Le roi ne s’amuse pas. Drapés dans leurs riches manteaux, les courtisans s’ennuient, bien coiffés de leurs mêmes cheveux. Et chaque soliste de chanter à l’avant-scène ce qu’il doit dire à son partenaire. Un beau récital en beaux costumes.
Ludovic Tézier (Rigoletto) et les courtisans
Sous la poussière, l’incohérence. Gilda et Rigoletto, coincés à cour au pied de l’escalier de leur maison, font bien attention à ne point dépasser les limites du carrelage, cependant que le duc, faisant fi de la porte et de la physique, joue allègrement les passe-murailles.
L’échelle est posée par les courtisans contre un mur aveugle et Gilda, apparemment inerte, est emmenée par l’escalier, avant de se réveiller en coulisses. Chez Sparafucile, on devise en terrasse ou sur le banc de pierre alors que l’orage fait rage. Deux portes à la masure, l’une bien visible, l’autre non, mais Maddalena vient chercher Gilda dans la cour, comme si un rendez-vous avait été convenu. Entre-temps, le duc s’était endormi debout, terrassé par les femmes versatiles – ou peut-être drogué par l’odeur trompeuse de ce mouchoir qu’il pressait contre son nez et qu’il croyait être celui de Gilda ; Ce n’est pas le sien avait affirmé Rigoletto. Encore un mauvais coup de Iago.
Parmi les courtisans solistes, tous excellents, on retrouve avec bonheur le beau baryton de Dong-Hwan Lee, qui passe des énoncés du Mandarin de Turandot aux malédictions de Monterone. La Maddelena de Maria Kataeva a le relevé de jupons bien sage mais ne travestit pas inutilement ses graves. Et mieux vaut écouter que regarder Serguey Artamonov, Sparafucile à belle voix qui a oublié d’être un sicaire.
Saimir Pirgu (Le Duc de Mantoue)
Il n’y a guère que dans son dialogue muet avec Giovanna que le duc-écolier, alors boudiné dans un costume manifestement trop petit pour lui, s’amuse à jouer. Le reste du temps, c’est face public, la main sur le cœur et les yeux rivés au chef, que Saimir Pirgu propose un beau chant, affirmant des aigus que l’on aurait pu craindre fragiles.
Gilda – étrangement habillée chez elle comme une dame de cour – trouve chez Nino Machaidze beauté et détermination. La voix charnue, pulpeuse, corsée, et qui ne cherche pas la performance des aigus ajoutés, font du personnage une femme mûre, inflexible dans son amour fou.
Ludovic Tézier ne s’expose pas au jeu du bouffon. À peine bossu, sans claudication, presque impassible. Point non plus de personnage à double face : Rigoletto ne change ni de rôle ni de costume. Mais quelle expressivité, quelle longueur de souffle, quelle rondeur, quelle émotion dans le seul chant, dépouillé de tout artifice.
Nino Machaidze (Gilda), Ludovic Tézier (Rigoletto)
Et il aurait fallu que Daniel Oren eût été sur scène, avec ses mimiques, ses hochements de tête, ses impressionnants moulinets de bras, son immense corps de fou sensible. Donnant à l’orchestre de subtiles couleurs, articulant avec ses solistes, c’est incontestablement le grand acteur de la soirée.
Photos © Patrice Nin
Théâtre du Capitole, 29 novembre 2015
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.