Après une deuxième représentation qui fut un succès, le 6 mai 1854 au Teatro San Benedetto de Venise, depuis lors, cette œuvre qui clôture la célèbre trilogie de Giuseppe Verdi comprenant Rigoletto (1851) suivi de Il Trovatore (1853) et La Traviata (la Dévoyée), cet ouvrage donc, fait partie des chefs-d’œuvre immuables du répertoire de l’opéra, un classique absolu qui n’a rien perdu de sa puissance émotionnelle au fil du temps. Rendez-vous au CGR Blagnac le 17 novembre à 20h pour découvrir cette production.
En dépit des scènes de bal, La Traviata ressemble plus à une pièce de théâtre intime que les deux autres. Et si Verdi, en 1842, déclarait « ne pas vouloir mettre en scène de femmes de petites vertus… », il est en fin de compte resté fidèle à son idée, car son opéra ne fait jamais que présenter une tendre amante, condamnée à mort dans son amour. Une situation qui émeut depuis des générations entières.
Mieux encore, on peut penser aux quatre mouvements d’une symphonie, véritable unité donnée ainsi à l’ensemble, avec ses quatre actes ou plutôt quatre tableaux successifs, tout à fait différents, avec la fête très animée chez Violetta, l’intimité “pastorale“ du petit « nid d’amour », hélas bien provisoire, le bal chez Flora et la mort tragique de Violetta.
Le rôle de Violetta est extraordinairement exigeant. C’est un des plus grands rôles pour soprano sans qu’on puisse préciser, colorature, lyrique, dramatique, car on demande des prouesses dans le registre aigu plus des vocalises, mais aussi des graves et de l’expression d’un bout à l’autre. Des arias la sollicitent pratiquement dès le prélude écoulé jusqu’aux dernières notes ou presque de l’ouvrage. Entre temps, on est passé par de très beaux moments, plein de lyrisme pendant tout le premier tableau de l’acte II, et des moments d’une rare intensité dans le second tableau de ce même acte, sans oublier, au premier acte, l’exaltation de la femme qui se sent prise au piège de l’amour arrivé brusquement, sans crier gare. De plus, à la fin, il faut que ses derniers instants sur son lit-linceul prenne le spectateur “aux tripes“.
La soprano allemande Diane Damrau relève le défi après avoir vu toutes les portes des scènes lyriques s’ouvrir devant elle suite à une Reine de la nuit phénoménale dans une Flûte enchantée. Ici, d’un point de vue musical, c’est un portrait de personnage qui dépasse de loin les conventions et qui est presque sans égal dans son ampleur d’expression, même chez Verdi. Mais il semble bien que la cantatrice possède toutes les “voix“ pour camper un tel personnage, à la fois vif et rempli de tristesse.
Dans la distribution, on relève Piotr Beczala dans le rôle d’Alfredo Germont, un magnifique ténor, qui pose maintenant ses valises sur les scènes les plus prestigieuses, à la Scala, ou au Met ou à Covent Garden, entre autres. Quant à Germont père, c’est le grand baryton verdien Zeljko Lucic. À la baguette, Daniele Gatti, qui a déjà prouvé à travers le monde toute sa perspicacité dans le répertoire verdien, aussi bien en termes de puissance que de lyrisme. Il dirige Chœur et Orchestre de la Scala de Milan. Quant à la mise en scène, elle relève de l’inspiration du russe Dmitri Tcherniakov qui, d’habitude, ne laisse pas indifférent !
Avant de dire quelques mots sur la maladie, quelques uns sur l’amour dans La Traviata : l’amour, ici, ne fait qu’un avec la fatalité : il naît, pour Alfredo, d’une sorte de fascination pour la maladie, et Violetta, à l’heure où elle décide, prisonnière des conventions imposées, de se séparer de lui, proclame qu’elle va en mourir. Il ne manque même pas les Bohémiennes pour prédire un avenir que scelle l’union de l’amour et de la mort. Carmen n’est pas loin, ce sera vingt ans plus tard. Dans la Traviata aussi, « l’amour est enfant de bohème » et « n’a jamais connu de loi ». Car cette œuvre que certains critiques considèrent comme soumise aux valeurs bourgeoises est bien une sorte d’hymne échevelé à la liberté. Verdi le révolutionnaire, qui dut ses premières gloires à de véritables chants patriotiques, ne s’y renie nullement. Et, à l’heure où l’Italie se bat pour son unité et son indépendance, il se révolte contre un ordre social sacrifiant l’amour au devoir.
Il suffit d’entendre quelles musiques, lourdes et sombres, Verdi attribue au père Germont, le « garant de l’ordre moral », pour sentir ce qu’il pense des donneurs de leçons et des oiseaux de mauvaise augure. Le vieillard peut bien prédire à la radieuse Violetta amoureuse de son fils, que sa jeunesse ne sera pas éternelle et que le temps usera l’amour, ce sera elle, pourtant, qui finalement triomphera, et le vieillard qui lui demandera pardon. Car, par son sacrifice, l’héroïne a prouvé que la jeunesse peut se faire éternelle, et l’amour l’emporter avec la mort. La Traviata a beau être une tragédie du quotidien, elle reste un chant d’espoir.
