Je n’étais pas spécialement partie pour aller voir La loi du marché. L’effet Cannes, le prix d’interprétation décerné à Vincent Lindon, la couverture médiatique plus que généreuse qui en avait résulté, me faisait dire qu’il n’y avait guère d’utilité à ce que je vienne moi aussi vous bassiner avec un long – métrage dont bien d’autres s’étaient déjà fait l’écho.
Finalement, je me suis surprise à changer d’avis, une certaine curiosité faisant partie de l’équation. Je ne sais pas si ce que je vais vous raconter va être d’une originalité folle ou prendre le contre – pied du reste des avis. Ce qui est certain, c’est que je vais vous faire part d’un ressenti totalement subjectif. Mais vous commencez à en avoir l’habitude.
Thierry vient de passer des mois difficiles. Licencié après ce que l’on imagine de nombreuses années de bons et loyaux services et un plan économique qui a laissé des traces, il se retrouve à surnager entre d’inutiles formations, des entretiens d’embauche en mode rouleau compresseur de l’estime de soi, des rendez – vous avec la banquière auprès de laquelle il faut justifier la moindre dépense.
Cette infantilisation, cette absence de perspective, commencent à lui courir gentiment sur le haricot, d’autant qu’il y a toujours matière à s’inquiéter avec les traites de l’appartement (encore 5 ans ma brave dame) et les études de son fils (ça coûte cher une assistante de vie).
Arrivé à un tel degré de saturation, n’importe quel boulot ferait l’affaire, même s’il est à des bornes de sa formation initiale, même sous payé, même si pour cela il va devoir jouer le planton en veste de costard bon marché, devenir un automate à qui l’on demande d’oublier tout sens moral.
Dans la grande famille du “ cinéma social “, je demande Stéphane Brizé. Après être passé par la tragi – comédie (Je ne suis pas là pour être aimé) et le drame familial (Quelques heures de printemps), le réalisateur ajoute une corde à son arc en filmant le parcours d’un quinqua qui tente de ne pas sombrer, en utilisant des procédés qui ferait passer Ken Loach pour le dernier des nababs.
Film dépouillé jusqu’à l’os, caméra qui tremblote, zéro artifice, aucune musique additionnelle (la seule bande – son qui accompagnera les protagonistes, ce sont les grésillements des néons du PC de sécurité), La loi du marché va jusqu’à utiliser des comédiens non professionnels* pour approcher au plus près un contexte social loin d’être folichon.
C’est un parti pris contre lequel je n’ai rien à redire, on aurait du mal à imaginer le quotidien d’un chômeur sous une avalanche de strass et paillettes.
Pourtant, je ne peux m’empêcher de voir quelque chose d’un peu arty dans ce dépouillement, cette façon de cadrer un Lindon même quand il n’est pas au cœur de l’action, ces longs plans qui s’étirent parfois un peu trop.
La loi du marché paraît même un peu en deçà d’une sélection à Cannes qui nous avait habitués à des productions plus audacieuses / flamboyantes / innovantes. Il n’en reste pas moins un très bon (et émouvant) constat de ce que traverse un chômeur dans notre beau pays.
Soulevant des problématiques réelles (les vaines formations qui ont juste le mérite de faire sortir des statistiques des demandeurs d’emploi trop encombrants, la reconversion impossible passé un certain âge …), illustrant fort à propos ce que peut subir une personne au chômage (les ateliers “ comment réussir son entretien “ où rien n’est épargné à l’ego, le potentiel recruteur qui vous piétine l’amour – propre …), le long – métrage se construit à hauteur d’homme, ne cédant jamais à la facilité du misérabilisme, ne portant pas non plus son personnage principal aux pinacles.
Il est certain que la prestation de Vincent Lindon est pour beaucoup dans l’impact de La loi du marché, tant elle y est juste, sans fioritures ni maniérisme, avec tout ce qu’il faut de densité (comme dans toutes ses compositions d’ailleurs).
À ce propos, si vous avez du mal avec sa trogne, autant éviter le long – métrage car c’est lui qui occupe l’écran, 90 % du temps.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio