Une famille bourgeoise porte le deuil. Dans cette maison de campagne, l’un des domestiques (qui vivent tous sous le même toit que leurs patrons) vient subitement de décéder. Alors que la maison se prépare à accueillir la veillée funèbre, la veuve voit revenir son fils après plusieurs années d’absence, durant lesquelles il est devenu Elena.
L’idée originale du réalisateur Mauricio Lopez Fernandez est de faire revenir cette transexuelle dans un milieu féminin. Le patron n’est pas à proprement parlé le chef de famille, sa femme prend toutes les décisions, même ce qu’il doit manger… Dans cet univers de femmes, les idées sexistes et machistes perdurent : s’il va de soi que le père apprend à son tout jeune fils à tirer à la carabine, et pas à ses filles, il va de soi aussi que les domestiques féminines s’occupent des enfants. Quand Elena revient dans cette maison, la patronne ordonnera néanmoins aux employées de lui interdire l’accès aux chambres des enfants. Aucun des occupants ne parlera directement avec elle de son changement de genre, les regards en disant bien plus, voire les mensonges comme ce foulard couleur crème offert pour « mettre un peu de couleur dans ce deuil », qui n’a pour unique fonction que de cacher aux visiteurs la pomme d’Adam de cette femme. Rien ne sera dit à Elena, qui elle-même ne parlera pas davantage.
La deuxième bonne idée est l’absence de militantisme. La plupart des personnes LGBT ont eu des parcours tellement durs qu’elles ne sont que dans le militantisme agressif (et je ne leur jette pas la pierre, loin de là). Pour Elena, rien de cela. Les mots qu’elle prononce le plus sont « permiso », dès qu’elle rentre dans une pièce pour demander quelque chose à la patronne, mais ce « pardonnez-moi » n’est pas « de vous interrompre » mais bien « d’exister ». Sa présence gêne, elle le sait, comme celle des poux sur la tête des enfants : ils existent, et on fait tout pour s’en débarrasser. Tantôt vue comme une rivale ou un monstre, elle sera un objet de curiosité, voire de désir pour chaque personne de la maison. Elle se défendra, ou pas, selon les situations, mais ne sera jamais dans l’attaque : Elena est là pour l’enterrement de son père (personne ne lui demandera d’ailleurs ce qu’elle ressent face à ce deuil), aider sa mère.
Face à un deuil, il est admis qu’on passe par 5 étapes : le déni (car la perte n’est pas envisageable), la colère, puis une phase de négociations (« je donnerai tout pour une journée supplémentaire avec la personne morte »). Puis vient obligation de se « repenser » pour continuer, un retour sur soi, qui peut être une phase dépressive. Et pour finir, l’acceptation. Ces 5 étapes s’appliquent aussi face à un traumatisme, un choc. Si la maison est endeuillée de la mort du père d’Elena, les personnages de cette fiction suivent eux aussi ces 5 étapes, mais rapport au choc de côtoyer une transexuelle, d’avoir perdu un fils ou de se sentir rejetée par tous.
Dernier point à souligner : le rôle d’Elena est jouer par une actrice transexuelle, Daniela Vega. A titre personnel, je me contrefous de l’orientation sexuelle et du genre des acteurs ou actrices que je vois à l’écran, tant que je crois à l’interprétation qu’il propose. Mais vu que certains avaient fait un tollé quand un acteur homosexuel avait été envisagé pour incarner le nouveau James Bond, qu’il était inconcevable que Will Smith joue James West (y a peut-être un souci avec les James en fait…). Bref, tout ça pour dire qu’il est rare qu’une transexuelle soit jouée par une transexuelle (c’est vrai aussi pour un transexuel), que les réalisateurs préfèrent choisir une actrice femme depuis sa naissance. Daniela Vega propose une interprétation magnifique de cette fille cherchant à trouver sa place dans cette maison et à retrouver sa mère. Ce film, qui utilise les codes du thriller, réussit à faire côtoyer violence et tendresse.
Le film est projeté ce jeudi à l’ABC à 21h50, dans le cadre de cinélatino, en attendant sa sortie française.