Il souffle sur Le Dos rouge une liberté qui fait franchement plaisir à voir. Son réalisateur, Antoine Barraud, a bien voulu répondre à mes questions.
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Vous avez déclaré « que recueillir la parole d’un cinéaste sur la peinture était précieux ». En quoi est-ce précieux ?
Je ne sais pas en quoi mais je m’en suis rendu compte en filmant Kenneth Anger, un réalisateur expérimental américain. Nous étions en Italie, par hasard devant une peinture, et il s’est mis à parler d’elle. Je me suis dit que la parole d’un cinéaste sur la peinture était très intéressante : il y a forcément une réflexion sur le cadre, l’image, et sur la narration d’une certaine façon. C’était riche.
Plus riche qu’avec une photographie ?
Pas forcément (silence). J’ai l’impression que la peinture peut plus inviter au lyrisme que la photo. Ce n’est pas du tout un jugement de valeurs, j’adore la photo. La peinture a d’autres forces, d’autres puissances qui moi me plaisent, comme de venir de très loin dans le temps, de jouer avec des forces antiques, mythologiques, religieuses ou historiques. Il y a beaucoup de choses dans la peinture qui me parlent davantage, plus qu’avec la photographie. Peu de photos ont encore traversé les siècles.
La peinture contemporaine vous procure-t-elle le même émoi ?
Oui (silence). Il y a quelque chose de sacré au sens le plus athée possible. Il y a une force antique dans la peinture de toute façon. Déjà parce qu’elle est difficile à dissocier de ses origines : la première rupestre et la deuxième religieuse. La première étant le premier geste artistique de l’Homme, et la deuxième étant son premier blasphème. On oublie que l’explosion de la nature morte dans l’histoire de la peinture apparaît au moment du Protestantisme, car les Protestants reviennent sur le fait que la représentation de Dieu est un blasphème. Moi qui suis profondément, voire radicalement et violemment athée, je remercie de tout mon cœur les peintres religieux d’avoir blasphémé (rires), car c’est merveilleux. Quand le Protestantisme revient, tous les peintres sont au chômage, et ils se mettent à peindre des fleurs, une pomme, un poisson… Il existe des photos qui véhiculent ce rapport au temps, à l’Histoire, mais de fait, un peu moins. La photo m’intéresse pour des aspects plus éphémères. Elle n’appelle pas les mêmes choses chez moi. D’ailleurs la seule photo dont il est question dans le film, est celle de Diane Arbus. Pour des raisons de droits inabordables que je ne peux pas m’offrir, on s’amuse à la reconstituer, mais finalement, elle n’est pas visible.
Certaines œuvres que vous désiriez pour le film n’ont-elles pas pu être filmées pour des raisons de droit, d’accessibilité ?
La première fut celle de Diane Arbus. Le système des droits d’auteurs sur les œuvres existantes est quelque chose de très scandaleux. Les musées sont propriétaires des œuvres, mais pas des droits des œuvres, ce qui est un niveau de perversité kafkaïenne vraiment insupportable. Les trois quarts des musées, ceux dont les œuvres sont encore sous le coup des droits d’auteurs, c’est-à-dire de peintres morts après 1944, paient des droits d’auteurs pour que leurs œuvres soient en ligne sur leur propre site. A partir du moment où je filmais la peinture de Francis Bacon, Léon Spilliaert entre autres, comme ils sont morts après 1944, j’étais sous le coup des droits d’auteurs. Constater qu’il faut être très riche pour parler d’art me scandalise.
Mais qu’en est-il des œuvres du musée qu’on entrevoit ?
On ne voit aucune œuvre durant leur déambulation dans les musées. Il y a une salle où les photos sont floues. Et la seule œuvre que l’on voyait, quand ils commentent le Balthus, est d’un peintre mort avant 1944, vous pensez bien que j’ai vérifié.
J’allais vous demander comment vous cadriez…
Parfois par défaut. Pour le Balthus, je n’avais aucun autre angle possible, à moins de payer. Quand Bertrand est la première fois dans un musée avec Jeanne Balibar, devant le Miró, c’est un cadre assez large, où Bertrand bouge très peu car il cache un Picabia derrière, mais on voit le début d’une autre salle, avec un autre tableau. Je n’ai pas pu avoir les droits sur celui-ci, et c’est donc un trucage numérique qui permet à un tableau d’un ami, que ça a bien fait rire, d’entrer dans un musée d’art moderne parisien.
On a le droit de faire croire à l’existence d’un tableau qui n’est pas exposé dans un musée ?
