Premier ballet composé par Piotr-Illyitch Tchaïkovski, cet opéra sans paroles à la brillante orchestration, c’est pour le mardi 17 mars à 20h15, EN DIRECT du Covent Garden de Londres, autrement dit en direct du Royal Opera House, dans une production d’Anthony Dowell, avec orchestre et corps de ballet de la maison. La chorégraphie est celle de la création par cette légende que fut Marius Petipa assisté de Lev Ivanov. Aucune mauvaise surprise côté décors et costumes. On est là pour l’enchantement, sans prise de tête. Sachez que les treize représentations données à Londres courant mars-début avril sont, comme on dit, sold out.
Quelques mots sur la représentation en direct de ce Vaisseau fantôme le 24 février. (Voir l’article d’annonce). Ce fut une double réussite. La production elle-même d’abord, et les conditions de la retransmission. On peut noter, mis à part le confort de la salle et de l’assise, la qualité du son et le niveau sonore adopté qui ne met jamais en péril nos oreilles ! Au point de croire que, quelques toux ont lieu dans la salle de cinéma, alors que c’est dans la salle de spectacle. On connaît d’autres salles où il faut des bouchons suivant le fauteuil qu’on occupe ! Un comble. Le fait de donner l’opéra sans entracte fut un plus qui dépendait bien sûr de la production et du désir en premier du metteur en scène qui réussit un ensemble dit minimaliste mais d’une redoutable efficacité d’où toute laideur est bannie.
On ne peut que louer les astuces qui ont permis la succession de tableaux autorisant le flot continu de musique sous la direction d’un capitaine de vaisseau hors-normes avec le chef Andris Nelsons. Quel chef ! C’est un opéra qui lui va comme un gant. Mais, quand on a de plus, un Hollandais volant de la trempe d’un Bryn Terfel, une Senta aussi émouvante et chantante que la canadienne Adrienne Pieczonka, (non, Kampe n’est pas la seule Senta du moment), un Erik investi et au timbre très plaisant, celui de Michael König, et enfin les chœurs du Royal Opera House, quels chœurs…Regret de ne pas être à Covent Garden, c’est sûr, mais on l’aura vu, et dans d’excellentes conditions.
Mais revenons au Lac des Cygnes. Un peu d’histoire sur la naissance de ce chef-d’œuvre de la danse classique, définitivement au répertoire du ballet classique aussi longtemps que cette forme d’art perdurera. Il fait partie de la fameuse trilogie : Le Lac des Cygnes, La Belle au bois dormant et Casse-Noisette composée par celui qui proclamait à qui voulait l’entendre : « Je suis russe, russe, russe jusqu’à la moelle des os. »
Nous sommes en 1875, début 1876, une période très agitée pour notre compositeur. Il a trente-cinq ans. C’est donc la création, en quelques mois, du ballet monumental Le Lac des Cygnes, du Concerto pour piano et orchestre n°1, de la Symphonie n°2, des Variations sur un thème rococo pour violoncelle et orchestre, d’une fantaisie symphonique intitulée Francesca da Rimini, du Quatuor à cordes n°3, de quelques mélodies. Sans oublier que s’annonce le voyage à Bayreuth, avec l’inauguration du “temple wagnérien“ qu’il est impossible de rater. Et pour bientôt, la rencontre avec le comte Léon Tolstoï. Si l’on rajoute la réception d’une lettre signée d’une certaine Madame von Meck, sa future mécène, qu’il ne rencontrera…jamais, physiquement. Pour compliquer la période, c’est encore le moment où son frère vit une passion qu’il réprouve, évidemment, n’en étant pas capable lui-même. Annonçant que de toutes les façons, lui va se marier et que c’est la seule solution. Une période donc, riche en émotions diverses mais, finalement, l’œuvre de Piotr-Illyitch Tchaïkovski aurait-elle existé sans son goût prononcé pour le malheur, ses amours et répugnances, son attrait certain pour l’argent facile, mais aussi sa générosité, et une homosexualité plus que mal vécue ?
Et pourtant, l’homme, qui semble un prédestiné de la douleur et des souffrances multiples, compose.
