aime citer Vincent Van Gogh : « Je ne sais si tu comprendras que l’on puisse dire de la poésie qu’en bien arrangeant des couleurs, comme on peut dire des choses consolantes en musique. »
Kenavo, comme disent les Bretons, bonne route à Titi Robin et à sa caravane enchantée, d’Angers (25 janvier) à Gaillac (1° avril), en passant par Montpellier (29 janvier) et l’Alhambra de Paris (12 février) : en ces temps de repli identitaire et raciste prôné par de trop nombreux politiques, de grand froid culturel (alors que la Culture doit nous enrichir et nous élever, pas nous abaisser), sa musique réchauffe le cœur, en même temps qu’elle est un des meilleurs gages de Liberté et de Fraternité.
Comme celle de nombreux musiciens accueillis dans cette belle salle bleue dédiée à Nougaro, suivant le souhait de ceux qui l’ont créée et de ceux qui l’a font vivre. Rendez-vous à 20h 30 le jeudi 21 janvier avec Carmen Souza et Théo Pascal, le mercredi 10 février avec Ballaké Sissoko et Vincent Ségal…
E.Fabre-Maigné
12-I-2015
PS. Je n’oublie pas que l’atelier Musiques du monde de Music’Halle (6) dirigé par Julien Bouttard nous a accueilli en musique dans le hall de la Salle Nougaro. Ce mini concert a été épaulé par les cordes du groupe Bazaar Boutik (violoncelle/violon). Les élèves de l’atelier ont joué autour des musiques du monde (Réunion, Maloya et Mali), puis le folklore imaginaire de Bazaar Boutik nous a embarqué vers d’autres rivages avant d’accoster en salle avec Titi Robin et ses compagnons de voyages Excellente initiative de cette Ecole des Musiques vivaces (dont il faut souligner la qualité du travail et l’ambiance conviviale) qui se renouvellera pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Pour en savoir plus :
3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guembri
4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouzouki
5) L’Afrique du Nord-Ouest, dont le Maroc fait partie, est une des sources essentielles de la musique nord-américaine à travers ce blues qui a tant nourri aujourd’hui la musique populaire occidentale ! Mais c’est aussi une part importante de l’histoire européenne, car nous avons à la fois hérité de la grande Andalousie et partagé nos vies et nos destins, notre sueur et notre sang!
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