Je ne sais pas, mais je l’ai pris ! En l’occurrence les personnes du Centre Pompidou, -puisque cette scène-là a été tournée chez eux-, ont été les plus adorables pour tout nous faciliter, comme lever les droits de tournage, et allant jusqu’à coproduire le film. Mais ils ne sont pas du tout responsables de la loi sur les droits d’auteurs : ils possèdent le Miró et le Picabia, et ne peuvent rien faire pour moi.
Pour revenir à votre question sur l’accessibilité des œuvres, nous n’avons pas pu tourner au Musée d’Orsay une scène que je voulais devant Le Boxeur de Bonnard. Le musée a annulé 3 fois, dont une le matin même, avec mes acteurs et mon équipe prêts. Ce mépris sur les gens est complètement délirant.
Je commence à comprendre pourquoi le tournage a duré 3 ans…
Notamment pour ce genre de choses, et c’est dur à avaler. Je suis parti sur ce film-là avec la fleur au fusil, avec l’envie de parler d’Art. Entre ce mépris, les droits d’auteurs, j’ai eu des moments de franche colère.
Le premier jour de tournage, saviez-vous qu’il serait discontinu ?
Oui, car on avait une économie tellement microscopique que je savais que ça serait morcelé, mais je ne pensais pas que ce serait éclaté sur autant de temps. J’ai fait mon premier film pendant celui-là. Bonello en a fait deux. Jeanne avait les cheveux qui changeaient selon ses tournages, j’en ai même fait une réplique, car il fallait jouer avec.
Vous avez déclaré que sa réplique « Le Catalan international me laisse assez de marbre » est l’une de ses improvisations. Les autres acteurs ont-ils eu aussi l’opportunité d’improviser ?
Pas tous. Plus le tournage évoluait, moins c’était possible. J’ai commencé avec Nicolas Maury et Jeanne Balibar, de fait ce sont eux qui improvisent le plus. Je crois que Nicolas Maury est à 90% en improvisation. La seule chose vraiment écrite dans ses scènes est le baise-main.
J’ai voulu voir ce film pour vos acteurs.
Je les aime beaucoup car ce sont des instruments de musique, des phrasés, des timbres de voix, des intonations, des rythmes. Ce sont des Martiens, car personne ne parle comme Jeanne Balibar, Nicolas Maury, Joana Preiss, Pascal Greggory. J’adore cette famille d’acteurs français, avec Fanny Ardant, Arielle Dombasle, dont la reine était Delphine Seyrig. Ce phrasé n’existe pas dans la vraie vie, et pourtant ça marche. Comment ? Personne ne le sait et c’est pour ça que c’est beau. C’est un miracle à chaque fois. Ce vivier-là d’acteurs est excellent, mais en plus, c’est une vraie spécificité française. Les Américains sont démentiellement bons sur le jeu naturaliste mais ont très peu d’acteurs à musique. Les acteurs français de tradition réaliste naturaliste m’ennuient à mourir car ils ne sont ni musicaux, ni au niveau des Américains. Je ne supporte pas ces acteurs porte-manteaux qui n’ont aucun phrasé, aucun corps. Ce sont des acteurs aux bras ballants.
J’aime aussi beaucoup ceux qui sont sur différents domaines. Je trouvais intéressant de mettre en scène Joana avec, autour, et par la musique puisqu’elle est chanteuse. Valérie Dréville est une icône au théâtre. Je me suis beaucoup fait plaisir avec ce casting.
En ce qui concerne Barbet Schroeder, je ne me souviens même plus comment l’idée m’est venue. C’était une évidence. Comme, Géraldine Pailhas, je l’ai choisie parce qu’elle est magnifique.
On entend uniquement la voix de la mère, Charlotte Rampling. Avez-vous hésité à la filmer, ou la mettre en image ?
Non, cela a été une cicatrice. En fait, elle a accepté le film pour la voix-off mais aussi parce qu’il y avait une scène à peu près au milieu du film avec Bertrand et sa sœur, et Charlotte Rampling devait jouer une antiquaire. Ils devaient aller la voir à son stand. C’était une scène assez marrante qu’elle avait très envie de jouer, sauf qu’à ce moment-là, elle jouait ailleurs, et que Bertrand était en pleine préparation de Saint Laurent, et on n’a jamais trouvé la date où ils étaient tous les deux dispos le même jour. Et après Saint Laurent, il y a eu Cannes, Charlotte était partie tourner 45 years pour lequel elle a eu le prix à Berlin. À un moment, il a fallu dire que le film était fini. J’étais en montage depuis plus d’un an. C’était assez frustrant. Mais avec l’expérience, les frustrations donnent quelque chose. Deux jours avant le tournage de mon précédent film, Les Gouffres, Pascal Greggory a dû annuler pour des raisons de santé. Comme j’étais bloqué dans les Pyrénées, j’ai dû jouer le rôle. C’était une catastrophe pour moi. Finalement, cela a été une bonne chose car ce rôle a été beaucoup coupé et s’il avait été joué par Pascal, cela aurait été plus dur à faire. Et puis finalement il est dans Le dos rouge et il y est magnifique.
