Auteur et metteur en scène, Joël Pommerat montre deux de ses pièces, « les Marchands » et « Au monde », au cours d’une tournée qui fait étape au Théâtre national de Toulouse.
Auteur et metteur en scène montré sur les plus grandes scènes, Joël Pommerat présente depuis plusieurs mois deux de ses pièces dans le cadre d’une tournée qui fait aujourd’hui étape au Théâtre national de Toulouse. Il explique en ces termes sa démarche artistique : «J’ai la volonté depuis quelques années de faire vivre mes spectacles sur des durées les plus longues possible. D’insister, vraiment, de persister de manière pas tout à fait raisonnable, même. Le théâtre est l’art de la répétition, peut-être aussi celui de l’effort, celui du corps, de la permanence et de la persistance du corps. Je rêve d’un théâtre artisanal, c’est à dire de pouvoir dans ma pratique du théâtre créer ce type de relation au travail : quotidien, modeste, exigeant, patient, raisonnable et fou… Trouver le temps pour l’incorporation des idées, un vrai temps de maturation pour les esprits et pour les corps, ce temps où le corps accède à l’intelligence. Je rêve donc de pouvoir garder en vie tous mes spectacles, et ainsi de créer un répertoire de pièces qui augmente chaque année.»
Joël Pommerat poursuit : «Mon idéal serait de pouvoir jouer nos créations sur des durées de vingt, trente ans, voire plus. Qu’on voie vieillir les comédiens avec les spectacles. C’est une expérience utopique dont l’idée me passionne et me fait rêver. C’est une des raisons qui m’ont poussé au départ à créer une compagnie, c’est-à-dire une communauté de gens engagés sur le long terme. Il m’est arrivé de recréer certains spectacles, d’en refaire la mise en scène, et aussi de réécrire totalement sur un même sujet à six ans d’intervalle. Mais pour « Au monde » et « les Marchands », c’est la même mise en scène que nous présenterons, et pour la vingtaine de rôles que comptent ces deux pièces il n’y aura que trois nouveaux comédiens», assure Joël Pommerat.
Écrite en 2006, « les Marchands » suit une dizaine de personnages autour de la question de l’aliénation au quotidien, notamment deux femmes. L’une se perd à force de chômer, l’autre travaille tellement qu’elle souffre physiquement, puis finit par se laisser envahir par l’angoisse de perdre son emploi. La mise en scène accueille les différents lieux du récit : appartements, paliers, usine. Pour Joël Pommerat, « »les Marchands » n’est pas une pièce sur le travail, mais sur son idéologie. C’est une pièce sur la valeur que les hommes ont accordée au travail, comment ils l’ont investi sur le plan imaginaire, au point de lui attribuer une place centrale dans leur vie et dans la société. Même si la pièce n’adopte pas un discours critique direct, elle n’est pas dénuée de parti pris, évidemment. Mais elle n’est pas manichéenne au sens de mettre en opposition deux camps, des opprimés et des oppresseurs par exemple (même si elle n’exclut pas l’existence de tels rapports), et elle laisse le spectateur seul entrer en résonance avec un certain nombre de discours, d’opinions exprimés par les personnages (non identifiable en tant que bon ou mauvais), le conduisant à mener sa propre exploration imaginaire. En faisant cela, elle permet ainsi au spectateur, après coup, d’interroger ses propres représentations, ses propres constructions mentales, à partir de l’expérience tout à la fois sensible et intellectuelle (contradictoire voire paradoxale) du spectacle. Il me semble qu’un théâtre qui aurait des interrogations dites politiques ou sociales devrait mettre en scène des actions humaines concrètes mais aussi pour mieux en comprendre les fondements, devrait interroger les «visions du monde», les conceptions et croyances qui en sont la source», soutient le dramaturge.
Créée en 2004, « Au monde » est l’une des pièces qui ont le plus contribué à faire connaître le théâtre de Joël Pommerat. Ce texte vient d’ailleurs d’être utilisé pour le livret d’un opéra composé par Philippe Boesmans. L’ouvrage a été créé avec un succès retentissant, dans une mise en scène de l’auteur pour une production du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles et de l’Opéra-Comique à Paris. C’est un huis clos labyrinthique où se croisent les histoires de plusieurs personnages d’une famille cloîtrée: un vieillard, un père, le fils cadet, trois soeurs dont l’une est adoptée, un frère et l’époux de la sœur aînée. Selon Joël Pommerat, « »Au monde » n’est pas une pièce sur la famille mais sur une famille en particulier, pilier de notre système économique, social, politique et sur son rapport au monde qui l’entoure. C’est également une fable beaucoup plus abstraite que « les Marchands », palimpseste des « Trois Soeurs » de Tchekhov, huis clos sans véritable action concrète, avec beaucoup de considérations philosophiques et existentielles.»
Jérôme Gac
« Les Marchands », du 4 au 8 novembre ;
« Au monde », du 12 au 16 novembre.
TNT, 1, rue Pierre-Baudis, Toulouse. Tél. 05 34 45 05 05.
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photo: « Au monde » © Elizabeth Carecchio
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