Retrouvez en cliquant ici la rencontre avec Sebastián Sepúlveda.
1) Le film qui vous a causé votre premier choc cinématographique.
Moby Dick de John Huston. Ma mère est une intellectuelle chilienne en exil et elle m’a emmené voir ce film quand j’étais gamin à la cinémathèque, à Genève où tout était plat, alors l’histoire de la grande baleine !
2) Le film qui vous a fait dire « je veux être réalisateur ».
Ça c’est Werner Herzog de toute façon. Je pense que ça a été Cobra Verde. Et Aguirre évidemment ! Mais Cobra Verde, je me rappelle que j’étais en train de le voir, peut-être que ce n’est pas un film aussi réussi, mais il y avait quelque chose dans tout ça qui me faisait dire « C’est beau ! ». Le lendemain, j’ai appelé un professeur qui donnait des cours de photographie – j’ai étudié la photographie au début de mes études – et lui ait dit que je savais qu’il avait déjà son quota d’élèves, mais que j’avais vu Cobra Verde et il fallait que je fasse son cours. Et le prof m’a accepté.
3) Le film que vous offrez le plus.
Aguirre.
4) Le film que vous ne vous lassez pas de revoir.
Aguirre.
5) Le film qui vous fait dire « il devrait être obligatoire au Bac ! ».
En France, il y a Alain Cavalier qui m’intéresse énormément. J’ai une cinémathèque au Chili en 16 mm dont une grande partie provenant de la Cinémathèque française. Il y a toujours un autoportrait d’Alain Cavalier. Un film sans montage, avec un long plan-séquence où il fait ses autoportraits. C’est un film d’une extrême simplicité, d’une extrême beauté, et à la fin il montre les photos de ses premiers films quand il tournait avec des stars, après il montre sa chaussure, mais jamais son visage. Puis il met une musique et demande au chef opérateur de baisser la lumière, et sa dernière phrase c’est « On voit mieux dans le noir, on entend mieux dans le silence. »
Alain Cavalier, il donne des leçons, comme Willy Ronis qui prenait des photos dans son quartier. Tu n’as pas besoin de faire 48 000 km pour raconter une histoire. Avec une petite caméra, si tu es sage, tu peux raconter quelque chose d’extrêmement beau.
6) Le film qui vous fait dire « c’est mon histoire, ça ! » (un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile).
Je ne pourrais prendre qu’une partie de beaucoup de films parce que c’est mon ressenti. J’ai vécu dans sept pays quand j’étais gamin en exil, alors je ne peux pas me reconnaître dans un personnage au parcours classique parce que j’étais un immigrant. En même temps, je ne rentre pas non plus dans le film de l’immigrant classique. Pour moi, c’est très difficile de penser un film sur quelqu’un qui passe plusieurs étapes de sa vie très mouvementée, tellement mouvementée que ce sont des étapes très différentes. Je vivais à neuf ans au Venezuela. Ce que j’aimais c’était la forêt tropicale et partir chasser les serpents avec mes frères. Et puis j’étais en Suisse, à Genève, par exemple. Ce sont beaucoup de mondes très différents. Mais je me suis vu dans la beauté de certains films, oui. Je ne suis pas catholique du tout mais L’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini, c’est un film que je ne comprends toujours pas mais il y a quelque chose qui m’émerveille à chaque fois. Je dois être catholique quelque part.
7) Le film dont vous avez repoussé le visionnage à cause d’un gros préjugé et qui vous fait dire « les préjugés, c’est tout pourri ».
J’ai énormément de préjugés, hélas. Il y a un que j’avais vu de Soderbergh, Effets secondaires, qui est passé à la Berlinale. Il avait l’air pop, réalisé par un Soderbergh qui se perdait. Et je me rappelle de quelque chose qui était extrêmement fort. Tout avait l’air d’être fait en plastique, mais c’était très organique. Le genre de films qui paraissent être normaux mais qui sont d’une force intérieure incroyable. La fin était bâclée mais ce qui se passe avant m’a impressionné. C’est ça aussi le cinéma, c’est juste des moments, et je ne sais pas si je pourrais faire ça : créer quelque chose d’humain avec des êtres en plastique.
8) Le film dont vos amis disent « tu regardes ça, toi ? ».
Il y en a beaucoup ! C’est plutôt les films avec Tom Cruise. Justement, je suis allé voir son dernier film, Edge of tomorrow, avant de faire la tournée promotionnelle de mon film parce que je ne voulais pas penser au cinéma. Je voulais me vider la tête, et ça m’a servi pour calmer l’angoisse.
9) Le film que vous n’avez jamais rendu à son propriétaire… d’ailleurs, il peut toujours courir pour le récupérer.
Il y a film de la Cinémathèque française en vidéo, un DVD de L’armée des ombres, parce que pour moi c’est majeur. C’est un film que je n’avais pas compris, qui n’était qu’une tranche de vie car il n’y a pas de structure majeure. Et quand je l’ai revu, la structure était hyper-puissante m’est apparue. C’est très bien ficelé. C’est du Melville, ses structures sont froides. Un film pour le bac aussi.
10) Le film qui vous fait voyager et qui vous a décidé à aller dans les lieux décrits.
Je n’ai jamais vu un film comme ça, qui se passe quelque part en me disant que j’ai envie d’y aller.
11) Le film qui vous enracine.
C’est celui que je veux faire en ce moment. Quand on se pose toujours la question du film que l’on veut faire, moi je suis en train de chercher mon enfance justement.
12) Le film qui devrait être remboursé par la sécurité sociale.
Il y a un film d’Agnès Jaoui que j’aime beaucoup. Je pensais que ça allait être une simple comédie française, c’était Le goût des autres que j’ai adoré ! C’est avec une délicatesse et quelque chose d’hyper facile, facile dans le sens qui ne ressemble pas à quelque chose de complexe, et c’est quelque chose de très très difficile à faire. C’est un moment où une cinéaste a donné sa fleur. Celui-là a quelque chose d’unique.
13) Le film qui ne vous quitte pas.
Aguirre.
14) Le film dont vous pouvez réciter des dialogues par cœur (non… un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile).
Aucun parce que j’ai une très mauvaise mémoire.
15) Le film qui est votre dernier coup de cœur.
The Homesman de Tommy Lee Jones, parce que c’est un film presque anthropologique. Je n’ai jamais vu des maisons du Far West comme ça. Ça m’a fait découvrir l’Ouest de cette époque-là. Il y avait quelque chose de poétique et d’initiatique d’amener trois folles, et cette femme qui veut juste être aimée, c’est grandiose. Après, j’ai vu Maps to the stars et j’ai trouvé ça très pauvre à côté, on comprend très vite la vanité des personnages et je m’en foutais de ce monde-là. Dans le film de Tommy Lee Jones, ok c’est classique, mais il y a un côté humain très fort, très beau et très émouvant. Pour moi, il n’a pas su finir son film, mais je m’en fiche car il a fait un grand film.