Et si Bertrand Bonello avait refusé votre projet ?
Il n’y aurait pas eu de film. Ça partait même d’une envie de faire un portrait sur lui. Je lui ai parlé du film avant de l’avoir écrit. Suite au coup de foudre total pour son film De la guerre, je lui ai écrit une lettre. On s’est rencontrés, il a vu mes films. J’avais fait plusieurs portraits de cinéastes, et je pensais en faire un sur lui. Dès notre rencontre, on a eu envie d’aller ailleurs. Déjà dans De la guerre, Mathieu Amalric s’appelle Bertrand, on voit qu’il a fait un film qui s’appelle Tiresia, comme un de ses films. Le film invite à jouer avec le réel. Quand j’ai dit à Bertrand « j’accepte l’invitation », ça l’a fait rire. Au départ, je pensais le filmer sur le tournage de L’Apollonide qu’il débutait, ou montrer des extraits de ses films. Et assez vite, tout a disparu, jusqu’à devenir même le principe : puisqu’il est cinéaste, et que tout est faux, alors même sa filmographie doit être fausse. C’est ainsi qu’on a fait un extrait de faux film, dans lequel il y a malgré tout du vrai car Bertrand a réellement écrit ce scénario d’un film qu’il n’a jamais réussi à monter. Il est très obsédé par ses films fantômes, -comme tout cinéaste- , qui n’existeront jamais. (ndlr : il a même écrit un livre, Films Fantômes, sur ce sujet.)
Vous aviez comme règle de ne faire intervenir aucun acteur avec qui Bertrand Bonello avait déjà tourné. Pourquoi ?
C’était la même idée justement, que tout soit le plus faux possible. Il y a une toute petite exception avec Alex Descas, aussi parce qu’on le voit dans la scène tournée vraiment par Bertrand. C’était une vraie dynamique de plaisir là aussi. Prendre Bertrand en tant qu’acteur était un pari, c’était bien de l’entourer d’acteurs solides. Comme il venait de faire L’Apollonide, il a suscité beaucoup de désir pendant le tournage, donc les gens étaient contents de l’avoir comme partenaire. A chaque fois je lui demandais ce qu’il pensait d’untel ou d’untel, et il me disait « ah oui, ce serait bien de… ». Comme c’était la première fois qu’il était acteur à ce point-là, je pense que lui aussi a pris beaucoup de plaisir à tourner avec Jeanne, Géraldine, Pascal.
Vous aviez déjà filmé des cinéastes pour des documentaires. Le fait de filmer un cinéaste dans une fiction a-t-il changé votre façon de travailler ? Ou étiez-vous tenté de lui demander des conseils ?
Non à vos deux questions. Pour ça, Bertrand était magnifique : il a dit oui au film et n’a jamais cherché à sortir de sa place d’acteur, il n’a jamais fait la moindre remarque, jamais refusé de faire quoi que ce soit, jamais donné un conseil, ni son avis. Jamais. De mon côté, je ne pouvais pas du tout partir dans l’admiration, sinon j’allais rester statufié devant lui. J’essayais de ne pas du tout penser au fait que c’était Bertrand Bonello que je dirigeais.
Le titre du film s’est-il imposé dès l’écriture du scénario ?
Oui, il s’est imposé au point que je ne sais plus du tout comment. En fait, avant de rencontrer Bertrand, j’avais écrit un texte sur son cinéma, comme cela m’arrive quand j’ai envie d’extérioriser une idée. Je pense que ce doit être plus ou moins la lettre que je lui ai envoyée. L’autre jour, je l’ai retrouvée et j’étais étonné de voir que les derniers mots étaient une phrase semblable à « comme si la marque du monstre […] s’exprimait par son poil noir d’animal […] et son dos rouge ». Je ne sais plus pourquoi cet effet un peu poétique à la fin, ni comment la connexion s’est faite avec le choix du titre.
Votre film aborde la monstruosité, le double, le film dans un film. Y avait-il un cahier des charges pour traiter ces trois thèmes ?
