A l’heure des incertitudes qui planent sur les Festivals de l’été et sur les intermittents (voir l’excellent article du Monde* par Mathieu de Grégoire, Maître de conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules-Verne, et le dossier de Télérama n°3364 du 5 au 11 juillet 2014), dont le régime n’est pas un privilège (faut-il encore le rappeler ?) et sans qui nombre de manifestations culturelles ne pourraient pas exister, une bonne nouvelle: l’exposition consacrée à l’Ours au Museum d’Histoire naturelle de Toulouse** est prolongée jusqu’au 3 août. Bien sûr, il ne s’agit pas de spectacle vivant, mais de culture, et celle-ci apparaît chaque jour plus précaire dans notre société où, à part les succès rentables, les « blockbusters » comme on dit outre-Atlantique, elle ne serait affaire que de saltimbanques sans feu ni lieu, voués à l’extinction.
Dans une dimension universelle, cette exposition met en exergue la perception complexe qu’entretient l’homme face à l’ours et invite le visiteur à s’interroger sur cette relation passionnelle qui l’unit à l’ours. Il y est donc question d’histoires d’ours mais aussi de l’histoire commune entre l’homme et l’ours.
Organisée autour de plusieurs thématiques – culture, nature et sociétés –, cette exposition est l’occasion d’établir un état des lieux sur notre perception de l’ours au travers du mythe que nous nous en faisons, et de rappeler la réalité scientifique qui s’impose à nous de manière objective, ni triste ni joyeuse, mais juste.
Reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication – Direction générale des patrimoines – Service des musées de France, elle a bénéficié à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. Voilà de l’argent public bien utilisé!
L’Ours des Pyrénées, Ursus arctos. Gravure.
La légende veut qu’un jour, Dieu effrayé par un homme l’ait transformé en ours. La mythique de l’ours prend sa place dans la nature même de la bête. La littérature orale offre de nombreux cas d’allaitement de nourrissons par des animaux, dont celui-ci: l’ourse du roman médiéval Valentin et Orson, ou celle qui recueillit Paris et Zeus dans la mythologie grecque.
Chez certaines populations sibériennes et amérindiennes, c’est de l’union d’une femme et d’un ours que naquirent les hommes. De la même façon, les légendes roumaines des Carpates font de l’ours l’ancêtre du genre humain, et dans certaines communautés sibériennes l’animal est vu comme un aïeul.
Chassé depuis la Préhistoire, capturé et muselé pour être exhibé dans les foires, il est présent dans la mythologie ancienne: les légendes qui entourent les constellations de la grande ourse et de la petite ourse sont empruntées au panthéon grec. Vivant dans de nombreux folklores, il a inspiré de très nombreux écrivains: légendes païennes ou religieuses -on retrouve l’animal en compagnie de saints-, romans mais aussi contes. L’ourson en peluche inspire lui la tendresse depuis la nuit des temps et les nounours des enfants, devenus des jouets depuis le début du siècle, sont leurs compagnons fidèles, objets de médiation.
L’ours est capable de se mettre debout sur ses pattes postérieures. Toutes les légendes lui donnent un pouvoir ou une habileté surnaturelle. Ainsi dans la littérature nordique ancienne, les « berserkir » sont de redoutables combattants habillés de peaux d’ours. Symbole de la force, l’ours figure sur les emblèmes de nombreuses villes et nations.
L’ours est aussi omniprésent dans la littérature***, et pas seulement de jeunesse. On peut citer par exemple:
– OVIDE, « Histoire de Callisto et de son fils Arcas », in Les Métamorphoses, Livre II, Garnier Flammarion, pp. 76-79
– LA FONTAINE, « L’Ours et les deux compagnons », Livre V, Fable XX in Fables
– LA FONTAINE, « Le paysan du Danube », Livre XI, Fable VII in Fables
– LA FONTAINE, « L’ours et l’amateur des jardins », Livre VIII, Fable X, in Fables
– BUZZATI Dino, La fameuse invasion des ours en Sicile, Stock, 1968
– FAULKNER William, « L’Ours » in Descends, Moïse, Gallimard, pp.165 et 245…
Dans les « Musardises » (1890) d’Edmond Rostand, ses poèmes de jeunesse écrits à Luchon, on trouve:
Martin, ours. Une bêle énorme. Un plantigrade
Que l’on n’aimerait pas avoir pour camarade.
