Il valait mieux arriver (très) en avance ce lundi 29 juin pour découvrir la saison 2015/2016 du Théâtre National de Toulouse où des centaines de curieux se pressaient fiévreusement dans le hall bien avant l’ouverture des portes de la grande salle. Rançon du succès, les arrivés de dernière minute eurent la mauvaise surprise de ne pouvoir trouver place pour assister aux deux heures de présentation de la 8ème et avant-dernière saison du duo Agathe Mélinand-Laurent Pelly. Un exercice précédé de l’intervention d’un autre duo – un comédien de l’Atelier et une employée du TNT – pour déplorer la baisse de la subvention de la ville de Toulouse (une baisse de 10% qui touche la plupart des lieux de spectacles de la ville rose), ses conséquences pour le Centre dramatique toulousain et plus largement pour les emplois culturels en Midi-Pyrénées.
Première d’entre elles, une diminution du nombre de spectacles proposés, de 37 en 2014/2015 à 34 en 2015/2016. Comme chaque saison, la programmation s’articulera autour de trois thématiques principales : « Un monde nouveau », « Transformation(s) » et « A la musique » (en référence au titre du poème d’Arthur Rimbaud).
« Un monde nouveau » s’efforcera d’apporter un peu d’espoir face aux inquiétudes que génère l’actualité et aux menaces qui pèsent sur notre société. Pour lancer cette thématique et ouvrir la saison, une curiosité, Masculin Féminin – Variations (du 6 au 24 octobre) inspiré du film de Jean-Luc Godard mais transposé en 2015, cinquante ans après sa sortie. Mis en scène par Laurent Pelly, écrit et imaginé conjointement par Agathe Mélinand et les jeunes comédiens de l’Atelier du TNT qui l’interpréteront, ce Masculin Féminin d’aujourd’hui dressera « un état des lieux intime, politique, social et amoureux » de notre époque comme l’avait fait son illustre ancêtre trois ans avant mai 1968. Godard lui-même est intrigué et se demande ce qu’ils vont bien pouvoir faire de tout ça. Nous aussi.
Masculin, féminin – Trailer, Jean-Luc Godard (1966)
Joël Pommerat, de retour au TNT du 13 au 16 octobre, nous plongera lui aussi dans une période de grands bouleversements politiques et sociaux puisqu’il y présentera Ça ira (1) Fin de Louis, sa nouvelle création consacrée au mythe de la Révolution Française. Point de reconstitution historique ici mais la confrontation de la pensée et des interrogations contemporaines avec les débats d’idées et les dynamiques qui ont poussé les révolutionnaires de 1789 à passer à l’action.
Le XVIIIème siècle sera encore à l’honneur du 4 au 7 novembre avec Intrigue et amour, la pièce de Friedrich Schiller mise en scène par Yves Beaunesne. Cette oeuvre fondatrice du théâtre allemand moderne voire du théâtre contestataire en général (elle était très admirée par Brecht), sur fond d’histoire d’amour contrariée et de jeunesse révoltée par la corruption des politiques, reste peu jouée de nos jours. Une raison de plus de la redécouvrir.
Dans le registre des curiosités, du 24 au 6 décembre, Deux ampoules sur cinq, une adaptation des Notes sur Anna Akhmatova réalisée et mise en scène par Isabelle Lafon. La publication des écrits de la grande poétesse russe ont été interdits de 1938 à 1966. Ses entretiens avec la critique Lydia Tchoukovskaïa seront donnés dans le noir, celui où la censure vous laisse.
De retour aussi au TNT cette saison et ce sera un plaisir de le revoir avec ses comédiens, Christian Benedetti poursuit son projet fou de monter toutes les pièces de Tchekhov. Après La Mouette, Oncle Vania et Trois sœurs en 2013, il reprendra Trois sœurs du 24 au 28 novembre. Du 1er au 5 décembre, il proposera au public toulousain la version de La Cerisaie qu’il vient juste de créer, jouée parait-il à la manière d’un vaudeville…
On a beaucoup apprécié la saison passée le jeune comédien Thomas Condemine dans L’Oiseau vert où il interprétait le rôle de Renzo. On aura l’occasion d’admirer ses talents de metteur en scène pour son adaptation de Mickey le Rouge, le roman de Tom Robbins, programmée du 13 au 16 janvier. Beau comme la rencontre fortuite, sur une scène de théâtre, d’un poseur de bombes pacifiste et d’une princesse un peu dingo. Une collision qui donne lieu à une pièce inquiétante et énigmatique, entre farce et satire politique.