Surtout pas, ni à l’écriture, ni au tournage. Au montage, oui, car on prend conscience des choses qu’on a faites. Comme le tournage était très morcelé, on a eu davantage de scènes que celles qu’on voit dans le film. Il a fallu faire des choix, privilégier des aspects. Par exemple, je pensais au départ que ce serait beaucoup plus un film sur le travail. Une scène loupée est facile à couper, mais c’est difficile quand elle est réussie. J’en adorais une de dix minutes où Bertrand dirigeait Pascal Greggory pour ce film dont il parle depuis le début. Bertrand était génial, dans un lieu très beau. Mais par rapport à l’histoire du film, elle ne pouvait être que très tard. Elle a été longtemps juste avant ou juste après la longue scène de dîner et elle ne fonctionnait pas du tout, car on n’était plus dans l’aspect concret du travail. Le film était déjà parti ailleurs.
La part du film qui se décide au montage a donc été grande…
Énorme. Le montage a duré un an. La première version montée faisait 3h20, ce qui ne m’effrayait pas car une des mes influences principales était Céline et Julie de Rivette qui doit avoir la même durée. J’ai coupé car j’avais le sentiment de ne pas avoir le film avec cette durée-là. L’œil du spectateur est devenu tellement impatient, comme le temps devant une peinture. Une des raisons d’avoir voulu faire ce film est de donner le temps de regarder la peinture, mais aussi de prendre le temps de regarder les films.
Avez-vous vu National Gallery ?
Evidemment. J’adore. Je n’ai aucun souci avec les films de Wiseman, quatre ou cinq heures, et alors ? Céline et Julie qui s’est vraiment inscrit dans l’histoire du Cinéma, a des grands coups de mou à l’intérieur. Sous prétexte d’efficacité, on n’autorise plus le côté lâche.
Pour être honnête, au moment du dîner, votre film m’a perdue… mais il a su me rattraper. Vous êtes le second à réussir.
Tout le monde me parle d’une longueur avec cette scène. Je revendique aussi le droit de, pourquoi pas, rater des choses. J’ai envie de tenter, quitte à les louper.
Le discours de Jeanne peut durer 10 minutes de plus, même en plan fixe, je prends. Comme ce regard caméra de Bonello dans le taxi, il me scotche littéralement, je ne sais pas pourquoi, et je ne veux surtout pas le savoir.
Vous êtes la première à le remarquer au point de me le dire. La monteuse est tombée très amoureuse de Bertrand Bonello durant son travail. Elle était persuadée que j’allais demander qu’on enlève ce regard caméra, puisque ça ne se fait pas. Il est super et je n’ai pas peur de montrer les artifices du cinéma. Habituellement, à la sortie des salles, j’entends beaucoup de gens dire « on y croit ». Pour moi croire n’est vraiment pas le bon mot. Le Cinéma n’est pas de la piété. On n’a jamais cru que Liz Taylor était Cléopâtre, et ce n’est vraiment pas grave. On peut mettre tous les artifices du cinéma en avant, -comme Resnais dans Vous n’avez encore rien vu qui fait rejouer le même dialogue par des acteurs différents, ou Lars Von Trier qui fait jouer des scènes hyper réalistes dans un hangar-, et que ça reste aussi fort. J’aime beaucoup les peintres qui ont fait de l’inachevé comme Gustave Moreau, ou Picasso avec L’Arlequin. Je trouve l’inachevé très étonnant, comme avec un visage incroyablement travaillé jusqu’aux moindres détails, et après, ça s’effiloche. Ce n’en est pourtant pas moins beau et l’artifice est totalement à nu.
Est-ce que le film fini correspond au film que vous aviez en tête au moment de l’écriture du scénario ?
C’est impossible à dire parce que le scénario s’est fait vraiment pendant le tournage. C’est un film qui a tellement évolué tout le temps qu’il ne correspond à rien de ce que j’aurais pu penser. Du coup il y correspond assez bien.
Comment avez-vous vécu Berlin ?
C’était super car d’un coup, on se retrouve dans des salles magnifiques de 800 personnes, dans une sélection avec des beaux films, avec Vincent Dieutre, L’Histoire de Judas. Franchement ça fait du bien.
De qui est l’idée de l’affiche en triptyque ? Je trouve qu’elle n’est pas à la hauteur du film.
Je voulais évidemment une affiche dessinée, un peu plus sur l’art, sur Bertrand.
Était-ce dur de trouver un distributeur ?