Mais pourquoi donc cette œuvre sonne-t-elle aussi vrai malgré certaines mises en scène qui ont pu passablement la bousculer ? C’est, sans doute, qu’elle a, dans le réel, de solides racines. Evoquer, pour Verdi, une femme atteinte de tuberculose, n’était pas facile : sa première femme adorée, et ses deux petites filles, avaient succombé à ce fléau. Quant au jeune Dumas, sa Marguerite n’était nullement une image d’Epinal, mais, tout banalement, une de ses maîtresses, qu’il avait abandonnée et à qui il se remit à écrire lorsqu’il eut appris sa maladie. Mais la jeune femme en mourut, à 23 ans, et c’est sous le choc de cette mort qu’il écrivit son célébrissime roman La Dame aux camélias (1848). Il n’eut pas grand chose à inventer, la vie d’Alphonsine Duplessis, rebaptisée Marguerite Gautier, ayant été dramatique à souhait ! Cette fille de concierges qui se fit, pour survivre, marchande de fruits et légumes puis courtisane – et des plus cultivées – jusqu’à devenir une maîtresse de Franz Liszt, n’avait rien à envier à la fiction. Elle mourut dans la misère et la plus grande solitude.
ACTE 1. Violetta Valéry, courtisane admirée de tous, entourée de viveurs fortunés, donne une réception semi-mondaine dans ses appartements. Au cours de la soirée, un habitué, lui présente Alfredo Germont, un jeune homme qui semble manifester tout de suite un intérêt profond pour la maîtresse de maison. Proposant de porter un toast, Alfredo saisit là l’occasion de flatter Violetta, et tous trinquent au plaisir et à l’amour. Prise par un soudain malaise, Violetta demande à rester seule. Tandis que les convives sont invités à danser dans le salon voisin, Alfredo profite de ce moment privilégié pour déclarer son amour à Violetta. Touchée mais néanmoins désabusée, Violetta prie Alfredo de se retirer et lui offre une fleur de camélia qu’il devra lui rapporter une fois fanée.
Désormais seule, Violetta reconnait être troublée par ce jeune homme qui réveille en elle le frémissement d’un bonheur qu’elle n’attendait plus. Mais elle revient brusquement à la réalité, à sa condition de femme du monde, libre, frivole et avide de plaisirs…
ACTE 2.
Premier tableau.
Violetta s’est avouée la force de son amour pour Alfredo et vit désormais près de lui dans sa maison de campagne. Apprenant d’Annina, la femme de chambre, que Violetta vend ses bijoux pour couvrir les dépenses du couple, Alfredo décide de se rendre à Paris pour trouver l’argent nécessaire. Giorgio Germont, père d’Alfredo, profite de l’absence de son fils pour rendre visite à Violetta. L’accusant de façon abrupte, de déshonorer son fils et l’ensemble de sa famille, il demande à Violetta de renoncer à son amour pour Alfredo. En effet, la sœur d’Alfredo doit se marier, et il ne serait pas de bon ton dans la famille bourgeoise, qu’elle est pour belle-sœur une dévoyée ou cataloguée telle que. Comprenant que son passé la rattrape, Violetta, déchirée, se résigne et se sacrifie au nom de celui qu’elle aime. C’est une des plus belles scènes de cet opéra, et de tous les opéras verdiens.
Alors qu’elle s’apprête à écrire deux lettres, l’une qui la fera renouer avec son ancienne vie, l’autre qui mettra un terme à son actuelle relation, Alfredo arrive justement.
Profondément affectée, Violetta exprime une dernière fois l’ampleur de son amour avant de faire ses adieux. Violetta se retire en lançant : « Aime-moi Alfredo, autant que moi je t’aime ». Découvrant la lettre de Violetta, Alfredo pousse un cri de désespoir, écarte son père et ses recommandations et promet de se venger…
Deuxième tableau
Une fête bat son plein chez Flora Bervoix, une amie de Violetta. Alfredo surgit. Flora s’étonne de le voir seul, mais Violetta fait à son tour son entrée, accompagnée du baron Douphol. Alfredo n’a qu’un seul désir : se venger. Il joue aux cartes avec le baron et gagne une somme considérable. Violetta est partagée entre le désir de s’expliquer et la promesse faite à Germont. Elle finit par prétendre qu’elle aime Douphol. Fou de rage, Alfredo jette l’argent gagné au visage de Violetta devant tous les invités, la «payant » ainsi de ses trois mois d’amour. Violetta s’évanouit et le baron provoque Alfredo en duel. Germont, qui a suivi son fils, lui reproche d’insulter une femme de cette manière.
ACTE 3
Violetta, plus souffreteuse que jamais, se retrouve abandonnée de tous. Seule, Annina lui reste fidèle. Alors qu’à l’extérieur Paris vit au rythme du Carnaval, le médecin, quémandé, va apprendre à la gouvernante que Violetta n’a plus que quelques heures à vivre. Violetta a le courage de relire la lettre de Germont père dans laquelle il lui avoue avoir tout dit à son fils Alfredo sur le pourquoi de son comportement, sa fuite,….Il lui annonce aussi qu’il ne saurait tarder pour venir la retrouver.
Alfredo arrive enfin et demande à Violetta de lui pardonner. Renouvelant leurs vœux d’amour, les deux amants projettent déjà de quitter Paris, et de vivre ce bonheur auquel on les a arrachés. Alors que Germont vient implorer le pardon de Violetta, celle-ci, à bout de forces, implore Alfredo de ne jamais l’oublier. Un dernier sursaut de vie semble l’animer, avant qu’elle ne tombe brutalement, morte.
Michel Grialou
All’Opéra
La Traviata
Teatro alla Scala Milan
mardi 17 novembre 2015 à 20h00
Diffusé dans votre cinéma Mega CGR Blagnac
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