Il n’existe pas de guerre propre
Très clairement, c’est totalement assommé que l’on sort de cette projection. Assommé mais aussi médusé par la virtuosité d’un réalisateur de 84 ans, Clint Eastwood, qui nous livre ici une œuvre, discutable certes, mais de toute première importance.
Le scénario est étroitement corrélé au livre autobiographique de Chris Kyle (1974-2013). Cet homme est un américain qui, pour protéger son pays, s’est engagé dans les célèbres SEALs, la principale force spéciale de la marine de guerre des Etats Unis. Lors de la guerre en Irak, il est devenu un tireur d’élite, un sniper, capable de toucher mortellement une cible à près de 2000m de distance. Son boulot est de protéger l’avancée des troupes dans des quartiers réputés dangereux. Habilement planqué sur un toit, il surveille. Et tue tout ce qui est menaçant, hommes, femmes, enfants, c’est son job. L’armée lui reconnaîtra 160 tirs létaux. Lui en comptabilisera 255. Ces chiffres l’ont transformé en légende – son surnom – ainsi qu’en héros. Il passe, en quatre missions, près de 1000 jours sur les théâtres d’opérations les plus dangereux. Très vite il devient l’homme à abattre des irakiens. Face à lui, un champion olympique de tir. Leur combat personnel sera sans merci. Les séquences militaires sont sidérantes de poids par la précision de leur réalisation ainsi que l’angoisse et la peur qu’elles instillent. C’est du très grand Eastwood. Mais un autre film se déroule sous nos yeux. Chris Kyle est marié et père de deux enfants. Le montage permet de suivre, entre chaque mission, la descente aux enfers psychologiques que subit ce sous-officier. Son engagement patriotique va complètement phagocyter sa vie familiale et changer diamétralement son comportement social. Et cela aussi, le plus célèbre cow-boy made in Italy sait le raconter à merveille. D’autant que Sienna Miller compose une Taya Kyle (son épouse) d’une vibrante vérité. Quant à Bradley Cooper (Chris Kyle), il est simplement superlatif. Celui qui a charmé la planète entière avec son personnage lunaire dans Happiness Therapy (2012) est ici physiquement et méconnaissable. Ayant pris une masse musculaire impressionnante (fonte et 6000calories /jour pendant 3 mois !), formé par d’authentiques snipers aux attitudes précises, il envahit l’écran par sa présence quasi muette, tout son drame se nouant dans son regard. Chris Kyle ne repart pas pour une cinquième mission et se consacre à la réinsertion de soldats atteints de stress post-traumatique. C’est l’un d’eux, dans un accès de démence, le 2 février 2013, qui le tuera, ainsi qu’un de ses camarades. Il est jugé en ce moment. Clint Eastwood a exclusivement placé son film du point de vue des Etats Unis et ne porte aucun jugement concernant ce conflit. C’eût été un autre film. Le cercueil de Chris Kyle a été salué lors de son transfert par des milliers d’américains brandissant le drapeau de leur pays. Clint Eastwood ajoute ici son hommage personnel. Et quel hommage !
Robert Pénavayre
Clint Eastwood, entré vivant dans la légende du 7ème art
Alors qu’il s’apprête à réaliser un remake de « A star is born » avec Beyoncé et, selon la rumeur, Tom Cruise, voici que l’octogénaire le plus jeune d’Hollywood nous transporte au cœur sanglant du conflit irakien. Le chemin parcouru par ce fils de comptable, depuis un second rôle dans un film d’horreur (Tarantula en 1955) jusqu’à ce jour, tient du miracle. Celui qui alterne le rôle d’acteur et celui de réalisateur avec un succès jamais démenti depuis plus d’un demi-siècle, est en fait devenu une star au début des années 60 en Italie en jouant dans les fameux westerns spaghettis chers à Sergio Leone. De retour aux Etats Unis, son talent, par la suite, a fait le reste : tout simplement construire une légende.