En ce 15 août, la Cave Poésie refuse du monde, comme cela a été le cas chaque soir depuis le 12, et cela n’a rien d’étonnant, car il y a du swing (comme l’on disait à propos de Benny Goodman, surnommé par les publicistes « King of swing » (Roi du swing) en 1934) dans l’air, mais aussi du blues, et même par moment du duende.
Car, même si avec les poutres cirées et les murs de briques roses de la Cave Poésie, on est dans une ambiance Hot Club, très Saint Germain des Prés et ses caves mythiques, ce jazz dit manouche transcende les genres, on voyage de conserve avec nos racines latines vers d’autres horizons musicaux.
Swing 39, ce sont 30 doigts qui tricotent une musique chaleureuse qui va du Gipsy Jazz de leur maitre Django Reinhardt (Swing 39 est une composition légendaire de celui-ci et de Stéphane Grappelli, qui a réchauffé beaucoup de gens dans un monde au bord du chaos) à la musique du monde, en particulier méditerranéenne. On est baigné dans ce « World Gypsy Jazz » (de « World music » et « Gypsy jazz »), une invention personnelle de Di Filippo, faisant référence au mélange du jazz de Django et des manouches d’aujourd’hui avec les musiques du monde qui l’influencent très fortement (flamenco, musique orientale et latine , improvisation libre etc…) .
Le groupe a 3 disques à son actif (Chat noir, Gypsy Vibration et Entre deux Tours) et de très nombreux concerts. Avec Django, ils ont bien choisi leur génie tutélaire, car ils peuvent dire « je réveille » (traduction du prénom de celui-ci) en parlant des beaux moments endormis dans les salles obscurs.
Thierry Di Filippo* a plus d’une corde à son arc, 17 exactement, 6 à sa guitare et 11 à son oud (sans compter sa clarinette, sa flute et son space drum…) qu’il utilise sans compter de Swing 39** à Zarca, en passant par Mayaan de la chanteuse sépharade Naima Chemoul*** ou l’hommage à l’immense poète palestinien Mahmoud Darwich avec Samir Arabi (conteur) et Pascale Becker (comédienne)****.
Mario da Silva à la guitare, bien évidement passionné par la musique de Django Reinhardt, n’en reste pas pour autant prisonnier et son appétit à découvrir toutes les musiques lui permet de distiller de ci de là tel ou tel clin d’œil bienvenu. Un bon nombre d’années sur Paris passé au sein d’un foisonnement de musiciens aussi talentueux qu’éclectiques lui ont permis d’acquérir une grande maturité.
Steeve Denoy, contrebassiste du groupe depuis le début, accompagne ses amis en les poussant à être généreux. Au fil de trois albums et de concerts remarqués sur de nombreuses scènes prestigieuses, il a acquis une notoriété certaine dans ce style, ce qui lui a permis de partager la scène avec de nombreux musiciens reconnus et incontournables.
Si la guitare de Thierry Di Filippo, au son chaud et lumineux, donne l’impulsion, l’étincelle, si la deuxième guitare et même la contrebasse sont souvent en solo, c’est à l’unisson qu’ils se retrouvent la plupart du temps, avec une complicité réjouissante.
Même s’ils revisitent avec originalité des « classiques » comme « la ballade au clair de lune » de Django ou « la javanaise » de Gainsbourg par exemple, les compositions des musiciens, en particulier de Di Filippo, apportent des couleurs nouvelles, telle Charlie, balade toute en douceur idéale pour tête à tête amoureux sur la riviera italienne; et sur « entre deux tours », titre de leur dernier disque, ou « Marrakech la folle », le oud nous emmène dans un univers oriental très coloré de circonstance.
Au final, après « Recuerdos de Lucia », un superbe hommage à Paco de Lucia, grand guitariste devant l’éternel disparu en février de cette année, ils nous font déguster une savoureuse « Mojito bossa ».
Et le public redemande une tournée de cette musique ensoleillée avec des lueurs bleues et roses que les musiciens accordent généreusement.
En sortant de la cave Poésie, pas de nuages dans le ciel: sans doute l’esprit de Django (dont l’un des plus célèbres morceaux porte ce nom) était-il présent ce soir-là, lui qui savait si bien insérer dans le jazz ses notes personnelles, celles qui donnent envie de taper du pied en mesure, celles qui viennent toucher le cœur de l’auditeur; celles qui font swinguer nos joies et nos peines.
Swing 39, c’était le petit bonheur du 15 août.
PS. un petit bonheur qui a fait du bien, car la semaine dernière a disparu bien trop tôt André (Dédé) Tailhades (1946-2014), un de ces artistes de l’ombre qui ont contribué discrètement à ce qu’est la Cave Poésie aujourd’hui (un havre de bonnes vibrations), mais aussi aux créations de nombreux artistes qui y ont enchanté le public.
Régisseur inspiré, il savait créer une lumière aussi essentielle au comédien, au musicien et au public que le soleil l’est à l’homme; ce qu’il faisait aussi dans la vie de tous les jours. Et il nous manque beaucoup.
Arrivederci e grazie mille, au revoir et merci mille fois, Monsieur Tailhades !
E.Fabre-Maigné
16-VIII-2014
Swing 39 sera en concert le 3 septembre au Comptoir Nature, 1 Chemin de Halage, 11120 Somail (Le), un restaurant bien sympathique au bord du Canal du Midi en Minervois, 04 68 46 01 61
Et le 12 septembre à 20h 30 à la Salle polyvalente de Pradières (09), à l’invitation du Réseau des Bibliothèques du Pays de Foix…
**** https://blog.culture31.com/2012/06/07/mahmoud-darwich-la-trace-du-papillon/