Basé sur un fait réel qui s’est déroulé en 1974, le film raconte l’histoire des sœurs Justa, Lucía et Luciana Quispe, bergères de l’Altiplano qui mènent une vie solitaire. Le deuil récent d’une sœur et la loi anti-érosion (*), mise en place par Augusto Pinochet peu après le coup d’état et sa prise de pouvoir du Chili, déclenchent chez les Quispe un questionnement existentiel. Mon gros coup de cœur de Cinélatino 2014 (avec « O Lobo atràs da porta ») : l’image et le son sont d’une pure beauté ! Un film qui nous vous quittera pas, assurément.
(*) : La loi anti-érosion, mise en place par Augusto Pinochet peu après le coup d’état et sa prise de pouvoir du Chili, cherchait officiellement à éviter que les troupeaux, à force de brouter, n’érodent les sols chiliens déjà instables car sur une faille sismique (il s’agissait en réalité d’une loi visant à éradiquer les peuples nomades vivant à l’écart du reste de la société chilienne et n’étant ainsi pas contrôlés par l’Etat chilien. De même, cette loi servait à éviter que les bergers n’aident les réfugiés à passer la frontière avec l’Argentine).
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Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire ?
Cette histoire fait partie un peu de l’imaginaire populaire au Chili. Une pièce de théâtre avait été écrite, ainsi que des nouvelles, des poèmes, mais elle n’avait pas été transposée au cinéma. Je suis allé voir l’endroit où elles habitaient, et surtout rencontrer leur famille pour connaître le sens de leur histoire. La première journée à 4000 mètres, on est un peu space par manque d’oxygène, et cet endroit ressemble en plus à la planète Mars. J’étais comme dans un rêve étrange, mais très intéressant. Puis une femme qui les a connues m’a parlé du rituel qu’elles ont fait, avec une grande délicatesse. Elles font une mise en scène, dans la plus grande solitude du monde. (Note : je ne le retranscris pas, car c’est les dernières images d’elles du film). Raconter l’histoire d’un amour éternel m’a paru intéressant. Le naturalisme pur et dur ne m’intéresse pas. Mais ici, un fait divers historique rentre dans le mythique finalement. Je trouve cette façon de voir la vie très forte et très belle. Et en même temps, cela se déroule dans un espace extrêmement stérile. Observer la beauté qui naissait dans ce lieu hostile, ces tout petits arbustes qui arrivent à prendre la vie et à surgir dans cette aridité, me plaisait. Cela peut être exigeant pour le spectateur, mais il fallait montrer qu’elles aimaient leur vie.
Quelle est la part de fiction dans votre film ? Comme quand elle casse les fossiles…
J’ai étudié l’histoire avant, alors la « réalité » est toujours pour moi quelque chose de complexe. J’ai repris les éléments qui me touchaient pour montrer cette beauté. Je ne l’ai pas montré dans le film, car je ne voulais pas le faire touristique, mais il y a des montagnes entières de fossiles marins, on retrouve des squelettes de baleines à 4000 mètres d’altitude. On m’avait raconté que Lucia ramassait des pierres. Je me suis dit que je pouvais construire avec elle un monde intérieur.
Comment avez-vous travaillé la photo, qui est très très belle ?
Je recherche toujours d’une certaine façon la lumière de mon enfance. Dès le départ, je suis allé parler au photographe Inti Briones, qui a grandi dans l’Altiplano. Je lui ai dit que je ne voulais aucun projecteur, ni réflecteur. Je ne voulais pas ça pour mon premier film, je ne me sens pas à l’aise avec ce monde-là. J’ai lu les livres de Néstor Almendros pour arriver au cinéma. J’ai toujours beaucoup aimé ce travail avec la lumière naturelle. C’est l’apprentissage de quelques cinéastes français, comme Alain Cavalier, faire des films avec ce que l’on a. Même si je respecte le travail des cinéastes qui utilisent 40 000 projecteurs, c’était une façon pour moi d’apprendre le métier, quitte à changer d’avis pendant le tournage. On a donc eu des journées de travail très courtes, car cette lumière que nous voulions n’était que le matin et le soir.
Même question pour le son, et l’absence totale de musique, ce qui est vraiment très rare.
Quel type de musique aurais-je pu mettre sur l’histoire de ces sœurs ? Un chalengo est trop folklorisant, ça les diminuaient. Avec une musique mythique, j’aurais joué moi-même au majestueux, au grandiose. Je voulais asseoir le spectateur dans les roches, qu’il rentre lui même dans ce monde qu’elles voulaient toucher, sans mettre des éléments de notre monde.
Faire tourner la nièce des sœurs Quispe, était-ce primordial ?
