Pour les malheureux qui n’auraient pas pu assister à la projection d’ À la Recherche de l’Ultra-sex lors du Fifigrot 2015, vous avez une nouvelle chance ce soir puisque le Cinéma Utopia Toulouse le diffuse dans le cadre de la Dernière Zéance pour la soirée spéciale Réveillon.
Retour sur le travail des deux auteurs-réalisateurs, Nicolas et Bruno, avec l’interview qu’ils m’ont accordée le lendemain de leur prestation au Cinéma Le Cratère de Toulouse, en septembre 2015.*
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Comment définiriez-vous votre métier ?
Nicolas : On a toujours eu beaucoup de mal à répondre à cette question…
Bruno : Nos grands-mères respectives nous la posaient souvent. D’ailleurs, quand on leur répondait, -car elles sont décédées-, elles disaient « Très bien. Mais sinon, c’est quoi ton métier ? »
Pour À la recherche de l’Ultra-sex, qui choisit les extraits de films et qui écrit ?
Nicolas : Nous deux. Et on fait aussi les voix, et les bruitages, et le montage. Pour ce film, on a vu 2500 films de boules.
Bruno : Pas beaucoup de soleil donc sur la peau, mais du soleil plein les yeux pendant 5 mois !
Nicolas : Un peu riche de l’expérience du Message à caractère informatif, -où on doublait non pas des films de boules, mais des films d’entreprise, ce qui n’est pas très éloigné-, on s’est entouré de documentalistes, de collectionneurs, d’archivistes, une bonne bande d’obsédés sexuels qui ont consacré leur vie à des films de boules avec des quantités de VHS accumulées dans le grenier. On cherchait des séquences what’s the fuck ! de dialogue, de fiction. Ils ont un peu défriché le travail.
La Tendresse Informatique (Message à Caractere… par favier69
Les séquences étaient-elles retenues sans son ?
Nicolas : Oui, c’est notre petite technique : pour se raconter des histoires, on regarde des images sans le son.
C’est dommage de s’être privés de la subtilité des dialogues….
Nicolas : Oui (rires), mais on travaille sérieusement. Pendant 5 mois, on a regardé tous ces films, en mettant des séquences qui nous inspirent de côté comme cette fille qui arrive en Ferrari rouge avec son énorme brushing et sa combinaison en or. Ce mec qui conduit à poil un vaisseau spatial. C’était à la fois soit le pire ou le meilleur du porno, ou des trucs naturellement drôles, ou absurdes, choquants, bizarres. What’s the fuck ! c’est vraiment ça.
Bruno : Qui a eu l’idée de tourner ces films ? Qui a mis en œuvre tous les moyens mêmes minimes pour tourner ça ? Qui a pu se dire un jour « j’ai une super idée : et si les gens maintenant baisaient en roller ! Tout le film sera sur des compétitions internationales dans un gymnase horrible ». On est devenu des spécialistes mondiaux du film de boules, puisqu’on en a vus 2500.
Nicolas : On ressent une folie à cette époque-là, dans ce genre qu’on connaît assez peu. Pour l’écriture, on a décidé de tirer une photo papier de chaque séquence, de les mettre par terre pour qu’ensemble, elles racontent une histoire. Un peu comme un exercice d’une école de cinéma où tu dois reconstituer une histoire avec 6 photos. Pendant 2 mois, l’histoire s’est racontée. On avait mis de côté beaucoup de séquences d’enquête car c’est un super moyen de lier le tout. On avait besoin de méchants et de gentils, afin d’être sur des ressorts narratifs qui permettent de raconter une histoire avec n’importe quelle scène.
Bruno : Cette phase nous a pris du temps pour obtenir réellement une histoire qui se tienne, mais en jouant toujours avec les champs-contrechamps entre des films différents. Dans la pornographie, les acteurs tournaient énormément de films, sans pratiquement changer de coiffure.
Nicolas : On a compris après pourquoi ils ne changeaient pas de tête : ils tournaient quatre films simultanément. La même tête du début à la fin de leur carrière ! Un mec comme Peter North a fait 900 films hétéros et 900 films gays. Difficile à comptabiliser car les films étaient exportés, remontés, mélangés, renommés. En visionnant un film, on a constaté qu’on avait déjà vus certaines séquences dans un autre. On a aussi rencontré de nombreux distributeurs et de producteurs qui achetaient des wagons entiers de bobines américaines pour les distribuer en France. On a eu toutes les histoires de descente de police, de validation CNC et la francisation des films. Le CNC proposait des aides pour les films pornos français, mais eux achetaient des films américains. Du coup, ils les francisaient. Ils avaient des opérateurs filmant la Tour Eiffel ou un mec avec Le Figaro. Ils incluaient ces séquences dans le film américain « vous voyez bien que c’est français » et ils obtenaient les aides.
On a reconnu un extrait de Samurai Cop qui n’est pas un porno.
Nicolas : Tout à fait, avec le personnage de Christian Coiffure. Parmi nos collectionneurs, on a travaillé avec Nanarland. On avait un manque de liant narratif parmi les séquences retenues, Samurai Cop a comblé ce vide.
