Toulouse, le samedi 4 juin 1987 – Stadium
A une époque, quand je traversais les coulisses du Zénith pour aller interviewer divers chanteurs pour le compte d’un média aujourd’hui disparu, il y avait, accrochée au mur, une photographie réunissant David Bowie et Dominique Baudis, tout deux parfaitement détendus, presque copains comme cochons, en tout cas comme deux frères : même genre de sourire franc dans les joues, deux hommes charmants, selon l’expression de Morrissey, et dont la vie n’aura pas été inutile.
Loin de moi l’idée qu’un politique, fût-il un ancien reporter de guerre, puisse avoir jamais la postérité et la place dans les coeurs et les âmes d’un artiste de la trempe du Thin White Duke. M’enfin, il faut bien que la besogne soit faite, alors autant choisir l’élégance, une forme de dévotion et de présence, l’intelligence des mots, de l’écrit et de la langue, laissant les chiffres et les projets de développement monstrueux, les débats venimeux aussi, aux hommes de main, mais ça n’existe plus trop.
Bon. David Bowie est venu à Toulouse une fois, c’était au stadium le 4 juillet 1987, dans l’enceinte même où le TFC jouait encore dans la cour des grands avec Beto Marcico et Yannick Stopyra, et affrontait des équipes comme le Naples de Maradona ou le Spartak de Moscou. La pelouse, les élus et les dirigeants du club y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux, et on avait dû la recouvrir d’une bâche géante mais le gazon avait souffert, il me semble. Du coup, il a été difficile d’y organiser par la suite d’autres grands concerts. Ceci dit, nous étions tous là, les amateurs de musique qui voulions passer la nuit ensemble, les fans de ce rock audacieux qui changeait nos vies, les disciples de l’homme aux cent visages, l’un ne jurant que par Hunky Dory, l’autre ayant écouté mille fois Low, un troisième un peu à l’écart parce qu’il ne trouvait pas indigne Let’s Dance. Piétinant devant la scène dans l’air chaud, sous le ciel étoilé, nous attendions les classiques ou des titres plus obscurs, en espérant que nous serait épargné le contenu des derniers albums (Never Let Me Down, Glass Spider), peu réussis à notre goût – il y avait donc des connaisseurs et des puristes dans la foule. Nous débattions de la beauté froide, voire glacée, de la trilogie berlinoise ; Bowie avait trouvé l’inspiration en découvrant le rock allemand, autrement appelé Krautrock. A d’autres moments de sa carrière, le mec fou (Alladin Sane – a lad insane) avait capté les vibrations de la soul ou de l’électro. Toujours, il avait su s’adjoindre les services de guitaristes créatifs comme Mick Ronson ou Robert Fripp, de producteurs attentifs à laisser éclore les fleurs noires, comme le fidèle Tony Visconti et Brian Eno.
La première partie de ce concert au Stadium m’enthousiasma, curieusement, et je ne fus pas le seul à gigoter gentiment ; c’était Johnny Clegg & Savuka, célébrant la fraternité et la liberté qui un jour deviendraient réalité en Afrique du Sud. Nous n’étions pas encore tout à fait de sinistres cyniques en ces jours d’espoir mais il est vrai que nous étions jeunes et n’avions pas souffert comme on souffre aujourd’hui, tandis que le ciel se couvre (les cons volent, prédiction de Michel Audiard).
Puis, Bowie fit son apparition, un moment qui me paraît encore proprement historique pour notre province, même si le décorum de la cérémonie, 360 tonnes de matériel, 260 haut-parleurs, le lightshow aux mille lumières, tout ça commandé par trois ordinateurs, me glaça les sangs.
Je craignais que l’araignée géante aux pattes lumineuses qui surmontait la scène et le groupe, 18 mètres de haut, presque vingt de large (from Mars?), ne se défasse de ses liens et, à la façon de King-Kong, fonde sur nous en crachant son suc pour nous noyer puis nous dévorer.