Vanishing-Point sera le dernier épisode d’ « Un monde nouveau » du 12 au 15 avril. Conçu, écrit, et mis en scène par Marc Lainé, avec la participation et la musique des membres du groupe Moriarty (dont le nom est emprunté à un personnage de Sur la route de Jack Kerouac), ce road trip sur scène, « pop et fantastique » entrainera le spectateur au Québec dans une traversée du territoire amérindien. Une des autres curiosités de l’année.
« Transformation(s) » sera la deuxième thématique de la saison et introduira plus de légèreté dans la programmation, ce qui n’exclut pas la profondeur du propos. C’est la pièce de Philippe Quesne (récemment nommé à la direction du Théâtre des Amandiers) La Mélancolie des dragons qui ouvrira cet autre chapitre. Avec pour point de départ un groupe de hard-rock qui se retrouve bloqué dans une forêt enneigée à bord d’une vieille citroën en panne. La suite de ce spectacle « plastique et improbable » est à découvrir du 1er au 5 décembre.
On se réjouit à l’avance de retrouver l’univers de Copi à Toulouse et cette chance nous sera donnée du 8 u 12 décembre grâce à La Journée d’une rêveuse (et autres moments…), une adaptation de Pierre Maillet d’après La Journée d’une rêveuse et Rio de la Plata, deux textes de l’auteur argentin francophone. Avec pour l’interpréter, seule sur scène et accompagnée au piano par Lawrence Lehérissey, une « Copiste » de longue date, sa compatriote Marilù Marini (la reine-mère Tartagliona dans L’Oiseau vert). Une de ses comédiennes fétiches pour servir le Copi que l’on aime : drôle, truculent, poétique, rêveur…
Parmi les classiques que l’on pourra revoir cette année, Six personnages en quête d’auteur ne sera certainement pas le moins attendu. La pièce mythique de Luigi Pirandello (expert en « transformations »…) sera programmée du 27 au 30 janvier dans une mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota. On attend avec impatience d’être confronté de nouveau à la subtile modernité de cette œuvre qui a ouvert la voie à de nombreux auteurs contemporains.
La création de l’année de Laurent Pelly
Impatients, on le sera aussi de découvrir la grande création annuelle de Laurent Pelly. A la surprise de quelques-uns, c’est sur La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, un de ses auteurs de prédilection, que s’est porté son choix. Il avait depuis longtemps le projet de monter cet autre classique du XXème siècle sur un grand plateau, ce qui sera chose faite du 3 au 26 mars. Qu’est-ce que l’absurde aujourd’hui ? Tragique, sombre et pessimiste mais pleine de fantaisie et de drôlerie, la première pièce du grand dramaturge Roumain, avec son mélange d’insécurité, d’insolite et d’invraisemblable, devrait offrir un terrain de jeu propice à l’univers « pellyesque » pour un spectacle qui pourrait ressembler à du « Tati hard »…
C’était la grande création de Laurent Pelly il y a deux saisons et ce fut à l’époque un beau succès public et critique. Sa version du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare sera reprise au TNT du 3 au 14 mai. Nul doute que ceux qui l’ont aimée en 2014 voudront revoir en 2016 cette jolie féérie scénique dont certaines images, d’une beauté plastique à couper le souffle, sont encore gravées dans toutes les mémoires.
Et pour prolonger la rêverie shakespearienne, le cycle « Transformations » se terminera par Cupidon est malade, un texte de Pauline Sales inspiré de Shakespeare. Mis en scène par Jean Bellorini (artiste invité du précédent mandat d’Agathe Mélinand et Laurent Pelly), ce spectacle jeune public sera donné du 17 au 21 mai.
« A la musique », troisième thématique de la saison, proposera trois spectacles à voir ou à revoir. Le premier est programmé du 2 au 13 février et ce sera une reprise puisqu’Agathe Mélinand redonnera l’Histoire de Babar de Francis Poulenc créée en décembre 2014 avec Eddy Letexier sur scène et Charles Lavaud au piano. Un autre spectacle jeune public pour se replonger dans l’univers enchanté de la bande dessinée créée par Jean de Brunhoff, magnifié par la superbe musique de Francis Poulenc.
Comme il nous y a habitués depuis quelques années, Jean-François Zygel sera au TNT les 8 et 9 février pour deux ciné-concerts lors desquels il improvisera au piano sur Les Nibelungen, film de Fritz Lang tourné en 1924 dont ce sera la première projection en version restaurée. Deux époques, La Mort de Siegfried projetée le 8 février et La Vengeance de Kriemhild le 9 février. Une occasion rare de découvrir ce chef d’oeuvre du cinéma muet.
