En octobre, un vent décoiffant souffle au théâtre Le Vent des Signes où la comédienne Anne Lefèvre se livre dans tous ses états et nous invite à en faire de même avec son solo « Et Toi ? ».
«Esperanza m’a amenée là où je n’avais jamais été». C’est ainsi qu’Anne Lefèvre parle de la metteuse en scène de « Et toi ? », sa dernière création présentée dans son théâtre, Le Vent des Signes. Esperanza López est l’assistante du trublion basque Oscar Gómez Mata – metteur en scène installé à Genève. Rencontrée à Toulouse, où Esperanza López intervient régulièrement — elle a notamment assisté Catherine Froment —, Anne Lefèvre a trouvé en elle une collaboratrice à l’écoute, capable d’ouvrir des «espaces de liberté au dire et à la corporalité» qui donnent la place à l’autre.
Créé en mars 2014 au Théâtre Le Vent des Signes, « Et toi ? » est nourri de l’écriture de « Sujet/Pas objet », texte qu’avaient découvert les spectateurs du festival Insolite Musiquemots en 2013. Cette création s’inscrit bien dans la continuité des précédents spectacles de l’agitée-agitatrice Anne Lefèvre, « You need a coach my friend » et « J’ai apporté mes gravats à la déchetterie ». Il est un état des lieux de l’être qui, une fois débarrassé de ses manies-réflexes, démons et idées acquises, peut aller ailleurs, «s’approcher du fleuve». « Et Toi ? » est un conte initiatique qui nous interpelle frontalement dans nos singularités, dans nos différences. «Je te dis tout ça pour savoir si toi aussi tu as des trucs qui clochent». « Et Toi ? » est une déclaration d’amour à la vie et à l’autre.
Côte mise en scène, on est toujours chez Anne Lefèvre dans la forme performative plus que dans la représentation théâtrale, dans la célébration de l’humain plus que dans l’incarnation d’un personnage. Sa metteuse en scène Esperanza López l’a bien compris. Elle a travaillé le plateau in vivo de dédoublements visuels, ruptures de ton, changement de rythmes et de lumières comme autant de dualité, de pluralité identitaire : jeu subtil d’une comédienne et d’une femme qui se met à nu dans sa vulnérabilité, confrontation malicieuse de la réalité de sa présence scénique avec la virtualité de son image projetée, et recours pudique au pronom «elle» pour mieux cacher le «je», mais surtout invoquer le «tu».
Ce poème, ce chant adressé à tous, rythmé par la question-refrain « et toi ? » fait surgir un flot d’images évoquant l’idée de traversée, de cheminement existentiel. Des images, tels bien sûr ces objets visuels que sont les projections vidéo, parfois poétiques, burlesques ou difficiles – comme peut l’être la vie avec ses rencontres magiques, ses imprévus et ses accidents. Mais aussi ces listes de «j’aime», «je déteste», «j’adore» ou «je préfère éviter» qui vont chercher le spectateur dans son vécu. Ou encore ces micro-récits posant la question du regard sur l’autre, car «tout ça c’est une question d’axe», ou sur les événements d’une vie, comme lorsque après une longue maladie «l’on cultive moins l’inutile».
Alors oui, aller à l’essentiel, au plus juste, tel est le théâtre d’Anne Lefèvre, poétique et politique, un appel à la conscience de chacun, sa responsabilité, son libre-arbite. Un théâtre plus que nécessaire en ces temps névrotiques, d’effroi et d’intolérance. Un théâtre qui s’attache à redonner du sens en ce monde insensé et impensé et à replacer l’idée du vivre ensemble au cœur du sociétal. «Et toi ? Comment tu traces devant ?».
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Du 8 au 17 octobre, du jeudi au samedi, 20h00, au Théâtre Le Vent des Signes,
6, impasse de Varsovie, Toulouse. Tél. 05 61 42 10 70.
Dans le cadre du Festival Insolite Musiquemots, du 17 au 25 octobre :
Jeudi 22 octobre, 12h45, à la Fabrique, Université Jean-Jaurès,
5, allées Antonio-Machado, Toulouse (entrée libre).
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photo © Katty Castellat
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