Spectacle lecture de Philippe Berthaut, lecture et chant, et Philippe Gelda piano
Espace Roguet le 7 décembre 2014
« La poésie est le seul moyen d’aborder par les mots, quand on sait le faire, le son intérieur de tout réel. » Guillevic.
C’était, c’était dans les années 1980. En 1987 sans doute. Guillevic accompagné d’une très belle blonde, vint à la Salle Nougaro, lors d’un hommage pensé et réalisé par Philippe Berthaut.
Guillevic, bel être chenu, tel un menhir dressé, lut quelques-uns de ses poèmes. Et ensuite Philippe Berthaut de sa voix chaude et profonde a dit une sélection de ce grand poète.
Je n’ai jamais oublié ces instants.
Et presque trente-quatre ans après Philippe Berthaut, accompagné, en télépathie par le pianiste Philippe Gelda, revient nous rappeler certes que le temps passe, mais aussi que Guillevic demeure essentiel, indispensable pour dévoiler « l’inquiétante étrangeté des choses ».
Guillevic demeure l’un des poètes majeurs de notre temps, avec une œuvre dépouillée, ciselée, compacte et à la fois cristalline, et qui a la densité de son granit breton. Il était l’homme de l’ellipse, de l’intérieur du réel.
Il aura dit avec « si peu de mots pour un poème » l’éclair des choses et des êtres. Il est un poète de l’éveil, de la réalité du monde.
Il l’aura magnifiquement célébré dans son œuvre qui peut se résumer à un vaste art poétique pour chanter notre présence au monde.
Chacun de ses mots devient message envoyé, non pas comme une leçon, mais une sorte de poignée de main vers les autres humains.
Terraqué, Gagner, Exécutoire, Terre à bonheur, Carnac, Sphère, auront été des recueils qui ont marqué son temps et dans lequel on se replonge dans les temps de menace ou d’amour du monde.
Celui qui s’en va seul
Cherche pour beaucoup d’autres. Celui qui s’en va seul
Porte avec lui les autres,
Désespère pour eux
D’espérer avec eux.
(« En cause », Sphère, Poésie/Gallimard)
Si sa poésie est lapidaire, c’est pour aller vite et fort dans nos consciences, pour guetter le moment où émerge le monde, dans des arbres qui tremblent, des oiseaux qui s’inquiètent, des secrets qui se dévoilent. Il sait lui regarder au verso des mots, Guillevic voulait simplement nous apprendre à voir, avec la terre sous nos pieds et nos semblables à aimer :
La terre est sous nos pieds,
Solide, indifférente,
Heureusement.
(Sphère, Poésie/Gallimard).
Engagé dans le réel et dans l’action politique Guillevic est un lanceur d’alerte, qui saisit tous les signes du monde, tous les frémissements de la nature pour nous éveiller à la lucidité.
Il s’oppose ou se donne avec la même intensité au monde, la même sincérité.
Pour restituer ces mots à la fois sources de joie et sources de la nuit, il fallait un poète.
Philippe Berthaut est ce poète qui est en en empathie avec les mots de Guillevic.
Il ne se contente pas de lire simplement les poèmes, et rappelons qu’il est l’un des meilleurs lecteurs de la Région, il les met en scène, il les chante doucement, il les fait siens, il les sublime.
La musique de Philippe Gelda est non pas un ornement des mots, mais un véritable prolongement, un approfondissement même.
Alors que si souvent les lectures dites poétiques sont un calvaire semblable aux séances de diapos en famille, ici tout s’illumine, tout devient réel et fraternel.
Le choix des textes effectué par Philippe Berthaut est judicieux et donne un excellent panorama de l’œuvre de Guillevic. Et la magie de la voix, retrouvée pour le chant après une si longue absence, nous emporte.
« Nous sommes de l’immobile en mouvement, nous traversons la durée », rappelait Guillevic.
Guillevic voulait simplement nous apprendre à voir, avec la terre sous nos pieds et nos semblables à aimer :
La terre est sous nos pieds,
Solide, indifférente,
Heureusement.
(Sphère, Poésie/Gallimard).
Ce spectacle dans la splendide salle de l’Espace Roguet est bien plus qu’une bouffée de souvenance, c’est le vent du large de la poésie.
Si je fais couler du sable
De ma main gauche à ma paume droite,
C’est bien sûr pour le plaisir
De toucher la pierre devenue poudre,
Mais c’est aussi et davantage
Pour donner du corps au temps,
Pour ainsi sentir le temps
Couler, s’écouler
Et aussi le faire
Revenir en arrière, se renier.
En faisant glisser du sable,
J’écris un poème contre le temps.
(« Art Poétique » – poème 1985-1986, Gallimard, 1989)
Rites
à Colomba
Qu’il fasse clair
Ou qu’il fasse nuit
Sur les prairies,
Un jour il faudra
Prendre avec les mains
De l’eau d’un fossé.
Pour qu’en tombe une goutte
Au hasard du vent,
Sur un mur perdu
Entre bois et prés.
Parce que c’est la pierre,
Parce que c’est l’eau,
Parce que c’est nous.
(« Terraqué » – Gallimard, 1945)
Merci à Philippe Berthaut et Philippe Gelda pour avoir ainsi donné du corps au temps, et des mots au silence.
Gil Pressnitzer