A la veille d’élections où le nombre de gens indécis et à la mémoire courte ne cesse d’augmenter, la municipalité de Portet sur Garonne, sur le territoire de laquelle se trouvait le camp du Récébédou de sinistre mémoire, a eu la bonne idée d’organiser une projection du film « Laurette 1942 ? (une volontaire au camp du Récébédou) ». Un film de mémoire, un film d’espoir aussi, un film sur un moment douloureux de notre histoire: les Camps d’Internement du Sud de la France, un long métrage participatif de Francis Fourcou*. Celui-ci a déjà une longue carrière de réalisateur-producteur-distributeur derrière lui, mais il a toujours conservé son engagement, que ce soit aux côtés de Youssef Chahine et de Peter Watkins ou dans ses propres réalisations de La Vallée des montreurs d’ours à ce Laurette 1942, en passant par J’aime la vie, Je fais du vélo, Je vais au cinéma.
C’est ainsi qu’il explique son appel au financement en souscription** : « Ce film de mémoire, ce film nécessaire, fiction et documentaire, a besoin de vous. Engagez-vous, soutenez financièrement la production, un projet dont vous partagerez l’itinéraire, le désir, le cœur ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit au delà d’un indispensable travail de mémoire, d’une histoire de cœur, d’un cœur qui bat si fort, et toujours, celui de Laurette Alexis-Maunet, d’après son œuvre les Miradors de Vichy (Editions de Paris).
Depuis la fin de la guerre civile espagnole en février 1939, autour des grandes villes, près des frontières avec l’Espagne, les camps d’internement, alors appelés camps de concentration, se sont multipliés. Les noms de Rivesaltes, de Gurs, de Drancy, les Milles sont dans les mémoires. Mais les autres? Récébédou, Noé, Le Vernet, Brens, Gurs, tous ces lieux pourtant à nos portes… Dés 1938, puis au début de la guerre en 1939, les lois sur les « indésirables » rompent le pacte Républicain et permettent d’enfermer républicains espagnols, juifs chassés d’Allemagne, de Hongrie, ou d’Autriche, et, fin 1939 les indésirables français… Au Récébédou, près de Toulouse, à Brens, près de Gaillac, à Noé, plus au sud de l’agglomération toulousaine, ici comme ailleurs les rafles se sont multipliées au moment où débute cette terrible année 1942, l’année de Wansee, du Service du Travail Obligatoire, des rafles de l’été, du Vel d’Hiv, du début de la bataille de Stalingrad… et tant, et tant de barbaries, comme les exterminations de Sobibor.
Eté 1942, Laurette Monet, 19 ans, étudiante en théologie protestante, s’engage dans la Cimade et découvre la réalité des camps d’internement français de la zone Sud, dite « libre », au moment des grandes rafles et déportations organisées par Vichy. Face à l’horreur de ces antichambres de la « solution finale », la conscience de cette femme humaniste bascule dans la résistance.
Aout 1942, Laurette et ses équipières vivent cette nuit de rafle et d’épouvante où, cheminant côte à côte, elles ont accompagné les internés encadrés par les gardes mobiles vers la Gare toute proche : ce seront trois convois à destination d’Auschwitz…
Des scènes de fiction, alternant jeux d’acteur, dessins et images d’archives, font revivre la figure de Laurette, des scènes documentaires nous permettent d’écouter deux femmes, deux témoins uniques qui disent ce qu’elles vécurent au Récébédou ou à Noé, à Brens ou Gurs : Edith, 84 ans, jeune juive de Hongrie, enfant cachée, encore bouleversée de ce qu’elle a vécu, et Angèle, 92 ans résistante de la première heure, toujours révoltée de la tendresse. Et aussi d’autres femmes, Florence Malraux (la fille du Ministre de la culture accueillant Jean Moulin au Panthéon), petite fille visitant son oncle Juif Badois, Thérèse, Tzigane raflée, Marion Wiesel, aujourd’hui épouse d’Elie Wiesel, jeune juive transférée de Gurs au Récébédou, Maria, fille d’un Républicain espagnol exilé… Laurette n’est plus là, mais sa fille fait vivre sa voix.
On ne peut qu’être ému par ces femmes restées dans l’ombre de l’histoire, ces combattantes oubliées, ces humanitaires qui sauvèrent de nombreuses vies, basculèrent souvent dans la Résistance civile et militaire. Et qui furent si peu nombreuses parmi les Compagnons de la Libération : 6 seulement sur 1006 !
