« The Double », un film de Richard Ayoade
Librement inspiré d’un roman de Dostoïevski, le dernier opus du britannique Richard Ayoade est une plongée angoissante dans l’univers du regard, celui des autres sur soi et ses effets collatéraux sur son propre comportement. Ce film particulièrement troublant et intrigant nous met en présence de Simon, modeste employé d’une administration kafkaïenne localisée en un lieu et dans une époque aussi improbables que mystérieuses. Simon est un type transparent, autant pour sa hiérarchie que pour ses collègues et plus particulièrement la belle employée à la photocopieuse, Hannah. Arrive alors James, une nouvelle recrue dont tout le monde s’entiche immédiatement. Il devient la star de l’administration sous le regard incrédule de Simon car James, physiquement, est son sosie. La différence, de taille, entre ces deux hommes, réside dans leur comportement. Mais ce qui paraît le plus étrange, c’est que personne, a priori, ne s’est aperçu de leur ressemblance. Le réalisateur va donc nous immerger dans le rapport complexe qui va régir ces deux personnages, un rapport dominant/dominé dont finalement on ne sait exactement s’il ne s’agit pas tout simplement de la projection mentale que fait Simon sur son « être » rêvé qu’est James. Tour à tour comique et formidablement anxiogène, ce film, à la photo somptueuse, traite également de la déshumanisation des corps et des âmes dans un système productif aussi totalitaire que pervers. Dans le double rôle Simon/James, le héros de Social Network, Jesse Eisenberg, est hallucinant d’ambigüité permanente, au point parfois de perdre avec délice le spectateur. Entre autorité et soumission, virilité débordante et introversion maladive, nous voilà manipulés. Et de quelle manière !
Robert Pénavayre