Tchaïkovski passe l’été 1874 chez sa sœur Alexandra Vadivova, dans sa propriété de Kamenka, en Ukraine. Pour ses neveux, auxquels il est très attaché, il écrit un petit ballet familial qu’il intitule Le Lac des Cygnes. Tout le monde y prit part, y compris son frère Modeste, qui incarna le Prince, et la famille gardera longtemps le souvenir heureux de ce divertissement. Le sujet continua d’avoir un attrait particulier pour le compositeur, et il semble même que l’idée d’un ballet aux plus grandes dimensions ait été débattue chez Vladimir Beguitchev, directeur d’un des Théâtres Impériaux de Moscou. Mais, si Tchaïkovski aime les contes de fées, il n’est pas le seul. La plupart des russes cultivés les connaissent bien aussi. Ainsi, l’affaire sera conclue. Fin mai 1875, le compositeur reçoit bien commande d’un ballet, un grand ballet à composer à partir du Lac des Cygnes.
Il accepte, explique-t-il à Rimski-Korsakov, « en partie parce qu’il me faut cet argent, mais aussi, parce que je souhaite depuis longtemps, m’essayer à ce genre de musique. » Fin août, il annonce à son collègue et élève encore Taneïev : « J’ai esquissé deux actes du Lac. » Certains numéros de l’acte I seront même en répétition dès le mois d’avril suivant en 1876 et la partition orchestrale achevée le 10 avril. C’est une affaire menée tambour battant.
Quant à la provenance du sujet lui-même, peut-être un conte populaire allemand du XVIII è intitulé L’Etang des Cygnes ? Le mythe du cygne, la métamorphose du cygne en femme sont de toutes les manières des archétypes courants, figurant aussi dans des contes russes. La partition terminée, le musicien ajoutera tout de même des numéros pour faire plaisir à telle ou telle danseuse. La pratique est courante, et tout le monde y trouve son compte.
Il faut attendre 1895, le musicien est mort le 25 octobre 1893 à Saint-Pétersbourg, pour que le ballet rencontre son plein succès. Ce sera au Théâtre Mariinski avec le tandem Marius Petipa / Lev Ivanov. C’est Petipa qui a eu l’idée d’opposer le cygne noir (Odile) au cygne blanc (Odette).
A considérer l’équilibre entre l’action et la musique, le ballet présente une évolution dramatique fréquemment diluée par des scènes purement chorégraphiques, souvent hautes en couleurs, mais sans rapport direct avec cette même action. Toutefois, celle-ci est elle-même illustrée avec une remarquable logique musicale, et surtout une implication personnelle constante. Tchaïkovski participe aux espoirs et aux douleurs de ses personnages. Un trait d’écriture qui est une sorte de signature de sa part. Si l’on y joint la générosité sonore de la partition, on comprend mieux que l’œuvre soit un ballet dont la musique puisse s’écouter sans le spectacle, existant déjà par elle-même. Et il est donc évident qu’avec une chorégraphie inspirée et des danseurs exceptionnels, le spectacle soit total. Et ce ballet, un des plus appréciés et courus du répertoire classique.
Remarque : quand le ballet est donné uniquement sur le plan orchestral, il n’y a pas de Suite officialisée, chacun pouvant bâtir la sienne propre.
Ce premier ballet de son compositeur est le seul à délivrer un message, celui de la rédemption par l’amour. La fin peut être les deux amants qui périssent ensemble. C’est le choix qui est fait ici. Vous échappez au Prince qui arrache sa couronne-talisman vouant ainsi Odette à la mort. Il périt alors avec elle. Enfin, autre fin possible, le Prince voyant Odette périr, se poignarde.
D’autres mises en scène ont décidé de traduire une sorte de happy end pour l’ouvrage, parti-pris hors de propos, bien sûr.
Le ballet est donné en deux actes sur une durée de 3h00.
Michel Grialou
Opéra en direct du Royal Opéra House de Londres
Cinéma Méga CGR de Blagnac – mardi 17 mars 2015 à 20h15
Réservation
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