Merci mille fois, Mesdames. Nous vous aimons.
Les comédiennes et les comédiens sont tous à la hauteur de l’enjeu, exceptionnels : Danièle Catala, Laurette âgée, et Diane Launay, Laurette à 19 ans, Francis Azéma, le pasteur Casalis, Barbara Tobola, Blanche de Montmollin…, sans oublier Philippe Caubère, l’inoubliable Molière de Ariane Mnouchkine, le Pagnol de la Gloire de mon père et du Château de ma Mère, le narrateur. Maurice Sarrasin, nonagénaire alerte, légende vivante du théâtre populaire, du Grenier de Toulouse au Théâtre Daniel Sorano, « est » le cardinal Jules-Géraud Saliège, dont il nous restitue l’homélie sur « La personne humaine » lue dans toutes les paroisses du diocèse, alors que la majorité du clergé comme des citoyens fermaient les yeux:
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères, comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
Pourquoi le droit d’asile dans nos Eglises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur, ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France
France, patrie bien-aimée, France qui portes dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine, France chrétienne, France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
On ne peut passer sous silence dans l’engagement de Laurette la relation de la Cimade avec le protestantisme, de ses origines allemandes et luthériennes, de sa résistance à l’oppression, religieuse en particulier, aux dragonnades des guerres de religion, aux persécutions et aux exécutions sommaires. Il faut aussi aimer, dans le protestantisme comme dans le catholicisme, la protestation ! Ainsi que cette vision du bien et du mal, non pas manichéenne mais ferme; celles de gens honnêtes, très droits, très distants vis-à-vis de l’argent.
Cette éthique paraît plus essentielle encore aujourd’hui pour tous les citoyens, croyants ou non, y compris pour la classe politique, qui a des devoirs moraux auxquels elle devrait être rappelée.
Ceux qui excitent aujourd’hui la haine d’autrui, occultant volontairement les guerres, les massacres qui tout au long du XIXe siècle ont été conduits en son nom, préférant dénoncer des boucs-émissaires, ne sont pas des citoyens ni des politiques républicains. Le racisme demeure ce qu’il a toujours été, l’expression d’une pensée totalitaire. Ne nous leurrons pas : arrivée au pouvoir, une telle idéologie appellerait ouvertement à la dénonciation, à la traque et à l’enfermement de tous les « antifrançais », tous ceux qui prétendent défendre d’autres valeurs définies comme démobilisatrices, subversives, antinationales. Ces valeurs pour qui ont vécu et se sont battus Laurette et des centaines d’anonymes, qu’il convient d’honorer et de surtout pas oublier.
« Résister se conjugue au présent », c’est ainsi que Lucie et Raymond Aubrac, grands Résistants, ont justifié leur attachement aux valeurs qui ont fait agir sous diverses formes ceux qui refusèrent l’oppression et les crimes commis sous l’Occupation de la France par les bourreaux nazis et leurs complices collaborateurs. Parmi eux, des Poètes dont la parole est toujours brûlante***.
Et encore Lucie Aubrac « résister, c’est créer ; créer c’est résister » ! Comme l’a rappelé encore récemment Gilles Perrault sur France Inter, « la Résistance, ce n’est pas hier, c’est ce matin ».
C’est le plus bel hommage à rendre à Laurette, à tous ces anonymes, à celles et à ceux qui ont tout sacrifié pour que nous vivions libres.
28-III-2015 E.Fabre-Maigné
* www.laurette1942-lefilm.fr Ecransud Distribution www.ecransud.fr 06 62 17 51 45
** Trois ans de recherche, écriture, réécriture, repérages, rencontres, lectures, quête de partenaires financiers, de chaines TV, … Des collectivités comme la Région Midi Pyrénées, des chaines locales, TV Sud, Télé Toulouse, des partenaires étrangers comme TV3 la télévision de Catalogne, les cinémas Utopia, des institutions humanitaires comme la Cimade, la Ligue de l’Enseignement, l’association pour la Mémoire du Récébédou, le Ministère des anciens combattants soutiennent ce projet.
Nous avons toujours besoin de votre soutien…
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*** Les Baladins d’Icarie donnent à entendre ces voix, depuis 2012, avec le soutien de l’Association des Anciens Combattants de la Résistance de l’Aveyron, de l’Académie de Montauban et de la Compagnie des Ecrivains du Tarn-et-Garonne, dans le concert poétique « Liberté, j’écris ton nom » www.lesbaladinsdicarie.eu 06 87 02 06 92