Agathe Mélinand aime la musique française du début du XXème siècle, on le sait depuis le spectacle qu’elle a consacré à Erik Satie et sa mise en scène de L’Histoire de Babar de Francis Poulenc. On ne sera donc pas étonné de trouver dans la programmation de cette saison M.M.O, un spectacle jeune public qui mélange danse, musique et vidéo conçu par Lionel Hoche sur la musique de Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel.
… et d’autres rendez-vous à ne pas manquer
Cette saison 2015/2016 offrira bien d’autres visages et des spectacles qu’il convient de noter sur les agendas. Parmi eux, du 3 au 7 novembre, Meursaults, l’adaptation qu’a réalisée et mise en scène Philippe Berling à partir de l’excellent roman de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête. Une fiction et une réflexion sur l’Algérie post-coloniale à travers la parole donnée au frère et à la mère de l’Arabe tué par Meursault dans L’Etranger d’Albert Camus.
Il avait présenté la saison dernière son adaptation des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, le jeune metteur en scène Julien Gosselin, un des artistes invités du TNT, proposera une nouvelle adaptation de roman. Cette fois-ci, c’est L’homme incertain de Stéphanie Chaillou qu’il porte sur scène pour une création à Toulouse du 17 au 21 novembre sous le titre Le Père. Un long monologue, celui d’un agriculteur qui se retourne sur son passé pour répondre aux questions de ses enfants, interprété sur scène par Laurent Sauvage.
Après son spectacle sur les écrivains du Nouveau Roman en 2012, Christophe Honoré fera son retour au TNT avec Fin de l’Histoire d’après l’œuvre de Witold Gombrowicz. Basée sur le thème de l’immaturité, très présent dans l’œuvre de l’auteur polonais, sur ce qu’aurait pu être le monde si certains des grands événements ou personnages historiques du XXème siècle n’avaient pas existé, ce spectacle intrigant sera programmé du 11 au 17 décembre.
Les pièces de Bernard-Marie Koltès sont jouées chaque saison à Toulouse depuis quelques années, notamment La Nuit juste avant les forêts et Dans la solitude des champs de coton. Koltès, que Laurent Pelly considère comme le Shakespeare contemporain, a écrit un an avant sa mort une ultime pièce inspirée par un fait divers, l’histoire du tueur en série italien Roberto Succo, meurtrier de ses propres parents. Avec cette question qui hante toute l’œuvre de Koltès : qu’est-ce donc que cette violence contenue dans chaque individu et qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, certains n’arrivent plus à la canaliser ? Sous son titre original, Roberto Zucco sera présentée au TNT du 13 au 16 janvier dans une mise en scène de Richard Brunel.
Encore un habitué et un amoureux du lieu à revoir du 3 au 6 février, l’excellent et sympathique comédien Jacques Gamblin. Après sa lecture de Romain Gary en 2012 et son spectacle en compagnie du pianiste de jazz Laurent de Wilde en 2014, ce passionné de sport sera de retour au TNT avec 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes, une création surprenante consacrée aux sportifs et à la relation coach/athlète qu’il interprétera avec Bastien Lefèvre.
Vous reprendrez bien un peu de Shakespeare ? Troisième œuvre du grand dramaturge anglais au programme cette saison, Richard III prévue du 6 au 10 avril. Après les 18 heures de la trilogie Henry VI la saison dernière, Thomas Jolly proposera le 4ème et dernier volet de ce « cycle d’horreur et de barbarie » avec cette pièce dont il interprétera lui-même le rôle-titre.
Ultime pièce de la saison mais non la moindre, Orestie (une comédie organique ?) d’après Eschyle dans la mise en scène de Roméo Castellucci créée il y a 20 ans. Une des plus grandes œuvres théâtrales de tous les temps dans la version d’un des plus grands metteurs en scène contemporains. Une des plus violentes aussi, sorte de tragédie barbare dans laquelle la parole est absorbée par la présence du corps. Une collaboration entre le TNT et le Théâtre Garonne à voir du 25 au 28 mai.
On ne saurait refermer ce panorama de la saison sans parler du spectacle qui la clôturera. Le scénographe et metteur en scène Aurélien Bory présentera en avant-première, du 28 au 30 juin, Espèce d’espace d’après Georges Perec. Des « brouillons » de son nouveau spectacle avant qu’il ne le donne lors du festival d’Avignon 2016. Ce projet accompagne l’artiste toulousain depuis de nombreuses années. On peut le classer sans hésiter parmi les curiosités d’une saison qui, décidément, n’en manque pas.
Et maintenant, faites vos choix…
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