Je voulais travailler avec des personnes locales, mais le film parle de désertification, et actuellement, il ne reste que 2 familles dans ces 26 000 hectares. J’ai donc travaillé avec Digna Quispe, qui est la vraie nièce des sœurs, qui fait partie de la première famille. Et de la deuxième famille, j’ai pris l’homme qui interprète le colporteur. Travailler avec Digna, c’était me lancer dans un monde inconnu. Nous avons eu une grande discussion avec le producteur à ce sujet. Par exemple, Digna est arrivée une semaine après le début du tournage, car elle était partie rechercher ses ânes, perdus dans la montagne. Mais nous, nous ne savions pas la cause de son absence, ni comment la joindre. Insérer cette personne-là, extrêmement forte, permettait de respecter au mieux la famille et que les deux autres comédiennes aillent vers le monde de Digna. Au début, elles jouaient la comédie, et je leur disais « non non non, faites comme Digna », et elles avaient du mal mais c’était la règle du jeu. Il fallait qu’on croit à 3 sœurs en les voyant ensemble. La première fois que j’ai emmené Catalina Saavedra et Francisca Gavilan sur les lieux du tournage, elles ont vu la hutte, où vit actuellement Digna. Elles ont été se laver les mains dans un point d’eau avec le chef déco, qui est revenu me dire qu’elles avaient peur, et voulaient partir car elles n’avaient rien signé (rires). Mais elles sont restées.
Tout le monde sur le tournage savait qu’on tournait quelque chose d’important. Comme Juan Rulfo qui a écrit 2 livres « El llano en llamas » (La plaine en flammes) et « Pedro Páramo », disait « ce sont les deux livres qu’il manquait à ma bibliothèque ». C’est de la belle littérature. Un jour, on avait perdu un Cinéma en Construction, et le producteur m’a dit « Sebas, tranquille. On fait ce film pour après, pour que ça reste » sans penser qu’on a fait LE grand classique de l’histoire du cinéma. Comme « les mille et une nuits », on sentait qu’il fallait qu’on raconte cette histoire de notre continent. Les comédiennes étaient emballées par ça.
La production avec les frères Larraín, Pablo et Juan de Dios, s’est-elle faite dès le début du film ?
Oui, dès le départ. Ils étaient fascinés par l’histoire. Pablo a étudié avec le Teatro La Memoria et Alfredo Castro. A partir de cette école, il s’est introduit au cinéma.
Un mot sur Alfredo Castro, un habitué chez les Larraín ?
J’étais un peu perdu avec le rôle du voyageur qui passe seulement, a peu de dialogue, est un peu déprimé, puis disparait. Mais il doit être fort. Alfredo, qui est aussi directeur de théâtre et a proposé de couper le rythme du film, en faisant celui qui arrive de la ville. J’ai réfusé car c’était le rôle du colporteur. Lui, c’était plutôt le fantôme qui passe avec ses angoisses, qui n’a pas digéré ce qui lui arrive. J’ai connu beaucoup d’exilés qui dormaient sur notre canapé. Je lui ai fait un peu le look que mon père avait à cette époque-là, et un mélange de Nino Rota (rires). J’étais plus méchant avec ce personnage, car il représentait la génération de mes parents. J’avais un conflit avec eux, leur dépression. J’étais vacciné de leurs histoires, sur la dictature, les coups d’état, les combats des compañeros. J’ai fait ce film aussi car c’est un film très périphérique, un monde paysan éloigné de tout. Alfredo a apporté de la fragilité au rôle, il a bataillé un peu pour lui donner plus de valeur. Et il a eu raison.
Vous êtes monteur sur le film. Quelle part se décide au montage ?
Monteur, c’est mon premier métier. La scène où Justa pleure, qui est pour moi une des plus belle scène du film, qui est comme un tableau, je l’ai filmée en sachant que je pouvais la mettre presque partout. On a essayé au montage après une scène de conflit avec ses sœurs, et ça ne marchait pas. Il fallait la mettre justement à un moment où on pense « mais qu’est-ce qu’il lui arrive ? » . Je lui ai dit « Essayez d’être émue », et elle a pleuré pendant 5 minutes. Catalina Saavedra, qui a gagné le prix de la meilleure comédienne à Sundance (pour « La Nana » de Sebastian Silva), lui a demandé à quoi elle avait pensé pour pleurer, et elle a répondu « on m’a demandé de pleurer, et j’ai pleuré »
Le film a-t-il été projeté au Chili ?
Pas encore. Il sortira le 11 septembre, le jour, du putsch de Pinochet.
Vos futurs projets ?
J’ai 2 ou 3 projets. L’un m’intéresse énormément, il se passerait entre le Guatemala, le Mexique et les États-Unis. C’est une histoire initiatique, sur l’enfance. Il y avait une autre histoire que je voulais faire au Chili, extrêmement belle et forte, mais je ne sais pas si je peux en faire une deuxième.
Francis Saint-Dizier « Sébastian avait présenté ce film au concours de Cinéma en Construction, réserver aux professionnels latinoaméricains, pour aider à finaliser un film quand il est en postproduction. C’est une section partagée avec San Sebastián. Parmi les 120 films reçus cette année-là, nous devons en retenir 6 dont celui de Sebastián, à l’unanimité du jury. Ce film est donc distribué en France cette année, ce qui est le but de Cinéma en Construction, et il a gagné à Cinélatino 2014 le prix Rail d’Oc, des cheminots ».