Noëmi Waysfeld et Blik au Metronum
Noëmi Waysfeld chant
Florent Labodinière guitare et oud
Antoine Rozenbaum contrebasse
Thierry Bretonnet : accordéon
Pour son tout premier passage à Toulouse Noëmi Waysfeld et son ensemble du regard (Blik) nous font découvrir leur tout dernier répertoire qui vient juste de faire l’objet d’un nouveau Cd, Alfama, quartier emblématique du fado à Lisbonne.
Noëmi Waysfeld chanteuse yiddish déjà reconnue, et excellente comédienne de surcroit, a voulu faire se croiser les chants de fado d’Amalia Rodrigues et les complaintes yiddish.
Aussi en langue yiddish elle se réapproprie à la fois la saudade portugaise et la douleur au monde du monde juif, « sa nostalgia », qui deviennent alors frères dans leurs complaintes de vie.
Le fado st un style musical né dans le port de Lisbonne, ses bouges et ses marins, ses bars et entre deux portes de bordels. Depuis, cette complainte vieille de plus de deux cents ans est la musique de l’âme et de l’exil. Ce sentiment poignant de nostalgie, appelé « saudade », sorte de « bonheur-malheur », doux et amer, irrigue aussi bien les rues, les têtes, les gorges et les mots des Portugais. C’est fondamentalement une musique qui interroge le destin des hommes et dont personne ne sait précisément d’où elle vient. Une musique qui à la fois subit le fatum, et aussi se dresse contre lui en le dénonçant par le chant et la musique. Chant de nuit et chant du coq pour les hommes, leurs nuits, leurs aubes.
Amalia Rodrigues chantait ceci : Le Fado est né un jour Quand le vent bougeait à peine et le ciel prolongeait la mer dans le rempart d’un voilier dans le cœur d’un marin qui était triste et chantait…
Le fado est donc cette mémoire à terre des marins portugais, cette mémoire qui s’en va boire dans les bouges et les ruelles de Lisbonne, et en sort en titubant.
Les complaintes dans cette merveilleuse langue yiddish qui n’est pas que cette langue des cendres, elle est celle de tout un peuple avec ses joies, ses douleurs, font plus qu’écho à cette nostalgie ardente.
« Le Yiddish est la langue dans laquelle les juifs rêvent » (Max Weinreich).
Langue mémoire, langue de vie, le yiddish n’a pas donné de loi, mais a donné des chansons qui sont un pays englouti dans la folie et la cruauté, toujours latentes, mais un pays d’or.
Ce sont ces univers que Noëmi Waysfeld s’appuyant sur quelques fados d’Amalia Rodrigues : Maria Lesboa, Amalia, Alfama, Mère des solitudes…, entremêlés avec des chants superbes du monde yiddish : Vu bis tu geven Où donc étais-tu dis-moi Quand la jeunesse était là Que dans mon cœur l’amour brûlait Aujourd’hui te voici Quand nos têtes ont blanchi Et que nos mains déjà se sont mises à tremble. La célèbre chanson Margaritkelech et d’autres sont données aussi, dont un bis déchirant sur l’enfance perdue dans une ville qui n’existe plus où l’on fêtait le shabbat.
Noëmi Waysfeld s’explique remarquablement sur ce double cheminement d’exil :
« Complétement immergée dans la voix d’Amalia Rodrigues s’est alors imposé à moi de chanter le fado dans ma langue émotionnelle, le yiddish. L’équivalence polonaise de la saudade existe et se nomme le « zal », un état d’âme plein de mélancolie, qui mêle le plaisir et la souffrance… Dans la fulgurance, un autre exil s’est dessiné, celui qui par la mer touche ceux qui partent et ceux qui restent. Celles qui restent »
Ce passage d’un univers à l’autre est alors évident, naturel presque. Noëmi Waysfeld chante d’ailleurs les mélodies yiddish sans pathétique appuyé, presque rapidement, pour éviter tout pathos inutile et leur donner une nouvelle jeunesse tourbillonnante.
Parfois elle chante aussi en portugais avec la même intensité, la même force émotionnelle.
Elle sait se faire enjouée et le plus souvent émouvante et bouleversante. Ses talents de comédienne lui permettent d’irradier sur scène et sa belle voix de mezzo sait nous faire vivre l’exil, la solitude, les sourires aussi, l’espoir presque toujours.
Ayant aussi reçu une sorte de révélation en écoutant Cristina Branco, que j’avais eu la joie de faire découvrir aux Toulousains, Noëmi Waysfeld immergée dans ces musiques les habite de l’intérieur.
Elle prend soin de présenter les textes avant chaque chanson, et sa belle énergie, sa voix d’oiseau parfois rauque dans le vent noue ensemble les exils et les transcende. Sa diction dramatique, donne l’épaisseur aux mots, aux maux. Diseuse et chanteuse elle envoûte avec son chant théâtral, profond, profond.
Elle sait emplir ses chansons de silence et de cris.
Elle ne chante d’ailleurs pas le fado simplement en yiddish tel que l’on le chante toujours, Non elle le transpose, lui donne une autre épaisseur de par le passage à une autre langue, un autre arrangement qui fait qu’il ne devient pas tout à fait un autre et pourtant tout à fait lui.
Ses musiciens du groupe Blik, sont au diapason de l’émotion.
Il est temps d’entendre Noëmi Waysfeld et Blik qui apportent un immense souffle de liberté à des musiques trop souvent encloses dans le pathos. Les déchirures sont toujours là, mais la beauté éclaire tout.
Et puis il est toujours le temps de chanter l’infini de l’attente et de la pluie des sentiments.
Noëmi Waysfeld et Blik le font superbement, et les fados sortent du ghetto des mémoires pour revivre grâce à cette langue toujours vibrante, le yiddish. Et d’ailleurs il reste en mémoire après le concert plus de poussière de yiddish que de fado.
Mais Noëmi Waysfeld les a tant emmêlés que cela est inévitable et troublant.
Gil Pressnitzer
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