À magicien, magicien et demi, et ce fut donc un autre magicien, Jean-François Zygel, qui déploya ses sortilèges pour rendre hommage à son cher Ravel.
Et tout cela sans jouer une seule partition de Ravel !
Mais tout Ravel était là, sa face sombre parfois (La Valse, Gaspard, Miroirs), et surtout sa face lumineuse.
Tout cela Zygel le rend vivant et présent, avec sa grâce aérienne coutumière. Et sans vouloir interpréter, non au grand jamais, mais improviser encore et toujours.
Certes il passe des effluves de ma Mère l’Oye, des Jeux d’eau et des Valses aussi nobles que sentimentales, des entretiens de la Belle et de la Bête, le fantôme de Scarbo et du Gibet, du Tombeau de Couperin, de la Pavane pour une infante défunte, de Laideronnette, Impératrice des Pagodes…
Mais tout n’est que suggestions, qu’impressions fugitives, mais tellement prenantes.
Comme un parfum de Ravel, un parfum entêtant, d’Espagne ou de Chine, ou de Montfort-l’Amaury ou Saint-Jean-de-Luz.
Et sans doute aucune interprétation stricte n’aurait pu nous rendre Ravel si fraternel, si proche.
Tout est dit sans le dire, tout est en impressions ravéliennes et pourtant tout est improvisé. Pas d’imitations, mais le prolongement des sortilèges et de l’enfance.
Véritable fusion entre l’imaginaire de Ravel et celui de Jean-François Zygel.
Ravel le tendre, Ravel le colérique, Ravel l’éthique au contraire de « son rival » Debussy, Ravel le pudique, l’énigmatique, et le modeste, qui ne parlait jamais de sa vie privée et détruisit tous ses manuscrits, Ravel l’indépendant farouche, Ravel le bel horloger et l’orfèvre, Ravel le perfectionniste, Ravel l’homme engagé dans son temps, Ravel et sa maison de poupée « le Belvédère » à Montfort-L’amaury pleine de chinoiseries et de jouets mécaniques, Ravel et son chat siamois Mouni, Ravel l’antiromantique se retournant vers Couperin, Ravel jamais guéri de son enfance, Ravel « le plus grand orchestrateur français », tout cela passe dans les gouttes de notes du piano de Jean-François Zygel, et de sa pluie de musique qui en sourd.
Et les rythmes prolongent les visions : pentatonique pour évoquer la Chine, comme le fera aussi Gustav Mahler, Habanera pour faire danser l’Espagne en chacun de nous.
Il alterne des caresses de chat aux pincements des cordes grattées quand Gaspard de la Nuit est évoqué. Les miroitements de l’eau ou de l’océan, le mystère des jardins sont palpables.
Tout est très subtil, mais apparait simple et immédiat
Ravel est là souriant. Jean-François Zygel dresse en fait un portrait musical du compositeur français.
Portrait que se veut autant musical que psychologique, émaillé d’humour et de courtes explications orales. Tout est, comme il se doit avec le méticuleux Ravel, parfaitement architecturé.
Tout est dit sans jamais jouer du Ravel, mais en tournant autour par mille allusions improvisées.
Mais des improvisations dans un profond respect de la langue ravélienne, de ses harmonies, de ses couleurs.
Dans un superbe texte, Maurice et moi, que je me dois de citer, à peu près, car tout est dit magnifiquement en quelques mots :
« Avec ce magicien-là, mes rêves d’enfant musicien ont longtemps été pleins de tous ses sortilèges.
Du diabolique Scarbo à la gracieuse ondine, en passant par l’Impératrice des pagodes et la pavane de la Belle au bois dormant de Ma mère l’Oye.
J’ai même fait le pèlerinage à la maison qu’il a occupée à Montfort-l’Amaury.
Partagé son goût des figurines chinoises, sa précision méticuleuse, ses volets troués de lune et d’étoiles pour que l’insomniaque qu’il était, puisse dormir le jour, pensant que c’était la nuit.
Ravel c’est le magicien élégant et distingué, toujours tiré à quatre épingles, dont chaque partition repose sur un principe unique et singulier (un concerto pour une seule main, une pièce d’orchestre pour un seul thème), et qui fait scintiller l’orchestre et le piano.
Tous les compositeurs et tous les improvisateurs lui doivent quelque chose.
Nous sommes des apprentis sorciers auxquels il a tourné la tête par tant d’artifices et d’ingéniosité.
Mais les féeries de Ravel en nous ne nous veulent que du bien, et quand sur mon piano je dois danser, chanter, ou inventer de chatoyantes vélocités, je me rappelle toujours ce que je lui dois. » (Jean-François Zygel).
Voici rendu un bel hommage à Maurice Ravel, qui c’est aussi concrétisé dans une belle leçon de musique consacrée à Ravel, où par exemple la magie du Jardin féérique nous est dévoilée. Dans une série des Clefs de l’orchestre consacré au Boléro, Jean-François Zygel démontait les rouages diaboliques de cette pièce.
Zygel a ce don unique de passeur, que je n’ai connu que chez Bernstein dans son cycle télévisé. Loin de toute virtuosité inutile, Zygel est musicalement le compositeur qu’il veut faire aimer. Il l’habite, il le comprend profondément, il nous le restitue pleinement.
Simplicité humour, science, génie de l’improvisation, tout devient limpide, évident pour nous pauvres mortels.
Pour nous remercier de l’avoir si chaleureusement applaudi, Jean-François Zygel nous offre un joli petit chapelet de comptines, si proche de l’esprit de Noël et de celui de Ravel.
Gil Pressnitzer