Touffu, férocement espiègle, et reniflant.
Un ours qui jetterait un homme sur le flanc
D’un seul revers de patte, et, de deux coups de griffes,
Mettrait toutes ses chairs palpitantes en chiffes.
Et cet ours, au regard terriblement oblique,
Danse la mazurka sur la place publique.
L’homme qui tout petit à sa mère le prit,
Son montreur, l’apostrophe en faisant de l’esprit.
Dit qu’on peut l’approcher, le toucher, sans qu’il morde,
Et roule du tambour, et tire sur la corde
Qui s’attache à l’anneau de la narine en sang,
Et lui chante un refrain monotone et dansant;
Et docile, et craignant de perdre la cadence.
Le formidable ours brun de la montagne danse…
Soulevant le gros rire épais des hommes saouls,
Il danse, sous la pluie insultante des sous.
Et puis, l’ours roule et tangue et feint d’être un peu gris;
Et puis, l’ours fait le mort, et les coups et les cris
Et les piétinements le laissent immobile,
Et puis, l’homme à chacun va tendre sa sébile.
Ainsi de bourg en bourg, ainsi de ville en ville.
Et je n’ai pas, en somme,
Compris pourquoi cet ours ne mangeait pas cet homme.
Quant à Paul Fort, dans ses Chansons à la gauloise (1919) dans « La valse de l’ourson », il a imaginé sa fugue:
Ourson, ourson, prends peine, et danse avec ta chaîne et regrette le miel en regardant le ciel…
Tourne au son de la flûte et de l’accordéon, sans faire la culbute ou gare le bâton.
Ô bon nez écrasé, de larmes arrosé ! ô poitrine, ô grand cœur, où donc est le bonheur ?
Ô longues, longues pattes et que dore le jour, refermez-vous sans hâte pour étreindre l’amour,
Bien aimer d’un seul coup, étouffant leurs trois cous, le montreur, le flûtiste et l’accordéoniste.
Enroule une culbute et de large et de long. Roule, écrasant la flûte et cassant le bâton.
La foule avec des cris s’enfuit comme souris. Bras en l’air un ourson joue de l’accordéon,
S’en va dans la montagne au son au joli son retrouver sa compagne, l’oursonne à son ourson,
Ses parents, leurs petits, ses frères si gentils. Un coup de feu partit. Valsons au paradis.
Ourson, ourson, ta chaîne s’envole avec ta peine. Goûte au soleil de miel en regardant le ciel.
Broute au son de la harpe et de l’accordéon, et fais des sauts-de-carpe au milieu des rayons !
Et on le retrouve aussi dans les expressions populaires:
– « un ours » désigne une personne peu engageante et peu sociable,
– « un ours mal léché » désigne un personnage grossier et sans manières, (cette expression remonte au XVIIIe siècle),
– « Vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué »: disposer d’une chose avant d’être assuré de sa possession, expression utilisée par Philippe de Commynes, chroniqueur de la cour de Louis XI, et rendue célèbre par La Fontaine,
– « Tourner comme un ours en cage »: arpenter une pièce en tous sens…
© Louis François LEJEUNE, La Chasse à l’ours vers la cascade du lac d’Oo, près de Bagnères-de-Luchon, 1834, huile sur toile. Musée des Augustins
L’ours des Pyrénées était un animal secret, difficile à voir. Lors des battues, les bergers faisaient état de « l’apparition » de l’ours. Cette « apparition miraculeuse » est à rattacher au mode de vie de l’animal. Hibernant, il réapparaît au printemps avec le réveil de la nature, symbole de force et de renouveau.
Rattaché à la fécondité, au surnaturel dans l’inconscient populaire, il était assimilé par de nombreuses cultures montagnardes à l’âme de la terre donnant le signal du retour à la vie.
