Richard Desjardins au théâtre des Mazades
Festival Détours de Chant
Mardi 27 février 2015
Depuis le magnifique spectacle Kanasuta « Là où les diables vont danser », avec des musiciens exceptionnels, en 2006 à la Salle Nougaro, qu’il a tant fréquentée et hantée que le piano se prend à jouer seul certaines de ses mélodies, le cher Richard Desjardins s’était fait rare parmi nous.
Occupé à réaliser des documentaires comme « lanceur d’alerte », sur la condition des Algonquins ou du cancer des mines au Canada, le dernier Trou Story de 2011 est une charge lucide et violente contre le gouvernement canadien qui met à l’encan tout son territoire pour quelques compagnies minières prédatrices, il s’était un peu éloigné de la chanson.
Quelques tournées au Québec avec pour seul bagage sa « guetard », quelques-unes en France dans de petites salles, et c’est tout. Juste de quoi s’entretenir.
« Chaque chanson est un tourment », dit-il. Et maintenant Richard Desjardins va vers la sérénité, l’apaisement, la lumière et l’amour.
Bientôt marié à une jolie Française de Bourg-en-Bresse, il réside les trois quarts du temps en France, dans le froid Jura, en aspirant de plus en plus au calme et au soleil. Celui d’Arles par exemple. Car les aiguilles de sa boussole vont pointer jour et nuit vers le Sud.
Peu lui importe que ses disques soient si peu trouvables en France, qu’il soit si rare sur scène, il sait qu’il a laissé traces indélébiles en nous par son « chant dans l’épaisseur du temps. »
Mais de temps en temps il ressort de sa guitare des merveilles de chansons, des miroirs fabuleux de nos vies.
Ainsi ce soir-là, seul en scène, il a déroulé un beau florilège d’une vingtaine de chansons. Il se présente presque nu à nous, dans la chaude intimité de sa voix de rivière en crue, charriant les mots de la vie, et d’un certain infini où se niche encore l’espoir dans « les derniers humains ».
Ce spectacle promené le long de bien des chemins, s’il se prive du velours du piano, prend les allures d’un « road-movie » et contient les odeurs et les couleurs de sa cabane dans ses forêts d’Abatibi, où seule la guitare peut trouver place près du feu.
« Je suis comme ça dans la vie : je ne fais pas la même affaire trop souvent. J’aime ça de même et la vie me permet de le faire. Quand je suis seul à la guitare, ça me permet d’aller dans les plus petites places où il n’y a pas de piano, pas l’équipement nécessaire, pas de budget. » (Interview de 2008).
Bien sûr, trop de chansons trop liées au piano ne seront pas entendues (Nataq, Sooren…), mais d’autres apparaissent comme l’émouvante Elsie, chanson tant aimée par Richard et par nous, L’existoire, Migwech on a la joie intense de retrouver Boom Boom, Tu m’aimes-tu, Jenny,
…Souviens- toi de mon nom « Elsie »
comme du vent doux sur la toundra
Et si un jour ton cœur choisit
j’aimerais tellement qu’il vienne à moi… (Elsie)
Le tour de chant de Richard commence en langue Inuit par le texte d’une de ses plus belles chansons Akenisi dit d’abord a cappella, puis chanté :
Je me perdrai encore et encore, tant que
je n’aurai pas trouvé cet être qui me manque.
Pour célébrer cela, tu vas faire quelque chose ;
en arrivant au sud, tu m’envoies une rose.
Dans la toundra
ou au-delà. (Akinesi)
Et il se termine par les Yankees chanson d’espoir coup de poing, mais trois rappels seront nécessaires pour assouvir l’enthousiasme du public, dont le célèbre Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours.
Mais après le départ du public, les fauteuils continuaient d’applaudir
C’est à nous d’apporter une rose à Richard, et maintenant qu’il ne se perd plus, dans la toundra des pays et au-delà de lui dire « va-t’en pas. »
Chansons, monologues, contes se succèdent ainsi, avec l’hilarant et joyeusement blasphématoire L’amour de jésus..
Certes Richard ne veut plus être dans la spirale infernale des tournées, des hôtels, des récitals à foison. Il s’est mis en veille, mais il éclaire toujours autant.
Les textes et la musique de Richard Desjardins sont sources vives, élans spontanés d’humanité. Conteur fabuleux, poète doux ou cinglant.
C’est un « bon gars » ! Et ses vingt stations d’amour et de combat, intenses et belles, tendres surtout. Lyrique et grave, profond et dénonciateur, et humain, il nous donne un hymne à la beauté et à la résistance face au monde sans pitié de l’argent. Poète et avant tout troubadour, Richard Desjardins sait aussi bien être pluie douce que pluie violente, orage et arc-en-ciel.
Les chansons de Richard ne plus que des poèmes, mais aussi simplement des oiseaux qui passent, un vent qui se lève.
Il « tient le journal de bord des humains », et lui ne se sera mis à genoux que devant la beauté !
Cet homme, l’homme aux chansons-frissons, est un homme debout.
Richard est au partage des eaux de l’émotion et de la lucidité.
Il nous a dit d’une voix qui déchire de l’intérieur : « Ouvre tes yeux, ouvre ton cœur » à nous tous qui sommes perdus, mais encore vivants.
« Richard Desjardins et sa guétard », Richard et ses mots en partage tracent la belle sente vers l’humain.
La bonne nouvelle est qu’il va nous donner tantôt une suite à son Richard Desjardins symphonique, et cela somptueux, sublime, forcement sublime, et si notre pressante demande est exaucée, un « live » de son tour avec guetard.
Gil Pressnitzer