En ces temps de canicule, il y a bien sûr les grands rendez-vous festivaliers pour tous les goûts et Midi-Pyrénées n’est pas en reste (même si la braderie il y a quelques années du Parc matériel régional – l’ARDT – doit lourdement compliquer la tâche des régisseurs) ; mais la plupart du temps, on n’y sort pas des sentiers battus, la place belle étant faite, en général, aux vedettes de l’année.
Par contre, entre Les majoliques de la Renaissance italienne à l’Hôtel d’Assézat, les Saisons de Dom Robert au Musée de Sorrèze et Henri Rousseau, le dernier orientaliste à Lavaur, au Musée du Pays vaurais (jusqu’au 15 septembre), il y a de quoi se rincer l’œil, si l’on fait l’école buissonnière.
Et il fallait vraiment être aux aguets pour ne pas rater l’unique représentation du Petit Prince en l’église de Luchon, dans le cadre du Festival de Comminges*, comme la Dame au Tableau, noyé dans les blockbusters estivaux de nos cinémas climatisés.
Le Petit Prince dans les salles obscures, à la vue de la bande annonce, et malgré les voix des doublures, semble être une americanata, comme disent les Italiens, qui va remplir ces salles où l’on dévore des tonnes de pop corn. Mais je peux me tromper, je ne l’ai pas vu.
Le jeudi 16 juillet, par contre, il fallait braver l’orage et prendre la petit laine pour se rendre à l’unique représentation en l’église de Bagnères de Luchon** où nous accueillaient le toujours fringant Jean-Patrice Brosse, organiste virtuose et directeur artistique éclairé du Festival du Comminges, et son équipe de bénévoles.
Dédiée à Notre Dame de l’Assomption, elle a été édifiée pendant le second Empire par l’architecte Loupot de 1847 à 1857, sur l’emplacement de la vieille collégiale mozarabe dont seul le porche de l’ancienne église a été conservé et placé sur le côté nord de l’église : son but était de faire de cette église de station thermale une référence sainte des bienfaits de l’eau. Le plan est de style gothique méridional alors que les façades sont de style romano-lombard, dans l’esprit des églises des vallées luchonnaises ; le calcaire dont est composée l’église présente la particularité d’être bleuté et veiné de blanc. A l’intérieur, on peut admirer les peintures murales néo-classiques de Romain Cazes, disciple d’Ingres, qu’il réalisa de 1852 à 1856, en convalescence à Luchon, ces fresques formant 3 grandes compositions : le Couronnement de Marie, les Litanies de la Saint Vierge et la Divine Liturgie (ce sont les luchonnais eux-mêmes qui ont servi de modèle).
L’orgue monumental qui trône à l’intérieur de l’église, est décoré d’anges musiciens et proviendrait d’une église anglaise*. C’est de là qu’officiait ce soir-là Sophie-Véronique Cauchefer, titulaire adjointe de l’orgue de Saint Sulpice à Paris, qui accompagnait en douceur et finesse les trois récitantes, comédiennes de renom : Pauline Choplin, Isabelle Guiard, Solange Boulanger***. Malgré l’importante réverbération, ce quatuor féminin donnait à entendre, avec talent et justesse, cette œuvre philosophique aux allures de conte initiatique, dans le respect de la version des Éditions Gallimard en 1945.
Qui ne connaît la magie de cette œuvre de celui qui a écrit dans Pilote de guerre en 1942 : « je suis de mon enfance comme d’un pays » ? On a envie d’ajouter d’un pays perdu tant Antoine de Saint Exupery (1938-1940) a endormi avec son Petit Prince**** des générations d’enfants rêveurs, dont je suis : c’est un des premiers livres que j’ai offert à mes enfants avec l’adaptation phonographique de Gérard Philipe dans le rôle du pilote, Georges Poujouly dans celui du Petit Prince, Pierre Larquet dans celui de l’allumeur de réverbères, Michel Roux dans celui du serpent, Jacques Grello dans celui du renard, et Sylvie Pelayo dans celui de la rose.
Pourtant ce soir, les trois comédiennes n’ont pas pâli de le comparaison, bien au contraire : des enfants sidérés et des adultes émus étaient suspendus à leurs lèvres, et les éclairs dans illuminaient les vitraux tandis que l’orgue, sous les doigts de Sophie-Véronique Cauchefer, visible sur un écran en fond d’autel, introduisait, prolongeait comme en écho, illustrait ou commentait la lecture ; elle interprétait des compositeurs tels que Fauré, Frank, Vidor… mais aussi ses propres improvisations inspirées, à l’image des aquarelles stylisées et épurées de l’auteur de ce conte pour petits et grands.
Il est dommage que le manque de curiosité n’ait fait venir qu’une petite centaine de personnes noyée au milieu des 600 places. Mais je ne doute pas que ce soir ont été semées des petites graines de poésie et de rêve dans la mémoire des quelques enfants présents, dont certains ont découvert aussi cet instrument magique qu’est l’orgue. N’est-ce pas l’essentiel ?
Le pari des organisateurs qui avaient à cœur de « nous réunir autour d’un texte hautement symbolique et propre à enrichir l’imaginaire de chacun, au-delà des différences de culture et de croyances », était parfaitement atteint.
Même si le Petit Prince, du haut de son enfance, regarde notre planète, et ne comprend pas les hommes qui détruisent ses richesses, la lecture musicale de ce chef d’œuvre aux multiples facettes et aux questionnements existentiels, a de quoi réveiller en chacun de nous la mémoire des territoires magiques de notre enfance.
Il n’y a que les Poètes pour faire pleurer les roses ou apprivoiser un renard.
En sortant dans la nuit, j’ai encore plus aimé « écouter les étoiles qui chantent comme 5 millions de grelots ».
Le lendemain, en rentrant à Toulouse, j’ai eu du mal à trouver une séance de La Dame au tableau de Simon Curtis, film recommandé par mon fils, en version originale, noyé dans la masse des réalisations grand public. Mais je n’ai pas du tout regretté, même si en sortant j’avais les larmes aux yeux.
D’abord pour cette histoire incroyable où la victoire du combat acharné d’une vieille dame par fidélité à son passé, d’un jeune avocat brillant et de quelques personnes de bonne volonté, ne tient qu’à un fil, comme la survie de certains de ceux qui ont vécu l’horreur de la période historique évoquée ici, comme sa survie à elle avant d’arriver en Amérique. Et pourtant, elle a réussi à se faire restituer les tableaux de Gustave Klimt volés à sa famille par les nazis, et en particulier la Femme en or, portrait de sa tante adorée, dite la « Joconde autrichienne », jalousement conservée par le Musée du Belvédère après la Libération.
Ensuite pour la qualité des comédiens, avec en tête l’impériale Helen Mirren, toujours juste et naturelle, qui domine toute la distribution et efface quelque peu Ryan Reynolds qui a tendance à se faire trop discret pour une fois. Dame Mirren est un une digne représentante de cette tradition du théâtre britannique, dont la Royal Shakespeare Company est le fleuron, qui a produit des actrices comme Maggie Smith ou Judith Dench, capables d’endosser tous les rôles comme si c’était leur seconde peau. Il le fallait dans le cas présent pour interpréter cette formidable vieille dame, Maria Altmann, qui a fait plier l’état autrichien.
On retrouve par ailleurs avec plaisir dans les seconds rôles des habitués des séries télévisées comme Charles Dance de Games of Thrones ou Elisabeth McGovern, révélée chez Redford et Forman, mais pilier de Downton Abbey.
Et dans la bande originale, au milieu de compositions jazzy de bonne facture, il y a cet air bouleversant du Don Giovanni de Mozart évoquant une civilisation en train de s’effondrer sous les coups de boutoirs du fascisme.
Enfin pour les scènes historiques qui reconstituent de belle manière un passé, celui de la Grande Vienne, détruit par la barbarie nazie dont on voit ici les premières conséquences sur la population juive : humiliation, spoliation, destruction des familles et des liens sociaux, avec l’approbation d’une partie des habitants, délateurs détestables, lors de scènes fortes, qui ravivent la réalité dramatique de la seconde guerre mondiale; réalité que certains continuent de réviser aujourd’hui.
Hasard du calendrier (mais y a t’il vraiment un hasard), le lendemain matin avait lieu au Monument de la Résistance de Toulouse, allée Serge Ravanel (grand Résistant français, ex allée Frédéric Mistral), une cérémonie à la mémoire des victimes de la Déportation et des Justes des Nations, où nous étions malheureusement trop peu nombreux, là aussi, à la date anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, tache ineffaçable sur l’histoire de l’Erar français .
Les orateurs ont évoqué justement le racisme et l’antisémitisme rampant insupportable de certains à notre époque où les raccourcis entre « juif », « argent » et « pouvoir » sont encore couramment entendus. Comme le rappelait si justement Henri Basso, président des Garibaldiens*****, à ce même endroit le 24 avril, pour le 70ème anniversaire de la Libération de l’Italie, « seuls le respect, la pratique du devoir de mémoire et de la connaissance sauveront l’humanité ». Comme dit l’héroïne de la Dame en or, « il n’y a pas de savoir sans mémoire, il n’y a pas de mémoire sans savoir ».
Même s’il manque quelque chose à ce film pour être un des chefs-d‘œuvre du 7ème Art, il fait partie de ce cinéma de plus en plus minoritaire qui à partir d’un agréable divertissement nous invite à réfléchir plutôt que de nous rendre silencieux et indifférents.
Comme l’écrivait Douglas James Morrison, dit Jim Morrison, étudiant en cinéma à l’UCLA, l’Université de Californie à Los Angeles, devenu rock star planétaire, dans son premier recueil poétique Seigneurs et nouvelles créatures****** : « il viendra un temps où nous assisterons au cinéma à un théâtre-météo afin de nous remettre en mémoire la sensation de la pluie ».
La pluie fait souvent du bien en temps de canicule et après revient le beau temps…
En matière de culture, il faut détourner plus que jamais le proverbe populaire : « la curiosité n’est pas un vilain défaut ». Bien au contraire !
Elrik Fabre-Maigné
26 VII 2015
Si vous voulez en savoir plus :
* Festival du Comminges jusqu’au 19 septembre. www.festival-du-comminges.com/programme/
** Pour de plus amples informations sur l’Eglise de Luchon, ses fresques et ses vestiges, n’hésitez pas à visiter le Musée du Pays de Luchon, horaires et jours d’ouverture disponibles au 05.61.79.29.87.
*** Pianiste, musicologue et comédienne, Pauline Choplin a travaillé au Cours Florent et joué avec Brigitte Fossey, Mickaël Lonsdale et Coline Serreau. Comédienne, chanteuse, auteur et compositrice, Isabelle Guiard a quant elle travaillé au Conservatoire avec Michel Bouquet et Marcel Bluwal. Comédienne et chanteuse, Solange Boulanger a travaillé au côté d’Eric Rohmer et Jeanne Labrune.
**** Publié à New-York pour la première fois en 1943, peu avant la mort de l’auteur, traduit en 270 langues et dialectes, ouvrage le plus lu au monde après La Bible, le Petit Prince, ouvrage le plus lu au monde après La Bible, marque encore depuis des générations les adultes et les enfants de nombreux pays, par la dimension intemporelle et universelle qui en émane. En ces temps troublés, nous avions à cœur de nous retrouver autour d’un texte hautement symbolique et propre à enrichir l’imaginaire de chacun, au-delà des différences de culture et de croyances. Et quel instrument, mieux que l’orgue aux couleurs et registres infinis, serait à même d’évoquer et d’illustrer les grands thèmes d’un texte où il est question de planète, d’hommes perdus dans le désert, de nature, d’amitié avec les animaux, d’enfance emerveillée, de révélations, de doute et de mort ?
***** L’Association Française d’Anciens Combattants Volontaires Garibaldiens résidant en France a été crée en 1947 à Paris, par les Anciens Combattants des Brigades Internationales et par des italiens venant de l’immigration. La section des Garibaldiens de Toulouse a vu le jour en 1967.
http://garibaldienstoulouse.free.fr/
****** Collection 10-18 Christian Bourgois Editeur