Bruno : L’autre exception qui n’est pas un film de boules, mais de bourse, -donc on n’est pas loin-, avec des gens qui disent « J’veux baiser ! J’veux baiser ! ». C’est un Message à caractère informatif.
Parlons des droits : comment fait-on pour utiliser tous ces films ?
Bruno : Ce fut une grosse galère car on a dû acheter tous les droits, comme c’était le cas pour les Messages à caractère informatif, il faut remonter toute la chaîne de droits avec des gens à la production qui ne s’occupait que de ça, des documentalistes spécialisés dans ce domaine. Ils contactaient des petits boîtes de production américaines, à Los Angeles. Tu imagines la galère qu’on peut avoir pour les droits d’un film en France ? Tu multiplies par 300 aux États-Unis, dans un secteur obscur qui est celui du film de boules des années 70-80, ce qui est assez particulier quand même.
Nicolas : Des histoires de mafia, de drogue, le Sida, des fois tout le monde est mort, etc. Il y a une hécatombe énorme, et il faut retrouver les ayants droit, on a dû remonter toutes ces chaînes de droit, ce qui a été la partie la moins rigolote.
Combien le film a-t-il coûté ?
Nicolas : Pas beaucoup : 100 000 euros, ce qui n’est pas si cher car des extraits de films de cul sont moins chers que des extraits de Star Wars, par exemple.
Il a donc été diffusé sur Canal + pour leurs 30 ans. Une sortie en salles était-elle prévue ?
Bruno : Pas du tout. A l’occasion des 30 ans, Canal a investi le Palais de Tokyo pour une exposition où a été diffusé le film devant 500 personnes. C’était la première fois que notre travail destiné à Canal était projeté devant un public, et pas des téléspectateurs. On a vu le film vivre dans la salle.
Nicolas : On sentait une salle hyper réactive, d’autant plus réactive qu’on les sentait gênés de voir un film porno à plusieurs. Les gens riaient d’autant plus qu’ils décomplexaient et déculpabilisaient un peu. On s’est dit qu’il se passait un truc et qu’il faudrait le sortir en salles. On a fait une grande soirée au Max Linder bourré à craquer, il y avait 620 personnes. On a projeté plein de trucs, on s’était déguisé, le gros délire. C’était super et on a eu plein de demandes de cinémas.On s’est installé au Luminor à Paris où on était tous les samedis soir à 22h00, puis aussi les vendredis. On s’est dit qu’il fallait en profiter, venir échanger avec le public, être déguisés en robot comme dans le film, faire une chorégraphie, etc. C’est comme ça que ça s’est monté. On a fait un Ultra-sex Tour, le Fifigrot fut notre première date en province et c’est la meilleure projo de notre vie.
Bruno : Avec l’atelier de doublage, c’est notre reflet de partager ça et de retrouver là où c’est parti, c’est-à-dire nous deux dans un salon en train de doubler pour rigoler. C’est génial de le faire avec le public.
Nicolas : C’est un truc qu’on adorait faire dans les films qu’on a fait avant, La Personne aux deux personnes, Le Grand méchant Loup. Avec Alain Chabat, Benoit Poelvoorde, on se planquait dans les salles, on sentait le public, les différentes réactions en fonction des séquences et des salles. Alors que là, on projette un film qui ne bouge pas. C’est hallucinant, tu vois des publics qui se marrent à telle blague, d’autres où ça marche pas, il se passe un truc dans la salle. Hier, le fait qu’il y ait eu Benoît dans la salle qui se marrait, ça participait à la super ambiance.
On entendait son rire depuis le hall du Cratère.
Bruno : Faire des projections d’À la Recherche de l’Ultra-sex, c’est aussi l’occasion de retrouver cette ambiance qui n’existe plus, c’est-à-dire de regarder des films de cul en groupe, ce qui était le cas à l’époque, de manière très massive. Derrière la porte verte, Deep Throat ont fait des millions d’entrées dans le monde entier. C’est assez difficile à quantifier parce que c’est un monde un peu obscur, mais Deep Throat serait le film le plus rentable de l’histoire du Cinéma, plus qu’Autant en emporte le vent. En 1975, aux Champs-Élysées, une salle sur trois diffusait du porno. En province, les couples se croisaient pour aller voir un porno.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Nicolas : Non, on n’arrête là. Tu nous demandais ce qu’était notre métier. Maintenant, on sait : rester enfermés dans un studio à doubler des films de boules jusqu’à la fin de nos jours (rires). On a travaillé avec les mecs de Flight of the Conchords qui ont fait un film de vampires. On a fait une version française originale Vampires en toute intimité où on avait carte blanche pour refaire tous les dialogues. L’histoire se passe à Limoges, les mecs s’appellent Jean-Bernard, on a Fred Testot, Bruno Salomone, Jérémie Elkaïm, Zabou, Alexandre Astier et nous aux voix.
Renseignements ici.