Le conte occitan de Jean de l’Ours était très populaire avant le déclin de la tradition orale, et on le retrouvait tout le long de la chaîne pyrénéenne ainsi qu’en Provence avec quelques variantes. Le fait qu’il n’ait pas été recueilli par Grimm ou Perrault l’a fait tomber en désuétude.
Au siècle dernier, en Ariège, la réalité a dépassé la légende: la femme nue du Vicdessos passait l’hiver en compagnie des ours dans la montagne. « Ils étaient mes amis, ils me réchauffaient » ont été les seules paroles intelligibles qu’elle ait prononcé avant de mourir à la prison de Foix, quelques jours après sa capture par des chasseurs.
Plusieurs villages des Pyrénées entretiennent des fêtes de l’ours qui sont parfois étonnantes car l’ours n’y a plus été vu depuis très longtemps. Restes de rituels, de chamanisme, de carnaval ou de chasse traditionnelle? En tout cas, l’ours reste bien présent dans la mémoire et le patrimoine pyrénéen.
La Fête de l’Ours à St Laurent-de-Cerdans ou à Prat de Mollo nous montre un autre aspect: c’est le traditionnel « ball de l’ors » où l’ours échappant à ses gardiens entraîne de force une jeune fille pour la soumettre à des assauts sans équivoque; le fait de revêtir une peau d’ours (ou de loup) était associé, dans la mythologie, à des pratiques infiniment plus violentes et sexuelles que les fêtes ou les carnavals.
Même si l’on n’habite pas les territoires pyrénéens, on peut toujours rêver à travers lui de ces espaces de liberté et de nature protégée; même si lui ne l’est pas toujours, en butte à la haine de certains. Il faut dire que l’ours Cannelle, dernière représentante des ours des Pyrénées, dont la dépouille naturalisée est exposée au Muséum dans le cadre de cette exposition, a été abattue de sang froid en 2004. Aujourd’hui, ce sont des ours des pays de l’Est qui sont réintroduits, malgré des opposition virulentes.
Michel Pastoureau a écrit une histoire de ce « roi déchu » qui sera bien utile le jour où cet animal fantastique aura totalement disparu. Et les petits enfants aimeront toujours serrer un nounous en peluche dans leurs bras avant de s’endormir; quant aux adolescents, ils dévoreront toujours les romans où les Indiens chassaient le grizzly (du moins, je l’espère).
Source de l’image : J.O Curwood : Le Grizzly,
éd. Hachette Idéal-bibliothèque, illustrations de Henri Dimpre.
Au-delà du divertissement et du rêve, s’intéresser à ce mammifère dont plusieurs espèce sont en voie de disparition, c’est aussi s’interroger sur l’avenir de nos enfants sur cette terre: en plus des réalités environnementales qui sont l’affaire de tous les citoyens, l’extinction des animaux en général, et de celui-là en particulier, nous menace « d’une grande solitude de l’esprit dont on peut mourir », comme le disait le chef amérindien Seattle au XIX° siècle.
Loin de moi l’idée d’assimiler les Intermittents et Intermittentes à des ours mal léchés, mais une chronique dédiée à la Culture se doit d’aborder celle-ci sous tous ses angles, sans occulter leur juste combat pour ne pas devenir des précaires qui ne sont hélas pas en voie de disparition, eux; bien au contraire…
PS. Il y a des associations qui travaillent pour la sauvegarde de l’Ours dans les Pyrénées en particulier.****
Pour les Intermittents, il y a également des associations qui se battent.
Et un TURORIEL Intérimaires / intermittents RÉFORME 2014*****
E.Fabre-Maigné
8-VII-2014
* Le Monde
** Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse
ALLO MUSEUM : 05 67 73 84 84 – Muséum de Toulouse 35 allées Jules Guesde 31000 Toulouse
*** Excellent dossier du Centre Régional de Documentation Pédagogique
Pétition sauvegarde Ours Pyrénées Petición oso Pirineos!
Merci à Mireille Almon pour ses précieux éclaircissements et liens sur la lutte des Intermittents.
TURORIEL Intérimaires / intermittents RÉFORME 2014 from Culture en danger on Vimeo.