Conteur contemporain, Frédéric Naud présente sa nouvelle création, « le Road movie du taureau bleu », au Théâtre du Grand-Rond.
Cédric et Sonia ont vingt six ans à tous les deux et chacun une tante résidant dans le même foyer pour déficients mentaux, le foyer Arc-en-ciel. Ils sont les seuls dans leur famille à se sentir proche de ce membre un peu «à part», parce que peut-être ont-ils en commun avec lui cette innocence encore intacte qui permet d’avoir un œil émerveillé sur le monde. Sur l’amour, sur le rêve, sur l’impossible. C’est ce conte de l’impossible possible que nous raconte Frédéric Naud au Théâtre du Grand Rond, dans sa dernière création « le Road movie du taureau bleu ». Le thème sur les normes mentales fait partie d’une trilogie amorcée l’année dernière avec « Je, Jackie ».
Frédéric Naud est un conteur contemporain dont les histoires racontent l’humanité dans tous ses états, avec humour et poésie. Ici, seul en scène, il est la voix du narrateur et de tous les personnages. Pendant une heure, il nous embarque littéralement à bord d’un minibus direction l’océan, en compagnie de Cédric, Sonia, de leurs deux tantes, Domino et Maguy, et d’une poignée de résidents aux pathologies aussi fantasques que douloureuses. Celle-là ne parvient pas à sortir les mots de sa bouche, mais a le don de retrouver tous les objets égarés et de prévoir la mort des gens sept jours à l’avance. L’autre, au tempérament impétueux, jure comme un charretier et ne cesse de vouloir s’échapper du foyer. Un troisième est devenu amnésique pour mieux oublier que ses parents l’ont abandonné à l’âge de quatre ans dans une forêt…
Et le taureau bleu dans tout ça ? Ce fameux taureau bleu qu’invoque Cédric pour exaucer tous ses vœux de réussite et d’amour? Il est la figure centrale d’une légende celte qui nous fait basculer au cœur du spectacle dans une histoire fantasmagorique, entre « Peau d’âne » et « Princesse Mononoké », dans un effet miroir avec le conte principal. Frédéric Naud a le don de nous arracher à notre fauteuil de théâtre pour nous amener avec lui très loin, dans une tension délicieuse qui le dispute au rire franc. Il est Cédric l’adolescent pubère et amoureux. Il est Sonia mâchant sans arrêt un chewing-um «goût fraise-ananas». Il est Maguy à la démarche pataude. Il est le grand Gégé tout mou, poursuivi par un taureau. Il est Domino pleurant son canari. Tous ceux là et bien d’autres encore.
Avec juste sa voix, quelques postures et mimiques caractéristiques avec lesquelles il jongle, faisant culminer parfois les dialogues et les actions dans une accélération de la narration et de la parole dont la prouesse donne le vertige. Toujours léger, jamais moqueur, avec cette jubilation des mots et cette empathie avec le spectateur propres aux meilleurs conteurs, Frédéric Naud ouvre des espaces à l’imaginaire, trace des chemins vers des univers méconnus, à la rencontre de la différence et de la diversité du genre humain. Nourri, on le devine, de son propre vécu et de personnages existants, le texte suit une dramaturgie rigoureuse et foisonnante dont la résonance sociale s’équilibre habillement entre réalisme et onirisme.
En première partie de son spectacle, vendredi 27 et samedi 28 février, Frédéric Naud a convié des conteurs en herbe du foyer Le Clos du Nid, à Marvejols en Lozère. Courrez-y, vous pourriez bien y rencontrer Gino, Gégé, Maguy, Lilian… ou du moins leurs frères et sœurs.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Jusqu’au 28 février, 21h00, au Théâtre du Grand-Rond,
23, rue des Potiers, Toulouse. Tél. 05 61 62 14 85.
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photo © Doume