Yves Jeuland suit le Président François Hollande le temps de trois saisons. Un documentaire intelligent, rythmé, éclairant.
« A l’Elysée, un temps de Président », diffusion lundi 28 septembre, 20h50, France3.
Yves Jeuland sait filmer la politique. Il suit durant trois saisons le Président François Hollande dans les coulisses de l’Elysée, avec Jean-Pierre Jouyet et Gaspard Gantzer, responsable de la communication ou le synonyme de « source proche du Président » des journalistes, qui répètent mot à mot ses communiqués de presse. Si l’information a changé avec la rapidité des réseaux sociaux, les vrais journalistes se font rares. Les images d’Yves Jeuland suffisent : l’absence de voix off fait un bien fou, la musique ponctue intelligemment les scènes filmées. Quel que soit son attachement à la politique ou au gouvernement en place, chaque spectateur y trouvera son compte.
Quel dispositif avez-vous utilisé ?
Comme d’habitude : j’étais seul, avec une unique caméra. Je filme caméra au poing, pas à l’épaule, et jamais avec un pied.
Combien d’heures de rushes aviez-vous à trier ?
Je pense qu’il y avait 75 heures de rushes, pour 40 jours de tournage, étalés sur 6 mois. Il y a des films qui se construisent plus ou moins au tournage, d’autres au montage. Je pense que celui-là est assez équilibré. Le montage est toujours une étape très importante qui dure aussi longtemps que le tournage, voire plus longtemps en termes de jours et sur une durée équivalente, à peu près 6 mois. Le montage était ici un peu moins long, environ 5 mois. Il fallait trouver un équilibre. Ce tournage était peut-être moins copieux que d’habitude. J’avais beaucoup plus tourné pour « Les Gens du Monde », qui était plus court avec davantage de matière, de réunions parce que je cherchais l’histoire que je voulais raconter. Là, j’ai déterminé à peu près les histoires quand je tournais, j’imaginais un peu mais encore, tout dépend des séquences, des moments où on est plus surpris. Dans l’inconnu complet comme avec les attentats par exemple, on analyse et on trie la matière. Alors que pour la séquence d’écriture du discours pour la remise de la Grand-croix de la Légion d’honneur à Jean d’Ormesson, je la tournais en ayant déjà en tête comment elle serait montée.
Avez-vous attendu la fin du tournage pour commencer à dérusher ou cela s’est-il fait semaine après semaine ?
On a un peu dérushé pour pouvoir échanger avec la monteuse. Il y a eu quelques jours pendant le tournage où on s’est arrêté pour voir ce qu’on pouvait améliorer : un peu les partis pris, vérifier aussi les questions techniques de son et d’image. Il y a donc eu au cours du tournage quelques journées de dérushage et même parfois de montage.
Comment qualifieriez-vous votre rapport avec François Hollande ?
François Hollande n’est ni un ami, ni un ennemi. Je n’ai pas à être bienveillant ou pas à son égard. Il faut trouver le bon équilibre entre la confiance nécessaire et la distance indispensable. Le film ne s’est fait ni dans la révérence, ni dans l’irrévérence. Je cherche à raconter des histoires et à me rapprocher le plus possible d’un film de cinéma.
Pourquoi avoir gardé la séquence avec Fleur Pellerin ?
Je garde les séquences qui font sens dans l’histoire. Ici aussi, je ne cherche pas à être bienveillant ou pas, ni à trahir : ce n’est pas une image volée ou une caméra cachée. Il n’y a pas de piège. Je cherche à montrer une vérité qui n’est pas la Vérité. Pour moi, cet échange raconte quelque chose. Le son n’était pas assez bon pour ne pas avoir recours aux sous-titres.
Devez-vous demander l’autorisation d’utiliser les images aux autres personnes avec qui François Hollande s’entretient ? Je pense aux familles des victimes par exemple.
Oui bien sûr, mais toujours de manière orale, jamais de manière écrite.
Le choix de la musique pour illustrer votre film ?