Épicentre l’a pris tout de suite et c’était bien car c’était eux que je voulais. Après je ne suis pas naïf, je sais très bien que ce n’est pas un film sur lequel UGC va se jeter. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’un énorme distributeur le veuille, et puis ce ne serait même pas forcément intéressant pour le film. C’est mieux d’être à peu près à la même échelle, et Épicentre aime bien travailler les films d’auteur. Je suis très content.
Et les financements ?
C’était cauchemardesque, je n’ai rien eu. J’ai fait le film avec 100 000 euros.
Votre film est atypique dans le cinéma français, alors que chaque film devrait l’être. Que pensez-vous du cinéma français qui semble être, dans sa majorité, bien encarté ?
Je n’ai pas forcément envie de pointer des coupables, mais il y en a. Il y a des directives au niveau du Ministère de la Culture qui sont de l’ordre du génocide artistique : la convention collective, le durcissement de l’agrément du CNC, l’acharnement contre les intermittents, la recapitalisation des boîtes de production et de distribution. Si le Ministère de la Culture voulait totalement tuer la jeunesse et l’originalité du cinéma français ils feraient exactement ça, à la lettre. Donc je pense que c’est très très dramatique que tout ça vienne d’un état de fait, qui est incontestable, à savoir qu’il y a trop de films en salles tous les mercredis. L’offre est illisible pour le spectateur et cette situation est hyper aggravée par le numérique, par le turn-over dont tout le monde parle, par le fait qu’on doit payer pour la diffusion des bandes-annonces dans les salles, etc. Les seuls qui peuvent se les payer sont les seuls qui survivent. À quelques miracles près.
Quand on voit l’ancienne Ministre de la Culture qui, pour résoudre le problème avec les intermittents, reçoit le MEDEF et pas les intermittents, le message est clair. Pour la convention collective, elle reçoit UGC, Pathé, Gaumont, MK2 et pas le reste des producteurs français, là aussi le message est clair. Une extension de la convention collective a été révoquée il y a un mois par une décision de justice pour les raisons qu’on a tous données à l’époque, à savoir que ce n’était pas représentatif du monde de la production en France, et donc de fait, que ça ne justifiait pas une extension. Pourtant malgré la justice, le Ministère a décidé de la maintenir. C’est un scandale, une honte absolue. La preuve de la malhonnêteté totale de l’état sur cette affaire. On est en plein délire. Je ne vois pas comment appeler cela autrement qu’un génocide d’un certain cinéma.
Un suicide ? Puisqu’ils sont censés défendre la Culture…
Tout à fait, d’autant que les cinéastes sont là. 90 % du cinéma français m’ennuie mais je vais le voir quand même : on n’est pas à l’abri d’un coup de bol ! Évidemment les films de Bonello me font du bien : avec L’Apollonide, De la guerre, Le Pornographe, Tiresia, j’ai de l’air pour 10 ans ! Je trouve mon oxygène dans Réalité de Quentin Dupieux, j’aime beaucoup L’âge atomique d’Héléna Klotz ou La question humaine de son père, Nicolas Klotz, Le dernier des immobiles de Nicolas Sornaga, des gens comme FJ Ossang ou Clarisse Hahn. Évidemment Holy motors de Carax, où on respire, on n’a pas juste photocopié le même scénario. Je n’en peux plus du cinéma de contexte : « il n’y a pas besoin de faire une histoire puisqu’il y a un contexte ! ». Quel ennui ! Je déteste ce qu’est devenu le cinéma social, cette fascination de riches pour les pauvres, on en est limite à leur jeter des cacahuètes tellement on les trouve for-mi-da-bles. Je n’en peux plus des riches qui s’extasient sur les pauvres, c’est obscène, c’est porno et encore du mauvais porno.
C’est ce que montrait La Grande Bellezza, qui est aussi l’autre film qui a su me rattraper.
Les Voyages de Sullivan de Preston Sturges montrait déjà ça, et aujourd’hui, on se vautre là-dedans. C’est insupportable de médiocrité et de mépris. Comment ces films peuvent duper encore les critiques et les festivals ? C’est un absolu mystère.
Je n’aime pas spécialement L’Inconnu du lac, mais Guiraudie travaille la langue, le verbe, l’image, il a quand même fait des westerns incroyables dans le Languedoc. Il essaye un truc. Je préférerai toujours un film qui essaye quelque chose, à un truc, même bien fait, mais qui au final est de la télé. Arnaud Desplechin continue de tenter des choses, il reste assez libre. Je trouve le dernier Assayas extraordinaire même s’il est très classique, je peux aussi aimer l’académisme.
Merci au Cinéma ABC de Toulouse d’avoir permis cette rencontre.
Article Initialement publié sur Benzine.net