Par moments, j’ai envie de tragédie passionnée sur grand écran. Alors que (justement) je ne suis pas du tout comme cela dans la vraie vie, j’adore assister sur pellicule à de grandes fresques dramatiques, si possible dotée de destinées tragiques, entravées tant qu’à faire par les différences de conditions sociales des protagonistes. Les classiques de la littérature anglaise au cinéma (comme Jane Eyre ou Les hauts de Hurlevent) sont en la matière de véritables délices.
Vous pensez bien qu’un roman de Thomas Hardy (déjà moultes fois adapté, notamment par Roman Polanski qui avait livré sa version de l’écorchée vive Tess) mis en scène par Thomas Vinterberg le danois ne pouvait que donner l’eau à la bouche.
En cette époque victorienne, les femmes vivent corsetées (au sens propre comme figuré) et n’ont pour ambition que de trouver un bon parti, qu’elles satisferont d’une ribambelle de charmants mouflets. Bathsheba Everdene est loin de goûter à cette vie – là.
Elle qui a connu très tôt l’autonomie du fait du décès de ses parents, s’envisage simplement en liberté, sans aucune entrave maritale.
Elle ne va pas tarder à être rattrapée par les impératifs de son siècle et la cour insistante de 3 prétendants potentiels qui ne la laissent pas totalement indifférente (sinon ce serait trop simple) : Gabriel l’attentif confident et intendant du domaine, Mister Boldwood le fortuné mais sensible voisin, Frank l’impétueux et tourmenté soldat. L’heure du choix va sonner pour Bathsheba.
Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce Loin de la foule déchaînée un nouveau classique du tourment, une ode aux sentiments passionnés.
Déjà parce que le réalisateur n’est pas anglais. Thomas Vinterberg possède un parcours atypique qui ne cadre pas forcément avec le projet (n’oublions pas qu’il est à l’initiative du Dogma 95 – avec son poto Lars Von Triers – , qui marqua d’un souffle nouveau le cinéma de leur pays) ainsi qu’une filmographie qui même si parfois inégale, épingle plusieurs films notables à son actif (Festen ou La chasse notamment).
On sent d’ailleurs une réelle motivation de la part du metteur en scène de sortir de sa zone de confort (ne serait – ce que par le choix de tourner hors de son pays, dans une langue qui n’est pas la sienne), une sincère envie de porter son héroïne (femme forte mais rattrapée par le poids des conventions, emportée par le choix d’un amour dévastateur qui pourrait la mener à sa perte). Il y a même du presque technicolor, de beaux décors et une image fidèle de la paysannerie de cette fin du 19ième siècle dans le long – métrage.
Au niveau du choix des interprètes, Thomas Vinterberg n’a pas non plus commis de faute de goût : la douce et gracieuse Carey Mulligan, le physique Matthias Schoenaerts (que l’on voit partout ces temps – ci), Michael Sheen (ici, celui qui tire le mieux son épingle du jeu), Tom Sturridge …
Mais le jeu en valait – il la chandelle ? Était – ce vraiment une idée révolutionnaire que de choisir ce roman de Thomas Hardy, déjà maintes fois porté à l’écran (déjà la 6ième) et dont l’adaptation de 1967 avec Julie Christie reste emblématique ?
Je n’en suis pas certaine … Ce dont je suis sûre c’est qu’à trop vouloir rendre hommage à ce monument de la littérature, Thomas Vinterberg souffre du complexe de l’immigré, gommant (trop) ce qui fait d’habitude son originalité tant il veut se montrer légitime pour le job, sous employant même de bons comédiens.
On aurait aimé qu’il se montre plus aventureux (comme son héroïne !), qu’il ne livre pas un petit manuel du “ comment j’ai su adapter un roman naturaliste en 2 heures “, refroidissant l’ardeur de sentiments qu’il est censé porter haut.
Reste une louable intention ainsi que de bons comédiens dans un joli écrin, on a déjà connu plus mauvaise initiation à la littérature de la fin du 19ième siècle.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio