Cave Poésie 3/4/5 février
Festival Détours de Chant
Malgré le blizzard et les loups, les fausses lumières de la ville et les soldes de la neige, nous avons dépassé tous les pièges pour entendre la grande, très grande, Bea Tristan, accoudée au comptoir de ses chansons nous parler d’amour, d’ailleurs et de bolides lancés sur les routes amères de la vie.
Cinq ans, cinq ans déjà que Bruno Ruiz nous l’avait fait découvrir à la Cave-Poésie, et cette année encore il s’est battu bec et ongles pour la refaire passer sur cette scène si pleine de belles notes encore accrochées au salpêtre de la salle.
Et rien n’a changé, avec sa seule guitare tambour de toutes les nuits blêmes, sa voix roulant comme le vent du nord, Bea Tristan nous saisit, nous bouleverse, nous déchire. Car ses chansons-confidences sont un long voyage dans les nuits striées de phares des grosses voitures roulant vers les frontières de l’humanité, en quête d’un peu de chaleur, d’un peu d’amour.
Je me suis levée comme on se lève de table.
Et j’ai laissé mon odeur comme on laisse un pourboire.
J’ai repris mes esprits comme j’ai repris mon blouson.
Et je suis sortie de ta vie comme on sort de prison… (Mr. Mécano)
Elle entame son tour de chant, son tour des champs de l’impossible par cette chanson si belle, Monsieur Mécano.
Elle n’est pas sortie de la vie avec son blouson de motarde, sa volonté de tracer sans rétroviseurs les espaces loin des ennuis et des soumissions, elle est rentrée dans la nôtre.
Elle la plus formidable toupie de l’utopie, elle qui aura tracé pour nous les routes des évasions, des amours en voyages et en virages, d’amours égarés, enfuis ou espérés.
Sa voix qui feule le long de la rouille des jours semble toujours prendre la route. Sa voix est celle d’une louve, elle est mauve et fauve, c’est celle d’une amante de la vie à toute allure. On n’y échappe pas, comme le dit Desjardins « elle nous scotche le squelette ».
Et motarde des rêves elle sait soulever la lumière de la poussière.
Ses textes laissent en nous sillons de vie ardente. Par-delà les épuisements des jours, ses chansons sont posées sur nos mémoires, néons dans les nuits, routes du nord qui défilent. Tant de destins, fragmentés, entrevus, se devinent dans ses mots. Comme sur sa moto elle chante sans s’arrêter pour ne pas tomber.
Et puis elle ralentit et regarde de ses yeux de fée des neiges :
Je ralentis et je regarde…
À cause de cette plaine labourée
Silencieuse comme un livre ouvert
Lignes tracées non rédigées
Préface de brume signée l’hiver
Je ralentis et je regarde…
À cause de cette buse sur le piquet
Sentinelle de terres gelées
Et de son œil doré où apparaît
Comme une lampe qu’on vient d’allumer
Je ralentis et je regarde…
À cause des roses matinales
En robes étalées sur la pelouse
Roses poudrées virginales
À rendre les pivoines jalouses
Je ralentis et je regarde… (À cause des pivoines)
Avec l’instinct immémorial des créatures de la vie, saumon ou autre, Béa remonte les fleuves jusqu’à leur embouchure, pour trouver le but de sa mission jadis donnée, un serment de vie à honorer, alors que le temps cogne. Et elle nous empoigne, et fait entrer un air plus vif en nous.
« Au-delà des 1000, on refait le monde, on se dit qu’il est peut-être encore temps.
Continuer tout droit au lieu de s’arrêter là où l’on nous attend. (Bea Tristan)
Bea Tristan est intense, tout simplement intense. Sa voix est de l’alcool fort et non frelaté dans la prohibition de notre époque. Blues des rencontres, et des souvenirs de trois fruits confits, bruit de moteur dans sa voix, claquement de portières dans sa guitare, Bea Tristan est un choc, un électrochoc dans la chanson française.
Nous sommes quelques-uns à l’aimer au plus profond, Jacques Bertin par exemple. Il faut faire passer d’urgence le message à tous les directeurs de scène : Bea Tristan est immense et vous serez damnés si vous ne la programmez pas !
Bea Tristan est un sillon de vie ardente, faites passer le mot de passe : Vive Bea Tristan, car elle nous fait vivre !
Gil Pressnitzer