Benoît Séverac est un talentueux touche-à-tout. Il a, tour à tour, été musicien, comédien, photographe, œnologue… Mais c’est dans l’écriture, notamment de romans noirs ou policiers, qu’incontestablement il excelle. Unanimement salués par la critique et appréciés du public, ses romans (« Les Chevelues », « Rendez-vous au 10 avril », « Le garçon de l’intérieur »…) sont souvent primés. Le dernier en date, intitulé « L’Homme-qui-dessine » et publié aux éditions Syros, ne devrait pas échapper a la règle. Une bonne idée de cadeau pour un Noël de lecture.
Ce faux polar préhistorique (il n’y a ni policier ni pierre polie…), préfacé par le paléontologue François Duranthon (directeur du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse), qui rappelle combien il est habillement documenté, est une vraie réussite. Dès les premières pages, grâce à une écriture limpide et précise, Benoît Séverac nous catapulte 30000 ans avant Jésus-Christ dans la forêt qui borde les piémonts pyrénéens peuplés d’Hommes-qui-savent (nos ancêtres les Sapiens) qui côtoient les rares survivants des Hommes-droits (les Néandertaliens) et nous plonge dans les eaux froides de la rivière qui baigne l’actuelle grotte du Mas d’Azil, haut lieu du paléolithique magdalénien. Avec lui, on suit les (més)aventures ou plutôt le chemin initiatique parsemé d’embûches de Mounj, son jeune héros, un Homme-droit d’à peine 16 ans, accusé à tort de meurtres qu’il n’a pas commis.
Mounj est un Homme-qui-dessine (comme son père et son grand-père avant lui) parti depuis trois longs hivers à la découverte du monde afin de comprendre pourquoi son peuple, victime d’un mal mystérieux qui le décime, se meurt à petit feu. Sa quête va le mener beaucoup plus loin qu’il l’avait imaginé. Il va rencontrer l’Autre, apprendre à le connaître, à le comprendre tel un ethnologue, découvrir ses us et coutumes, ses codes, sa langue, ses mystères, ses croyances, ses interdits, ses mensonges aussi. Il va surtout découvrir l’Art (rupestre et pariétal) et ses multiples fonctions. « Les peintures sacrées », qui procurent « une sensation agréable et indéfinissable » à celle ou celui qui les contemple, « sont comme les bijoux. Elles ne servent à rien mais elles sont belles et (nous) protègent ».
Dans ce roman humaniste riche de résonances actuelles, Benoît Séverac revisite une période méconnue de la préhistoire (conséquence du brassage ethnique entre Sapiens et Néandertaliens, nous avons hérité de 2% de gènes néandertaliens) et nous donne une magistrale leçon d’histoire, d’anthropologie, d’ethnologie, de vie. Bien plus qu’un polar haletant (c’est déjà beaucoup), « L’Homme-qui-dessine » est un petit traité philosophique à lui tout seul qui nous invite à revenir aux origines de l’Homme et à réfléchir à des notions aussi essentielles que la famille, la filiation, la fraternité, le vivre-ensemble, l’autorité, la tolérance, le courage, l’altérité, la justice, le savoir, la culture, la spiritualité, l’art, le voyage ; bref, tout ce qui fait l’Humanité.
En le refermant, j’ai songé à cette superbe exposition d’art contemporain organisée il y a quelques années au Mas d’Azil et au Musée des Abattoirs (« DreamTime. Art contemporain et TransHistoire ») et m’est revenue cette phrase du grand historien des religions Mircea Eliade (1907-1986) qui, dans « Le sacré et le profane », écrit que « la lecture procure à l’homme moderne une « sortie du Temps » comparable à celle effectuée par les mythes ».
En remontant le temps au côté de « L’Homme-qui-dessine » de Benoît Séverac, on sort un peu du temps présent (par trop matérialiste et intolérant), et ça fait du bien.
Philippe LASTERLE
Club Littéraire du Belvédère
« L’Homme-qui-dessine » – Ed. Syros