Pour moi, la musique est toujours importante dans un film, c’est un personnage, en tout cas un élément de la narration qui ne doit pas être uniquement là pour accompagner. Parfois, elle peut même être au premier plan, même s’il m’arrive de monter des films sans musique, comme c’était le cas pour « Le Président » avec Georges Frêche. Elle a parfois dans mes films le rôle du commentaire. Je n’aime pas les musiques qui sont uniquement des musiques d’ambiance ou des nappes musicales. Elle doit être présente, sans non plus étouffer le film.
Qu’est-ce qui a fait que ce film soit pour la télévision et non pour le cinéma ? Et cela change-t-il votre façon de tourner ?
C’est parfois un concours de circonstances. Honnêtement, ce film-là mérite plus le grand écran que le petit, (c’était la situation inverse avec mon précédent film !) mais je suis ravi qu’il passe à la télévision. C’est aussi beaucoup plus d’audience : une mauvaise audience à la télévision fera souvent plus de spectateurs qu’une bonne audience au cinéma.
Il y a eu une contrainte de temps imposée par la télévision ?
Non, c’est souvent le cas, mais j’essaie de m’en affranchir. Les diffuseurs le savent et c’est peut-être un luxe dont je bénéficie. J’en ai conscience et je ne rends la copie que quand le film est prêt. Quand je serai allé au bout, je changerai de métier. Il y avait une tentation de se dire qu’après les attentats de janvier, la télévision aurait diffusé mon film plus tôt. J’ai résisté. Et je pense qu’au contraire, avec ces événements, le film méritait de reposer davantage. L’équilibre des trois saisons été-automne-hiver est nécessaire au film. De toute façon, je ne sais pas faire vite et je n’aime pas me presser.
Sur votre film, les dates apparaissent et pour rappeler le contexte, on entend des flashs infos de radio. Pourquoi pour les attentats avoir choisi de faire entendre les tirs des balles ?
Il y a aussi des sons de France Inter, et là, il fallait montrer un basculement. J’ai mis un écran noir et petit à petit l’obscurité se dissipe. Je comptais vraiment marquer le coup pour que ce ne soit pas un événement comme un autre, puisque c’est ainsi que la population l’a vécu. Ce film donne la priorité à l’image, mais ici, il n’y en a pas, ou uniquement provenant de tournages avec des téléphones mobiles que je ne voulais pas utiliser. Voilà pourquoi il n’y a que du son.
Toutes les images du 11 janvier, du défilé, de l’accueil sur le perron de l’Élysée, on les a plus ou moins vues grâce aux caméras de journalistes, mais dans l’autre sens. Vous, vous étiez directement à l’intérieur de l’Élysée.
Le documentaire se définit souvent pour moi par le choix du contrechamp. Ici, le choix était tout à fait affirmé puisque j’étais à l’intérieur et les autres caméras étaient dans la cour de l’Élysée. Il fallait donc assumer complètement cette position-là et montrer le Président de dos, ce qui faisait l’intérêt de cette séquence. J’ai réfléchi très rapidement pour choisir la meilleure place, sans que je sois dans le champ des autres caméras. On a mis beaucoup de temps à monter cette séquence. Je dois beaucoup au travail de Lizi Gelber, la monteuse du film.
Vos autres projets ?
J’en ai beaucoup. Un film qui j’espère sortira au cinéma et certainement mon tournage le plus long. Jusqu’à maintenant, c’était « Paris à tout prix » que j’ai tourné en 22 mois pendant la campagne de la municipale parisienne entre 1999 et 2001. Là, ce sera 3 ans. C’est l’aventure d’une promotion d’élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Je filme des élèves comédiens du jour de leur concours d’entrée en 2014, jusqu’à la sortie de l’école en 2017.
Et ensuite j’ai deux projets de films pour la télévision, un pour Arte sur Michel Piccoli, et un autre pour France Télévisions avec un co-auteur François Aymé, sur Jean Gabin. Ce sont là des films d’archives.
Propos recueillis suite à la projection du film au cinéma ABC de Toulouse, merci Buny !