À la Halle, une majorité de présents confessaient ne pas connaître l’œuvre, et tout juste, le musicien Olivier Messiaen. Ils furent récompensés car ils ont assisté à du très haut événementiel. En effet, tous les ingrédients étaient réunis pour que l’interprétation de cette œuvre, dont la partition défie l’entendement, atteigne des sommets. Sous la direction du chef hongrois Iván Fischer, ce chef que Toulouse apprécie tant depuis sa première venue, le Budapest Festival Orchestra, son orchestre, nous offrit une magistrale leçon de musique. Ceux qui voudront bien relire auparavant mon article d’annonce……Ensuite, quelques impressions, mais sans plus, car comment commenter un tel Annapurna ? De toutes les façons, le public sut manifester à la fin, un enthousiasme non feint qui faisait plaisir à voir. Un pari tenu, et gagné. Et encore une fois, tant pis pour les absents.
Rappelons tout d’abord ce qui fait l’une des épices, et pas la moindre de cette construction pharaonique : l’instrumentation. Elle se rapproche de certains effectifs mahlériens. Elle fait la part belle aux cuivres et aux percussions. Outre les 4 cors, 3 trombones et le tuba, la section est renforcée d’une large palette de trompettes : de la petite trompette en ré, aux trompettes en ut, 5 au total sans oublier le cornet en si bémol. Le groupe de percussions est des plus imposants. Trois claviers, jeu de timbre, célesta et vibraphone jouent un rôle assez proche des gamelans indonésiens. La batterie qui regroupe : triangle, temple block, wood-block, petite cymbale turque, cymbale, cymbale chinoise, tam-tam, tambour de basque, maracas, tambourin provençal, caisse claire, grosse caisse et huit cloches en tube, exécute de véritables contrepoints rythmiques. Et bien sûr, et là est toute la différence avec Mahler, il y a le piano, omniprésent, et les fameuses ondes Martenot, quel instrument !
Dès l’Introduction nous voilà fixé sur le fil rouge que va dérouler le chef, nous laissant béat, et au niveau des oreilles, et des yeux. Et c’est parti pour cette œuvre mi-symphonie, mi-double concerto puisque le piano et les Ondes Martenot jouent un rôle quasi soliste, tous les deux placés en bord de scène, au ras. Saluons tout de suite la prestation de chacun, de Roger Muraro au clavier, qui a dû trouver la partition dans son berceau, époustouflant, hors-norme, de la première note à la note conclusive qu’il suit jusqu’à l’extinction, comme si elle rejoignait le Tout-puissant. Et Claverie Hartmann-Claverie dont les interventions métronomiques semblaient d’exécutions comme évidentes, en véritable héritière d’une autre papesse, Yvonne Loriod, épouse du compositeur.
La densité et la tension que le chef imprègne à chaque pan sonore de chacun des dix mouvements qu’ils soient modérés ou vifs, comme la profondeur de la sonorité d’un orchestre d’un très haut niveau instrumental, tous pupitres confondus, le tout reposant sur des tapis persans de cuivres défiant toute difficulté, et un ensemble de cordes, les huit contrebasses comprises, enchanteur, la présence du swing qui traverse les passages les plus exubérants, faciles à repérer, accentuée suffisamment pour rappeler que c’est bien un certain Léonard Bernstein qui dirigeait la création à Boston, la cohérence donnée aux dix parties de cette symphonie, sans y introduire une monotonie redoutée, tout en respectant les vœux du compositeur ayant le plus souvent demandé un tempo modéré voire même bien modéré, et qui voit ses indications respectées à la lettre par un Iván Fischer qui jamais n’essaie de presser le pas pour éviter cette fameuse monotonie, prenant son temps, des mouvements lents presque planants et des passages séraphiques d’où des contrastes “impeccables“ avec les mouvements vifs mais jamais frénétiques, et l’animation interne de chaque mouvement, toujours musicalement conduite, particulièrement soignée, d’une très grande attention portée aux détails, pas un instant de relâche, une main de fer dans un gant de velours, les quatre thèmes parfaitement lisibles, mais, j’en perds même ma phrase !! Tant pis !
Une version avec tous ses passages marqués par un engagement physique d’une théâtralité sans exubérance du chef, rendant pour le spectateur l’œuvre encore plus lisible, le tout rejoignant, et par les oreilles et par les yeux, ce que souligne Christophe Ghristi dans le programme : « Les amants de Messiaen sont eux des amants diurnes, des amants solaires. (…) Leur amour est un reflet du grand amour de lumière et, s’ils en meurent, c’est que leur joie et leur extase sont plus grandes que l’humain. Pendant plus d’une heure et quart, la Turangalîla-Symphonie va explorer cette frénésie de la passion, cette heureuse folie de la vie qui s’exprime et s’explose en mille couleurs. » On peut parler en effet d’explosion et de transcendance de l’amour magnifiquement rendu par les interprètes de ce concert, avec un niveau d’exécution difficilement égalable, nous livrant, à mon humble avis, une prestation hors norme. En bref, et en un seul mot : jubilatoire.
Vous avez deviné qu’il est inutile de croire retrouver sur un support quelconque, toute la complexité d’une telle œuvre. Il ne fallait pas rater ce live. Mais d’aucuns sont bien capables de se livrer à une critique de telle ou telle version. La seule, la vraie, c’est bien celle que l’on entend, et « voit ».
Michel Grialou