David Bowie avait les cheveux roux, coiffés en banane et longs dans le cou ; il changeait souvent de costume, du moins c’est le souvenir que j’en ai. La musique me parut désincarnée et les acrobaties de Jean Genie dans les cintres, assis sur une nacelle et micro HF à la main, récitant des introductions aux chansons, me laissèrent froid. Le spectacle avait pour scénario en deux actes et un bis, une histoire de rock star affrontant la réalité. Ce n’était pas si mauvais mais un rien pompeux et nous préférions des shows plus bruts voire brutaux. La tournée est tout de même entrée dans l’Histoire et a servi de patron à un certain nombre de celles qui ont suivi. Et puis, en ce qui concerne les musiciens, du lourd : Peter Frampton et Carlos Alomar étaient aux guitares, Carmine Rojas à la basse, Alan Childs à la batterie ; il y avait deux joueurs de claviers et de cuivres, et cinq danseurs et danseuses sur une chorégraphie de Toni Basil. Eux aussi, parfois, s’envoyaient en l’air dans les structures.
Sur facebook, mes amis qui étaient au stadium cette nuit-là ou l’ont connu plus tard, ont pleuré Ziggy Stardust et leur propre jeunesse, la fin des grandes ambitions peut-être, toute la journée de ce triste lundi (11 janvier 2016), un de plus. Certains ont changé leurs images de profil avec des portraits de leur idole, d’autres ont recopié des paroles de chansons qui ont été pour eux des révélations et ont nourri leur vie intérieure, leur quête de libération et de mouvement, ou plus simplement leur passion de la musique, du rock, de sa magie et de ses miracles.
Christophe Prévost : « Bien sûr je suis triste mais ma tristesse peut se noyer dans l’écoute de ses disques… Ce qui me chagrine le plus, c’est d’observer une période qui s’éteint sans que personne d’une telle stature artistique ne soit en mesure de prendre la relève, à la fois exigeant, novateur sinon précurseur, non conformiste et mainstream, captant l’air du temps tout en endossant le rôle de passeur ou en renvoyant l’ascenseur à ceux qui l’ont influencé (Iggy Pop, Lou Reed…).
Merci à lui d’avoir pris le temps de nous faire une dernière révérence avec un “Blackstar », que l’on écoutera avec une autre oreille dorénavant. Particulièrement “Lazarus » qui fait un drôle de testament… »
Alain Delage : « J’avais 20 ans et il bouleversé ma vie pour le meilleur… »
Michel Cloup : « Un grand artiste qui disparaît, c’est toujours triste, mais avec une telle carrière, ça l’est beaucoup moins. Je laisse la vraie tristesse à ses proches, j’ai largement de quoi soulager la mienne avec ses disques. Ce que je trouve le plus triste, finalement, c’est que je ne vois personne qui soit capable de prendre la relève : un grand artiste mainstream, talentueux, courageux, sulfureux (en vrai) et qui joue aussi un rôle de passeur comme Bowie a pu le faire avec Lou Reed et Iggy Pop. »
Désormais, Mr Jones est un homme des étoiles, qui attend au ciel. Il reviendra nous hanter et nous enchanter, même si ça doit nous brûler les neurones et rencontrer l’incompréhension de ceux qui ont grandi avec Michel Sardou.
Greg Lamazères
La setlist de Toulouse 1987 :
Up the Hill Backwards
Glass Spider
Up the Hill Backwards (Reprise)
Day-In Day-Out
Bang Bang (Iggy Pop)
Absolute Beginners
Loving the Alien
China Girl (Iggy Pop)
Fashion
Scary Monsters (And Super Creeps)
All the Madmen
Never Let Me Down
Big Brother
’87 and Cry
Heroes
Time Will Crawl
Beat of Your Drum
Sons of the Silent Age
Dancing With the Big Boys
Zeroes
Let’s Dance
Fame
Encore:
Time
Blue Jean
Modern Love